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trations qui ne forcent pas de croire ne peuvent point porter ce nom. Et croiriez-vous, monsieur, que si la proposition de M. Descartes étoit démonstrativement prouvée, son évidence et sa clarté n'eussent pas percé les ténèbres de mon entendement pendant vingt années qui se sont écoulées depuis notre ancien démêlé, puisque je vous ai protesté dès le commencement de ma lettre que je travaille sincèrement à me tirer d'erreur, et que je ne cherche qu'un honnête prétexte à me rendre. Je serois même ravi d'établir l'honneur de M. Descartes aux dépens du mien, et je voudrois, s'il m'étoit possible, en reconnoissant la vérité de sa preuve, ajouter avant que de finir:

Se clara videndam

Obtulit, et pura per noctem in luce refulsit.

Il en sera pourtant ce que M. le chevalier Digby et vous, monsieur, trouverez bon. Je vous soumets à tous deux ma Logique et ma Mathématique, et je consens que vous en fassiez un sacrifice à la mémoire de cet illustre, qui n'est plus en état de se défendre. Mais jusques à ce que vous ayez prononcé, je prétends que la véritable raison ou proportion des réfractions est encore inconnue, et que Θεῶν ἐν γέννασι κεῖται en compagnie de tant d'autres vérités que l'avenir découvrira peut-être mieux que n'a pu le faire le passé. Excusez ma longueur, et faites-moi l'honneur de me croire, etc.

RÉPONSE DE M. CLERSELIER

A M. DE FERMAT.

(Lettre 45 du tome III.)

A Paris, le 15 mai 1658.

MONSIEUR,

Je ne veux pas m'arrêter beaucoup à vous faire des excuses d'avoir tant tardé à faire réponse aux deux vôtres, l'une du troisième et l'autre du dixième mars dernier, parceque je me persuade que vous croirez aisément qu'il m'a fallu des obstacles invincibles pour m'empêcher de satisfaire à temps à des témoignages si obligeants de votre suffisance et de votre civilité. En effet, une maladie qui m'a détenu dans le lit presque tout ce tempslà, et qui m'a ôté le moyen de pouvoir attacher mon esprit à des spéculations si relevées, est la véritable cause qui m'a empêché de vous témoigner plus tôt ma reconnoissance. Mais tout cela seroit peu, si je pouvois aujourd'hui répondre à tous les doutes de votre sceptique, et satisfaire pleinement aux difficultés que vous proposez dans votre dernière;

car comme elles ne dépendent point du temps, la réponse n'en seroit de rien moins recevable et convaincante, pour , pour n'être pas venue à temps. Néanmoins, pourvu que ce soit à vous, monsieur, que j'aie affaire, et non point à votre sceptique, dont l'humeur seroit trop difficile à contenter, je me promets de pouvoir éclaircir la plupart de ses doutes, et de faire voir, si je ne me trompe, si clairement en quoi il s'est mépris lui-même dans ses raisonnements, que, vous prenant vous-même pour l'arbitre de nos différents et pour le juge de nos conclusions, j'espère que vous reconnoîtrez la subtilité des siennes et la vérité des miennes, c'est-à-dire de celles de M. Descartes.

Premièrement, je ne vois point que le raisonnement que fait M. Descartes, à l'occasion de la figure de la page 20 de sa Dioptrique, soit aucunement opposé au sens commun, ni que l'extension qu'il en fait de la réflexion à la réfraction soit forcée; car la même raison qui lui a fait conclure en la page 16 que la terre CBE ne pouvoit empêcher que la détermination de haut en bas, et non point celle de gauche à droite, pourcequ'elle est entièrement opposée à la première et point du tout à la seconde, la même lui a dû faire conclure dans la figure de la page 20 et 21 que la détermination de haut en bas pouvoit bien être changée en quelque façon par la rencontre de la toile ou de l'eau,

mais point du tout celle qui fait tendre la balle vers la main droite, à cause que l'eau ou la toile est en quelque façon opposée à l'une, et point à l'autre. Je vous prie de remarquer ici la façon de parler de M. Descartes (car c'est de là que dépend en partie la résolution de tous les doutes de votre sceptique ): il ne dit pas simplement que la détermination de haut en bas peut être changée par la rencontre de la toile, mais seulement qu'elle peut être changée en quelque façon; car en effet elle n'est pas tout-à-fait changée, puisque la balle continue de descendre, mais elle est changée en quelque façon, en tant que c'est changer en quelque façon la détermination qu'un mobile avoit à avancer vers un certain côté, que de faire que dans le même temps il n'avance pas tant vers ce côté-là qu'il faisoit auparavant; ce qui change la quantité de sa détermination.

De plus, trois circonstances que remarque votre sceptique pour l'empêcher d'admettre cette conséquence ne la peuvent aucunement infirmer; car que la vitesse soit diminuée, que le milieu soit changé, et que la détermination de haut en bas ne soit pas tout-à-fait empêchée, mais que la balle continue de descendre, tout cela ne doit point apporter de changement à la détermination de gauche à droite, à laquelle pas une de ces circonstances ne s'oppose et ne met obstacle, puisque

cette détermination peut demeurer la même, quoique la vitesse soit changée, une même détermination pouvant être jointe à différentes vitesses. Le milieu ne peut aussi apporter aucun changement à cette détermination, puisqu'il lui est également facile de s'ouvrir et faire passage d'un côté que d'autre; et bien que la balle continue de descendre, et ne remonte pas comme en la réflexion, cette détermination vers la droite se peut aussi bien faire et maintenir en descendant qu'en remon

tant.

Jusques ici votre sceptique auroit ce me semble tort de ne vouloir pas accorder que la détermination de gauche à droite demeure la même en la réfraction, après en être demeuré d'accord sans difficulté en la réflexion ; et il ne doit point appréhender qu'on le chicane sur l'explication de ce terme, et qu'on l'oblige à rien avouer qu'on ne prouve, et qui ne soit tiré par une conséquence légitime de ce qu'on a avancé auparavant, M. Descartes ayant trop soigneusement fait remarquer la différence qu'il y a entre la détermination et le mouvement, ou, comme vous dites, entre la détermination et la puissance qui meut, pour s'en oublier.

Mais voici le point qui effarouche votre sceptique, et qui lui fait perdre ce peu de respect qu'il sembloit encore porter au nom de M. Descartes;

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