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la façon dont l'action de la force qui le porte en bas est reçue dans ce point de rencontre change aussi la direction du rayon, et le fait détourner du côté où il est attiré, selon la proportion qui se trouve alors entre l'action de cette force et celle de l'autre; et cela me semble si clair, qu'il ne doit plus rester aucune difficulté.

5. S'il semble apparemment plus raisonnable de croire que la lumière trouve plus aisément passage dans les corps rares que dans les denses, ainsi que vous le supposez, fondé sur l'expérience de tous les corps sensibles, qui l'ont sans doute plus libre dans ces sortes de milieux, il est aussi, ce me semble, plus raisonnable de croire que les corps qui entrent dans des milieux qui font plus de résistance à leur passage que ceux d'où ils sortent, comme vous supposez que les corps denses font à la lumière, s'efforcent de s'en éloigner, et ne s'y enfoncent que le moins qu'ils peuvent; ce que l'expérience confirme. Ainsi quand une balle est poussée de biais de l'air dans l'eau, bien loin de continuer son mouvement en ligne droite, et beaucoup plus de s'enfoncer davantage en approchant de la perpendiculaire, elle s'en éloigne autant qu'elle peut en s'approchant de la superficie. Et vous avez fort bien reconnu la force de cette objection, que vous appelez pourtant légère, mais que vous ne sauriez résoudre que par le principe

de M. Descartes, qui ruine entièrement le vôtre : car si par votre principe même la balle doit s'éloigner de la perpendiculaire, pourquoi la lumière s'en approche-t-elle? Et si la balle ne suit pas votre principe, comme en effet elle ne le suit pas, pourquoi la lumière le suivra-t-elle ? Cela ne fait-il plutôt voir que, dans l'un et dans l'autre exemple, la nature n'agit pas par votre principe?

pas

6. Cette voie que vous estimez la plus courte, parcequ'elle est la plus prompte, n'est qu'une voie d'erreur et d'égarement, que la nature ne suit point, et ne peut avoir intention de suivre; car comme elle est déterminée en tout ce qu'elle fait, elle ne tend jamais qu'à conduire ses mouvements en ligne droite; et ainsi si vous voulez que d'abord elle tende de M vers H, elle ne peut s'aviser de dresser un rayon vers N, pourceque ce rayon de soi n'y tend nullement; mais elle dressera son rayon vers R, et ce rayon étant là une fois parvenu, qui est le plus droit, le plus court, et le plus bref de tous ceux qui peuvent tendre à ce point. Pour aller maintenant d'R en H, le plus droit encore, le plus court, et le plus bref, est d'aller tout droit vers H. Et ainsi si la nature agissoit par votre principe même, elle devroit aller directement de M vers H; car d'un côté elle est nécessitée à diriger d'abord son rayon vers R, et de là votre principe même le porte vers H.

7. Et bien que vous ayez très clairement démontré, suivant votre supposition, que le temps des deux rayons MN, NH, pris ensemble, est plus bref que celui de deux autres quels qu'ils soient, pris aussi ensemble, ce n'est pourtant pas la raison de la brièveté du temps qui porte ces deux rayons par ces deux lignes. Car seroit-il bien possible qu'un rayon qui est déjà dans l'air, qui a déjà sa direction toute droite, et qui ne tend nullement ailleurs, sitôt qu'on lui oppose de l'eau ou du verre, s'avisât de se détourner ainsi qu'il fait, pour le seul dessein d'aller justement chercher un point où son mouvement composé soit le plus bref de tous ceux qui y peuvent aller du lieu de son départ? cette raison seroit bien métaphysique pour un sujet purement matériel. Ne doit-on pas plutôt croire, ainsi que j'ai déjà dit, que comme c'est la force du mouvement et sa détermination qui ont conduit ce rayon dans la première ligne qu'il a décrite, sans que le temps y ait rien contribué, c'est le changement qui arrive dans cette force et dans cette détermination qui lui fait prendre la route de l'autre qu'il a à décrire, sans que le temps y contribue, puisque le temps ne produit rien.

8. Enfin la différence que je trouve entre M. Descartes et vous, est que vous ne prouvez point, mais que vous supposez pour principe, que la lumière passe plus aisément dans les corps rares que dans

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les denses; au lieu que M. Descartes prouve, et ne suppose pas simplement, ainsi que vous dites, que la lumière passe plus aisément dans les corps denses que dans les rares. Car, posé votre principe, et posé que la nature agisse toujours par les voies les plus courtes, ou les plus promptes, vous concluez fort bien que la lumière doit suivre le chemin qu'elle tient dans la réfraction; là où M. Descartes, sans rien supposer, se sert seulement de l'expérience même, pour conclure que la lumière passe plus aisément dans les corps denses que dans les rares, et donne en même temps le moyen de mesurer la proportion avec laquelle cela se fait. Et pourcequ'il jugeoit bien que l'expérience journalière que nous avons du contraire pourroit nous donner lieu de nous en étonner, il en rend la raison physique dans la vingt-sixième page de sa Dioptrique, à laquelle on peut avoir recours.

Mais s'il est vrai que la lumière passe plus difficilement dans les corps rares que dans les denses, comme la raison alléguée en ce lieu-là par M. Descartes semble le prouver; et s'il est vrai aussi que la nature n'agisse pas toujours par les voies les plus promptes, comme l'exemple de la balle qui passe de l'air dans l'eau le justifie, adieu toute votre démonstration; et même, comme vous dites avoir autrefois proposé vos difficultés à M. Descartes, à lui, dites-vous, viventi atque sentienti, sans que ni

lui ni ses amis vous aient jamais satisfait, ne pourroit-on pas aussi dire qu'il vous a fait réponse de son vivant, et ses amis depuis sa mort, tibi, inquam, viventi, et nisi dicere nefas esset, adderem et non intelligenti, puisqu'il y en a qui se persuadent de la bien entendre. Et enfin, comme vous dites que la nature semble avoir eu cette déférence et complaisance pour M. Descartes, que de s'être rendue à lui, et lui avoir découvert ses vérités sans s'y laisser forcer par la démonstration, ne peut-on pas dire que vous avez forcé la géométrie, toute sévère qu'elle est, à vous en fournir une, par le moyen de cette double fausse position. Après quoi je laisse aux plus sévères et plus clairvoyants naturalistes à juger qui de vous deux a le mieux rencontré dans la cause qu'il a assignée à la réfraction.

Cela n'empêche pas qu'à considérer les choses d'une autre façon, je ne sois d'accord avec vous que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus promptes : car comme elle n'agit que par la force, qui l'emporte nécessairement, et qu'elle est toujours déterminée dans son action, elle fait toujours tout ce qu'elle peut faire, et ainsi, quelque route qu'elle prenne, c'est toujours la plus courte et la plus prompte qui se pouvoit, eu égard à toutes les causes qui l'ont fait agir et qui l'ont déterminée.

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