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user afin que les lettres que j'ai eu l'honneur de recevoir du pays du Nord ne manquassent pas de tomber entre mes mains; car je vous suis d'ailleurs si acquis, et j'ai tant d'autres preuves de votre amitié, que cela ne m'est pas nouveau. Je vous dirai seulement qu'il ne s'en est égaré aucune, et que je me résous au voyage auquel j'ai été convié par les dernières, bien que j'y aie eu d'abord plus de répugnance que vous ne pourriez peut-être imaginer. Celui que j'ai fait à Paris l'été passé m'avoit rebuté; et je vous puis assurer que l'estime extraordinaire que je fais de M. Chanut, et l'assurance que j'ai de son amitié, ne sont pas les moins principales raisons qui m'ont fait résoudre.

Pour le Traité des passions, je n'espère pas qu'il soit imprimé qu'après que je serai en Suède, car j'ai été négligent à le revoir, et y ajouter les choses que vous avez jugé y manquer, lesquels l'augmenteront d'un tiers; car il contiendra trois parties, dont la première sera des passions en général, et par occasion de la nature de l'âme, etc., la seconde des six passions primitives, et la troisième de toutes les autres.

Pour ce qui est des difficultés qu'il vous a plu me proposer, je réponds à la première, qu'ayant dessein de tirer une preuve de l'existence de Dieu de l'idée ou de la pensée que nous avons de lui, j'ai cru être obligé de distinguer, premièrement, tou

tes nos pensées en certains genres, pour remarquer lesquelles ce sont qui peuvent tromper; et en montrant que les chimères mêmes n'ont point en elles de fausseté, prévenir l'opinion de ceux qui pourroient rejeter mon raisonnement, sur ce qu'ils mettent l'idée qu'on a de Dieu au nombre des chimères. J'ai dû aussi distinguer entre les idées qui sont nées avec nous et celles qui viennent d'ailleurs, ou sont faites par nous, pour prévenir l'opinion de ceux qui pourroient dire que l'idée de Dieu est faite par nous, ou acquise par ce que nous en avons de certitude ouï dire. De plus j'ai insisté sur le peu que nous avons de ce que nous persuadent toutes les idées que nous pensons venir d'ailleurs, pour montrer qu'il n'y en a aucune qui fasse rien connoître de si certain que celle que nous avons de Dieu. Enfin je n'avois pu dire qu'il se présente encore une autre voie, etc., si je n'avois auparavant rejeté toutes les autres, et par ce moyen préparé les lecteurs à mieux concevoir ce que j'avois à écrire.

2. Je réponds à la seconde, qu'il me semble voir très clairement qu'il ne peut y avoir de progrès à l'infini au regard des idées qui sont en moi, à cause que je me sens fini, et qu'au lieu où j'ai écrit cela, je n'admets en moi rien de plus que ce que je connois y être; mais quand je n'ose par après nier le grès à l'infini, c'est au regard des œuvres de Dieu,

pro

lequel je sais être infini, et par conséquent que ce n'est pas à moi à prescrire aucune fin à ses ouvrages.

3. A ces mots substantiam, durationem, numerum, etc., j'aurois pu ajouter veritatem, perfectionem, ordinem, et plusieurs autres dont le nombre n'est pas aisé à définir; et on peut disputer de toutes, si elles doivent être distinguées ou non des premières que j'ai nommées, car veritas non distinguitur a re vera, sive substantia, nec perfectio a re perfecta, etc.; c'est pourquoi je me suis contenté de mettre, et si quæ alia sint ejusmodi.

4. Per infinitam substantiam, intelligo substantiam perfectiones veras et reales actu infinitas et immensas habentem. Quod non est accidens notioni substantiæ superadditum, sed ipsa essentia substantiæ absoluté sumptæ, nullisque defectibus terminatæ, qui defectus ratione substantiæ accidentia sunt, non autem infinitas, vel infinitudo. Et il faut remarquer que je ne me sers jamais du mot d'infini pour signifier seulement n'avoir point de fin, ce qui est négatif, et à quoi j'ai appliqué le mot d'indéfini; mais pour signifier une chose réelle, qui est incomparablement plus grande que toutes celles qui ont quelque fin. 5. Or, je dis que la notion que j'ai de l'infini est en moi avant celle du fini; pourceque de cela seul que je conçois l'être ou ce qui est, sans penser s'il est fini ou infini, c'est l'être infini que je conçois ; mais afin que je puisse concevoir un être fini, il faut que je

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retranche quelque chose de cette notion générale de l'être, laquelle par conséquent doit précéder.

6. Est inquam hæc idea summe vera, etc. La vérité consiste en l'être, et la fausseté au non-être seulement; en sorte que l'idée de l'infini comprenant tout l'être, comprend tout ce qu'il y a de vrai dans les choses, et ne peut avoir en soi rien de faux, d'ailleurs on veuille supposer qu'il n'est

encore que

pas vrai

que cet étre infini existe.

7. Et sufficit me hoc ipsum intelligere. Nempe sufficit me intelligere hoc ipsum quod Deus a me non comprehendatur ut Deum juxta rei veritatem et qualis est intelligam, modo præterea judicem omnes in eo esse perfectiones quas clare intelligo, et insuper multo plures, quas comprehendere non possum.

8. Quantum ad parentes, ut omnia vera sint, etc. C'est-à-dire, encore que tout ce quenous avons coutume de croire d'eux soit peut-être vrai, à savoir, qu'ils ont engendré nos corps, je ne puis pas toutefois imaginer qu'ils m'aient fait, en tant que je ne me considère que comme une chose qui pense, à cause que je ne vois aucun rapport entre l'action corporelle, par laquelle j'ai coutume de croire qu'ils m'ont engendré, et la production d'une substance qui pense.

Omnem fraudem a defectu pendere, mihi est lumine naturali manifestum ; quia ens in quo nulla est

imperfectio non potest tendere in non ens, hoc est, pro fine et instituto suo habere non ens, sive non bonum sive non verum, hæc enim tria idem sunt. In omni autem fraude esse falsitatem manifestum est falsitatemque esse aliquid non verum, et ex consequenti non ens, et non bonum. Excusez si j'ai entrelardé cette lettre de latin; le peu de loisir que j'ai eu l'écrivant ne me permet pas de penser aux paroles, et j'ai seulement désir de vous assurer que je suis, etc.

A M. DE CARCAVI.

(Lettre 15 du tome III.)

Le 11 juin

1649.

MONSIEUR,

Je vous suis très obligé de l'offre qu'il vous a plu me faire de l'honneur de votre correspondance, touchant ce qui concerne les bonnes lettres, et je la reçois comme une faveur que je tâcherai de mériter par tous les services que je serai capable de vous rendre. J'avois cet avantage pendant la vie du bon P. Mersenne, que, bien que je ne m'enquisse jamais d'aucune chose, je ne laissois pas d'être averti soigneusement de tout ce qui se passoit entre les

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