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voient comprendre une raison prise de la nature des mouvements composés; et vous leur avez fait entendre raison, en leur proposant un autre principe, plus plausible en apparence, et plus propor tionné à leur portée, à savoir, que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples; les autres qui y étoient trop adonnés, et qui ne pouvoient se rendre aux raisons pures et simples de la métaphysique, qu'il faut pourtant nécessairement joindre avec celles-là, pour leur donner la force de la conviction; et vous leur avez ôté cet obstacle, en conduisant votre principe par un raisonnement purement géométrique : et comme ces deux sortes de personnes étoient sans doute beaucoup plus en nombre que les autres, vous méritez aussi sans difficulté une plus grande part dans la gloire qui est due à une si belle et si importante découverte. Je ne vous l'envie point, monsieur, et vous promets de le publier partout, et de confesser hautement que je n'ai rien vu de plus ingénieux ni de mieux trouvé que la démonstration que vous avez apportée. Permettez-moi seulement de vous dire ici les raisons qu'un descartiste un peu zélé pourroit alléguer pour maintenir l'honneur et le droit de son maître, et pour ne pas relâcher sitôt à un autre la possession où il est, ni lui céder le premier pas.

1. Le principe que vous prenez pour fondement

de votre démonstration, à savoir que la nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples, n'est qu'un principe moral, et non point physique, qui n'est point et qui ne peut être la cause d'aucun effet de la nature. Il ne l'est point, car ce n'est point ce principe qui la fait agir, mais bien la force secrète et la vertu qui est dans chaque chose, qui n'est jamais déterminée à un tel ou tel effet par ce principe, mais par la force qui est dans toutes les causes qui concourent ensemble à une même action, et par la disposition qui se trouve actuellement dans tous les corps sur lesquels cette force agit; et il ne le peut être : autrement, nous supposerions de la connoissance dans la nature; et ici par la nature nous entendons seulement cet ordre et cette loi établie dans le monde tel qu'il est, laquelle agit sans prévoyance, sans choix, et par une détermination nécessaire.

2. Ce même principe doit mettre la nature en irrésolution, à ne savoir à quoi se déterminer, quand elle a à faire passer un rayon de lumière d'un corps rare dans un plus dense. Car je vous demande s'il est vrai que la nature doive toujours agir par les voies les plus courtes et les plus simples, puisque la ligne droite est sans doute et plus courte et plus simple que pas une autre? quand un rayon de lumière a à partir d'un point d'un corps rare pour se terminer dans un point d'un

corps dense, n'y a-t-il pas lieu de faire hésiter la nature, si vous voulez qu'elle agisse par ce principe, à suivre la ligne droite aussitôt que la rompue, puisque si celle-ci se trouve plus courte en temps, l'autre se trouve plus courte et plus simple en mesure? Qui décidera donc, et qui prononcera là-dessus?

3. Comme le temps n'est point ce qui meut, il ne peut être non plus ce qui détermine le mouvement; et quand une fois un corps est mû et déterminé à aller quelque part, il n'y a nulle apparence de croire que le temps plus ou moins bref puisse obliger ce corps à changer de détermination, lui qui n'agit et qui n'a nul pouvoir sur lui. Mais comme toute la vitesse et toute la détermination du mouvement de ce corps dépendent de sa force et de la disposition de sa force, il est bien plus naturel, et c'est à mon avis parler plus en physicien, de dire, comme fait M. Descartes, que la vitesse et la détermination de ce corps changent par le changement qui arrive en la force et en la disposition de cette force, qui sont les véritables causes de son mouvement, que non pas de dire, comme vous faites, qu'elle change par un dessein que la nature a d'aller toujours par le chemin qu'elle peut parcourir plus promptement; dessein qu'elle ne peut avoir, puisqu'elle agit sans connoissance, et qui n'a nul effet sur ce corps.

4. Comme il n'y a que la ligne droite qui soit déterminée, il n'y a aussi que cette ligne-là seule où la nature tende dans tous ses mouvements; et bien que parfois un corps par son mouvement décrive actuellement une autre ligne, néanmoins, à considérer l'un après l'autre tous les points qu'il a parcourus, ils sont plutôt les points d'autant de lignes droites qu'il quitte successivement, que ceux d'une ligne courbe qu'il tende à décrire; et il les a plus tôt parcourus comme tels qu'autrement, puisque, sitôt que ce corps est laissé et abandonné à la force qui le meut en chaque point, il se porte à suivre la ligne droite à laquelle ce point appartient, et point du tout la ligne courbe qu'il a décrite. Cela étant, s'il est question de porter un rayon de la lumière du point M au point H, il est certain que la nature l'enverra tout droit par la ligne MH, si cela se peut. Et de fait quand le milieu est semblable et égal, elle n'y manque jamais; mais quand le milieu par où la lumière passe change de nature, et oppose plus ou moins de résistance à son passage et à son cours, qui fera changer sa direction à la rencontre de ce milieu? Que peut-on soupçonner qui en soit la cause? La brièveté du temps? nullement. Car quand le rayon MN est parvenu au point N, il lui doit être indifférent, suivant ce principe, d'aller à tous les points de la circonférence BHA, puisqu'il lui faut autant

de temps à parvenir aux uns qu'aux autres; et cette raison de la brièveté du temps ne le pouvant emporter alors vers un endroit plutôt que vers un autre, il y auroit raison qu'il dût plutôt suivre la ligne droite; car pour choisir le point H plutôt que tout autre, il faudroit supposer que ce rayon MN, que la nature n'a pu envoyer vers là sans une tendance indéfinie en ligne droite, se souvînt qu'il est parti du point M, avec ordre d'aller chercher, à la rencontre de cet autre milieu, le chemin qu'il pût parcourir en moins de temps, pour de là arriver en H. Ce qui, à vrai dire, est imaginaire, et nullement fondé en physique. Qui fera donc changer la direction du rayon MN (quand il est parvenu au point N) à la rencontre d'un autre milieu, sinon celle qu'allègue M. Descartes? qui est que la même force qui agit et qui meut le rayon MN, trouvant une autre disposition à recevoir son action dans ce milieu que dans l'autre, ce qui change la sienne à son égard, conforme la direction de ce rayon à la disposition qu'elle a pour lors. Et pourcequ'au point de rencontre de cet autre milieu, c'est la seule force qui porte le rayon en bas qui se ressent de la diversité à recevoir son action, qui est entre le milieu d'où il sort et celui où il entre (celle qui le porte à droite ne s'en ressentant point, à cause que ce milieu ne lui est aucunement opposé en ce sens-là), le changement qui arrive à

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