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que je persiste dans le dessein d'y aller, en cas que la reine continue à témoigner qu'elle veut que j'y aille, et M. Chanut, notre R.' en ce pays-là, étant passé ici il y a huit jours, pour aller en France, m'a parlé si avantageusement de cette merveilleuse reine, que le chemin ne me semble plus si long ni si fâcheux qu'il faisoit auparavant; mais je ne partirai point que je n'aie reçu encore une fois des nouvelles de ce pays-là, et je tâcherai d'attendre le retour de M. Chanut pour faire le voyage avec lui, pourceque j'espère qu'on le renverra en Suède. Au reste, je m'estimerois extrêmement heureux si, lorsque j'y serai, j'étois capable de rendre quelque service à votre altesse. Je ne manquerai pas d'en rechercher avec soin les occasions, et ne craindrai point d'écrire ouvertement tout ce que j'aurai fait ou pensé sur ce sujet, à cause que ne pouvant avoir aucune intention qui soit préjudiciable à ceux pour qui je serai obligé d'avoir du respect, et tenant pour maxime que les voies justes et honnêtes sont les plus utiles et les plus sûres, encore que les lettres que j'écrirai fussent vues, j'espère qu'elles ne pourront être mal interprétées, ni tomber entre les mains de personnes qui soient si injustes que de trouver mauvais que je m'acquitte de mon devoir, et fasse profession ouverte d'être, etc.

I « Résident. >>

A M. FREINSHEMIUS'.

(Lettre 49 du tome I.) ·

MONSIEUR,

Entre les excellentes qualités de M. Chanut, celle qui me semble mériter le plus d'amitié est qu'il a soin de faire que tous ceux qu'il aime soient aussi amis les uns des autres. Et outre qu'il m'a assuré en passant ici qu'il vous a déjà inspiré quelque bonne volonté pour moi, il m'a si bien décrit votre vertu et votre franchise, que je ne laisserois pas d'être entièrement à vous, encore que je n'espérasse aucune part en votre affection. Ainsi, monsieur, je me promets que vous ne trouverez pas étrange que je m'adresse librement à vous en son absence, et que je vous supplie de me délivrer d'un scrupule qui vient de l'extrême désir que j'ai d'obéir ponctuellement à la reine votre maîtresse, touchant la grâce qu'elle m'a faite d'agréer que j'aie l'honneur de lui aller faire la révérence à Stockholm. M. Chanut vous sera témoin qu'avant

I a

Pas datée; mais on y voit qu'elle est postérieure à l'arrivée de M. Chanut en Hollande : aussi je la fixe au 10 juin 1649.»

qu'il fût arrivé ici, j'avois préparé mon petit équipage, et tâché de vaincre toutes les difficultés qui se présentent à un homme de ma sorte et de mon âge, lorsqu'il doit quitter sa demeure ordinaire pour s'engager à un si long chemin. Mais nonobstant qu'il m'ait trouvé ainsi disposé à partir, et que j'aie trouvé aussi qu'il étoit disposé à user de toutes sortes de raisons pour me persuader ce voyage, en cas que je n'y eusse pas été résolu; toutefois pourcequ'il ne m'a point dit qu'il eût aucun ordre de sa majesté pour me commander de me hâter, et que l'été est encore long, je lui ai proposé une difficulté dont il a trouvé bon que je vous priasse de m'éclaircir: c'est que n'ayant pu me préparer à ce voyage sans que plusieurs aient su que j'avois intention de le faire, et qu'ayant quantité d'ennemis, non point, grâce à Dieu, à cause de ma personne, mais en qualité d'auteur d'une nouvelle philosophie, je ne doute point que quelques uns n'aient écrit en Suède, pour tâcher de m'y décrier. Il est vrai que je ne crains pas que les calomnies aient aucun pouvoir sur l'esprit de sa majesté, pourceque je sais qu'elle est très sage et très clairvoyante; mais à cause que les souverains ont grand intérêt d'éviter jusqu'aux moindres occasions que leurs sujets peuvent prendre pour désapprouver leurs actions, je serois extrêmement marri que ma présence servît de sujet à la médisance de ceux qui

pourroient avoir envie de dire qu'elle est trop assidue à l'étude, ou bien qu'elle reçoit auprès de soi des personnes d'une autre religion, ou choses semblables; et bien que je désire extrêmement l'honneur de m'aller offrir à sa majesté, je souhaite plutôt de mourir dans le voyage, que d'arriver là pour servir de prétexte à des discours qui lui pussent être tant soit peu préjudiciables. C'est pourquoi, monsieur, je vous supplie, non point de parler de ceci à sa majesté, mais de prendre la peine de me mander, sur ce que vous jugerez de ses inclinations, et de la conjoncture des temps, ce qu'il est à propos que je fasse, et je manquerois pas d'y obéir exactement, soit que vous ordonniez que j'attende le retour de M. de Chanut ( car, quoi qu'il puisse dire, je ne crois pas qu'il ait laissé là madame sa femme, afin qu'elle retourne en France toute seule), soit que vous aimiez mieux que je me mette en chemin aussitôt après que j'aurai eu de vos nouvelles. Je vous demande encore une autre grâce, c'est qu'ayant été importuné par un ami de lui donner le petit Traité des passions que j'ai eu l'honneur d'offrir ci-devant à sa majesté, et sachant qu'il a dessein de le faire imprimer, avec une préface de sa façon, je n'ai encore osé lui envoyer, pour ce que je ne sais si sa majesté trouvera bon que ce qui lui a été présenté en particulier soit rendu public, même sans

lui être dédié. Mais pourceque ce traité est trop petit pour mériter de porter le nom d'une si grande princesse, à laquelle je pourrai offrir quelque jour unouvrage plus important, si cette sorte d'hommage ne lui déplaît point, j'ai pensé que peut-être elle n'aura point désagréable que j'accorde à cet ami ce qu'il m'a demandé; et c'est ce que je vous supplie très humblement de m'apprendre, car le principal de tous mes soins est de tâcher de lui obéir et de lui plaire. Au reste, afin que vous sachiez comment je me gouverne avec ceux auxquels je me donne, je vous dirai ici que je prétends que vous m'avez de l'obligation de ce que je souffre que vos offices previendront les miens, et que je suis, etc.

A M. CLERSELIER'.

(Lettre 119 du tome I.)

MONSIEUR,

Je ne m'étendrai point ici à vous remercier de tous les soins et des précautions dont il vous a plu

1 «< Après sa résolution prise d'aller en Suède; je date donc cette lettre du 15 avril 1649. »

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