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aussi que sa conscience lui a plus donné de satisfaction pendant les derniers moments de sa vie, que l'indignation, qui est la seule passion triste qu'on dit avoir remarquée en lui, ne lui a causé de fâcherie. Et pour ce qui est de la douleur, je ne la mets nullement en compte; car elle est si courte, que si les meurtriers pouvoient employer la fièvre ou quelque autre des maladies dont la nature a coutume de se servir pour ôter les hommes du monde, on auroit sujet de les estimer plus cruels qu'ils ne sont lorsqu'ils les tuent d'un coup de hache. Mais je n'ose m'arrêter long-temps sur un sujet si funeste, j'ajoute seulement qu'il vaut beaucoup mieux être entièrement délivré d'une fausse espérance que d'y être inutilement entretenu. Pendant que j'écris ces lignes, je reçois des lettres d'un lieu d'où je n'en avois point eu depuis sept ou huit mois; et une entre autres que la personne à qui j'avois envoyé le traité des Passions, il y a un an, a écrite de sa main pour m'en remercier. Puisqu'elle se souvient après tant de temps d'un homme si peu considérable comme je suis, il est à croire qu'elle n'oubliera pas de répondre aux lettres de votre altesse, bien qu'elle ait tardé quatre mois à le faire. On me mande qu'elle a donné charge à quelqu'un des siens d'étudier le livre de mes Principes, afin de lui en faciliter la lecture; je ne crois pas néanmoins qu'elle trouve

assez de loisir pour s'y appliquer, bien qu'elle semble en avoir la volonté. Elle me remercie en termes exprès du traité des Passions; mais elle ne fait aucune mention des lettres auxquelles il étoit joint,et l'on ne me mande rien du tout de ce payslà qui touche votre altesse: de quoi je ne puis deviner autre chose, sinon que les conditions de la paix d'Allemagne n'étant pas si avantageuses à votre maison qu'elles auroient pu être, ceux qui ont contribué à cela sont en doute si vous ne leur en voulez point de mal, et se retiennent pour ce sujet de vous témoigner de l'amitié. J'ai toujours été en peine, depuis la conclusion de cette paix, de n'apprendre point que monsieur l'électeur votre frère l'eût acceptée, et j'aurois pris la liberté d'en écrire plus tôt mon sentiment à votre altesse, si j'avois pu m'imaginer qu'il mît cela en délibération; mais pourceque je ne sais point les raisons particulières qui le peuvent mouvoir, ce seroit témérité à moi d'en faire aucun jugement. Je puis seulement dire en général que lorsqu'il est question de la restitution d'un état occupé ou disputé par d'autres qui ont les forces en main, il me semble que ceux qui n'ont que l'équité et le droit des gens qui plaide pour eux ne doivent jamais faire leur compte d'obtenir toutes leurs prétentions, et qu'ils ont bien plus de sujet de savoir gré à ceux qui leur en font rendre quelque partie, tant petite

qu'elle soit, que de vouloir du mal à ceux qui leur retiennent le reste; et encore qu'on ne puisse trouver mauvais qu'ils disputent leur droit le plus qu'ils peuvent, pendant que ceux qui ont la force en délibèrent, je crois que lorsque les conclusions sont arrêtées, la prudence les oblige à témoigner qu'ils en sont contents, encore qu'ils ne le fussent pas, et à remercier, non seulement ceux qui leur font rendre quelque chose, mais aussi ceux qui ne leur ôtent pas tout, afin d'acquérir par ce moyen l'amitié des uns et des autres, ou du moins d'éviter leur haine; car cela peut beaucoup servir par après pour se maintenir. Outre qu'il reste encore un long chemin pour venir des promesses jusqu'à l'effet, et que si ceux qui ont la force s'accordent seuls, il leur est aisé de trouver des raisons pour partager entre eux ce que peut-être ils n'avoient voulu rendre à un tiers que par jalousie les uns des autres, et pour empêcher que celui qui s'enrichiroit de ses dépouilles ne fût trop puissant, la moindre partie du Palatinat vaut mieux que tout l'empire des Tartares ou des Moscovites, et après deux ou trois années de paix, le séjour en sera aussi agréable que celui d'aucun autre endroit de la terre. Pour moi, qui ne suis attaché à la demeure d'aucun lieu, je ne ferois aucune difficulté de changer ces provinces ou même la France pour ce pays-là, si j'y pouvois trouver un repos aussi

assuré, encore qu'aucune autre raison que la beauté du pays ne m'y fit aller; mais il n'y a point de séjour au monde si rude ni si incommode auquel je ne m'estimasse heureux de passer le reste de mes jours si votre altesse y étoit, et que je fusse capable de lui rendre quelque service, pourceque je suis entièrement et sans aucune réserve, etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etc. '.

MADAME,

(Lettre 28 du tome I.)

J'ai été extrêmement surpris d'apprendre par les lettres de M. de P. que votre altesse a été long

« La 28 lettre du 1er volume est de M. Descartes à madame Élizabeth, princesse Palatine; elle n'est point datée, mais comme M. Descartes témoigne, page 86 de cette lettre, que les indispositions dont elle est attaquée viennent des sujets de fàcherie qu'elle a sans cesse, et que M. Descartes parle sans cesse des grands sujets de tristesse qu'elle a, cela fait juger que cette lettre est écrite depuis les sanglantes tragédies d'Angleterre et la conclusion de la paix de Munster, arrivée le 24 d'octobre 1648. Ainsi je crois cette lettre écrite en mars 1649, je la fixe donc au 15 mars 1649. Je devine un peu, mais rien ne fixe la date de cette lettre. »

temps malade, et je veux mal à ma solitude, pourcequ'elle est cause que je ne l'ai point su plus tôt. Il est vrai que, bien que je sois tellement retiré du monde que je n'apprenne rien du tout de ce qui s'y passe, toutefois le zèle que j'ai pour le service de votre altesse ne m'eût pas permis d'être si longtemps sans savoir l'état de sa santé, quand j'aurois dû aller à La Haye tout exprès pour m'en enquérir, şinon que M. de P. ' m'ayant écrit fort à la hâte, il y a environ deux mois, m'avoit promis de m'écrire derechef par le prochain ordinaire, et pourcequ'il ne manque jamais de me mander comment se porte votre altesse, pendant que je n'ai point de ses lettres, j'ai supposé que vous étiez toujours en même état; mais j'ai appris par ses dernières que votre altesse a eu trois ou quatre semaines durant une fièvre lente, accompagnée d'une toux sèche, et qu'après en avoir été délivrée pour cinq ou six jours, le mal est retourné, et que toutefois au temps qu'il m'a envoyé sa lettre (laquelle a été près de quinze jours par les chemins), votre altesse commençoit derechef à se porter mieux. En quoi je remarque les signes d'un mal si considérable, et néanmoins auquel il me semble que votre altesse peut si certainement remédier, que je ne puis m'abstenir de lui en écrire mon sentiment. Car bien que je ne sois pas médecin, l'honneur

reçu

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