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les choses qui sont ainsi séparées, l'une est dite être mue, et l'autre être en repos, comme j'ai expliqué dans les art. 25 et 30 de la seconde partie des Principes.

Ce transport que j'appelle mouvement n'est point une chose de moindre entité que la figure, c'est-à-dire elle est un mode dans le corps, et la force mouvante peut venir de Dieu qui conserve autant de transport dans la matière qu'il y en a mis au premier mouvement de la création, ou bien de la substance créée, comme de votre âme, ou de quelque autre chose que ce soit, à qui il a donné la force de mouvoir le corps; et cette force dans la substance créée est son mode, mais elle n'est pas un mode en Dieu; ce qui étant un peu au-dessus de la portée du commun des esprits, je n'ai pas voulu traiter cette question dans mes écrits, pour ne pas sembler favoriser le sentiment de ceux qui considèrent Dieu comme l'âme du monde unie à la matière. Je considère la matière laissée à elle-même, et ne recevant aucune impulsion d'ailleurs, comme parfaitement en repos; et elle est poussée par Dieu qui conserve en elle autant de mouvement ou de transport qu'il y en a mis dès le commencement; et ce transport ne cause pas plus de violence à la matière que le repos; car le nom de violence ne se rapporte qu'à notre volonté, qui souffre, dit-on, violence, lorsque

quelque chose se fait qui y répugne: or dans la nature il n'y a rien de violent, mais il est aussi naturel aux corps de se pousser mutuellement, ou de se briser quand cela arrive, que de se tenir en repos. Mais ce qui a été la cause, à ce que je crois, de la difficulté que vous avez proposée, est que vous concevez une certaine force dans le corps qui est en repos, par laquelle il résiste au mouvement, comme si cette force étoit quelque chose de positif, c'est-à-dire une certaine action distincte du repos même, quoique ce ne soit qu'une entité modale.

Vous remarquez fort bien que le mouvement, en tant qu'il est mode du corps, ne peut passer d'un corps dans un autre, et je ne l'ai pas dit aussi. Bien plus, je crois que le mouvement, en tant qu'il est un tel mode, reçoit des changements continuels; car autre chose est le mode dans le premier point du corps A, qui est séparé du premier point du corps B, et autre celui qui est séparé du deuxième et du troisième, etc.

Or lorsque j'ai dit qu'il restoit toujours autant de mouvement dans la matière, j'ai entendu cela de la force qui pousse ses parties, laquelle force s'applique tantôt à une partie de la matière, tantôt s'applique aux autres, selon les lois proposées dans l'art. 45, pag. 110, et dans les suivantes de la seconde partie. Il ne faut donc pas s'embarras

ser du transport du repos d'un sujet à un autre, puisque le mouvement même, en tant qu'il est un mode opposé au repos, ne passe point ainsi. A l'égard de ce que vous ajoutez que le corps vous semble jouir d'une vie, mais stupide et pleine d'ivresse, etc., je regarde cela comme de fort belles paroles; mais permettez-moi une fois pour toutes, avec cette liberté dont vous m'avez permis d'user à votre égard, que rien ne nous éloigne plus du chemin de la vérité que d'établir certaines choses, comme véritables, qu'aucune raison positive, mais notre volonté seule, nous persuade, c'est-à-dire lorsque nous avons inventé ou imaginé quelque chose, et qu'après cela nos fictions nous plaisent, comme vous faites à l'égard de ces anges corporels, de cette ombre de l'essence divine, et autres choses semblables que personne ne doit admettre, parceque c'est le vrai moyen de se fermer tout chemin à la vérité.

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A MADAME LA PRINCESSE PALATINE'.

MADAME,

(Lettre 27 du tome I.)

Entre plusieurs fâcheuses nouvelles que j'ai reçues de divers endroits en même temps, celle qui m'a le plus vivement touché a été la maladie de votre altesse, et bien que j'en aie aussi appris la guérison, il ne laisse pas d'en rester encore des marques de tristesse en mon esprit qui n'en pourront être sitôt effacées. L'inclination à faire des vers, que votre altesse avoit pendant son mal, me fait souvenir de Socrate, que Platon dit avoir eu une pareille envie pendant qu'il étoit en prison. Et je crois que cette humeur de faire des vers vient d'une forte agitation des esprits animaux, qui pourroient entièrement troubler l'imagination de

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I « La 27 lettre du 1er volume, page 82, est de M. Descartes à la prin cesse Palatine. Elle n'est point datée, mais comme M. Descartes dit, page 83 de cette lettre, que pendant qu'il écrit ces lignes il reçoit des lettres de Suède de la reine et de M. Chanut, et que les lettres par lesquelles il répond à ces deux lettres sont datées du 26 février 1649, il y a de l'apparence qu'il n'y avoit que peu de jours qu'il les avoit reçues; ainsi je fixe cette lettre au 20 février 1649.

ceux qui n'ont pas le cerveau bien rassis, mais qui ne fait qu'échauffer un peu les plus fermes et les disposer à la poésie; et je prends cet emportement pour une marque d'un esprit plus fort et plus relevé que le commun. Si je ne reconnoissois le vôtre pour tel, je craindrois que vous ne fussiez extraordinairement affligée d'apprendre la funeste conclusion des tragédies d'Angleterre ; mais je me promets que votre altesse étant accoutumée aux disgrâces de la fortune, et s'étant vue soi-même depuis peu en grand péril de sa vie, ne sera pas si surprise ni si troublée d'apprendre la mort d'un de ses proches, que si elle n'avoit point reçu auparavant d'autres afflictions. Et bien que cette mort si violente semble avoir quelque chose de plus affreux que celle qu'on attend en son lit, toutefois, à le bien prendre, elle est plus glorieuse, plus heureuse et plus douce, en sorte que ce qui afflige particulièrement en ceci le commun des hommes doit servir de consolation à votre altesse; car c'est beaucoup de gloire de mourir en une occasion qui fait qu'on est universellement plaint, loué et regretté de tous ceux qui ont quelque sentiment humain. Et il est certain que sans cette épreuve la clémence et les autres vertus du roi dernier mort n'auroient jamais été tant remarquées ni tant estimées qu'elles sont et seront à l'avenir par tous ceux qui liront son histoire. Je m'assure

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