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A la troisième. Je ne saurois mieux expliquer la force réciproque dans la séparation mutuelle de deux corps au respect l'un de l'autre, qu'en supposant un petit bateau dont le fond touche le sable, le long des bords d'un fleuve, et deux hommes, l'un desquels se tenant sur le rivage, pousse avec ses mains le petit bateau pour l'écarter de la terre, et un autre homme se tenant sur le même bateau qui pousse le rivage avec ses mains, pour écarter aussi le bateau de la terre si les forces de ces deux hommes sont égales, l'effort de celui qui est à terre et qui par conséquent est joint à la terre, ne sert pas moins au mouvement du bateau, que l'effort de l'autre qui est transporté avec le bateau; d'où il est clair que l'action qui fait reculer le bateau de la terre n'est pas moindre sur la terre même que dans le bateau, et cet homme qui s'éloigne de vous pendant que vous êtes assis ne fait pas une difficulté; car lorsque je parle ici du transport, j'entends seulement celui qui se fait par la séparation de deux corps qui se touchent immédiatement.

A la quatrième. Le mouvement de la lune détermine la matière céleste, et par conséquent la terre qui fait un tout avec elle, en sorte qu'elle est emportée plutôt d'un côté que d'un autre ; c'est-àdire, comme on voit dans la figure, plutôt de la partie A vers B que vers D, sans lui communiquer

pour cela la vitesse du mouvement; et comme cette vitesse dépend de la matière céleste, et qu'elle se meut à peu près aussi vite contre la terre que vers la lune, la terre devroit avoir un mouvement deux fois plus rapide que celui qu'elle a pour faire soixante fois son tour dans le même temps que la lune ne feroit qu'une fois le sien, plus grand soixante fois que celui de la terre, si la grandeur ne s'y opposoit, comme je l'ai dit à l'article 151 de la treizième partie, pag. 301.

A la cinquième. Je ne suppose point d'autre lien et d'autre ténacité dans les plus petites parties de la matière, que celle que je conçois dans les parties grandes et sensibles qui dépendent du mouvement et du repos des parties; mais il faut observer que les parties cannelées sont formées d'une matière très subtile, et divisée en petites parties innombrables ou indéfinies qui se joignent ensemble pour les composer, en sorte que je conçois un plus grand nombre de petites parties dans chaque partie cannelée, que l'on n'en conçoit communément dans les plus grands corps.

A la sixième. J'ai tâché d'expliquer dans le traité des passions la plupart des choses que vous demandez ici. J'ajoute seulement que je n'ai rien trouvé jusqu'ici sur la nature des choses matérielles dont je ne puisse donner très facilement une raison mécanique, et comme il ne messied

pas à un philosophe de croire que Dieu peut mouvoir le corps, quoiqu'il ne pense pas que Dieu soit corporel, il ne lui messied pas aussi de croire quelque chose de semblable des substances incorporelles : et bien que je croie qu'aucune manière d'agir ne convient dans le même sens à Dieu et aux créatures, j'avoue cependant que je ne trouve en moi-même aucune idée qui me représente une manière différente dont Dieu ou un ange peuvent mouvoir la matière de celle qui me représente la matière dont je suis convaincu en moi-même, que je puis mouvoir mon corps par ma pensée; et véritablement ma pensée ne peut pas tantôt s'étendre, tantôt se rassembler par rapport au lieu à raison de sa substance, mais seulement à raison de sa puissance, qu'elle peut appliquer à des corps plus grands ou plus petits.

A la septième. Si le monde avoit été de toute éternité, certainement cette terre ne seroit pas depuis l'éternité; mais il s'en seroit produit d'autres en différents endroits, et toute la matière n'auroit pas été réduite au premier élément; car comme quelques unes de ses parties se brisent en certains endroits, d'autres s'unissent ensemble en d'autres lieux sans qu'il y ait plus de mouvement ou d'agitation en un temps qu'en un autre dans tout l'univers.

A la huitième. Par la manière dont j'ai décrit la

production de la terre, c'est-à-dire des parties de la matière du premier élément qui se réunissent les uns aux autres, il s'ensuit évidemment que les parties d'eau et toutes les autres qui sont dans la terre ont des pores; car, comme ce premier élément n'est composé que des parties indéfiniment divisées, il s'ensuit de là qu'il faut concevoir des pores jusques à la dernière division possible dans tous les corps qui en sont composés.

A la neuvième. Par ce que j'ai dit ci-dessus de deux hommes, dont l'un est mû avec le bateau et l'autre demeure immobile sur le rivage, j'ai fait assez voir que je ne crois pas qu'il y ait rien de plus positif dans le mouvement de l'un que dans

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Je ne comprends pas bien ce que veulent dire ces derniers mots : An ulla res affectionem habere potest naturaliter et à se qut penitus potest destitui, vel quam aliunde potest adsciscere.

Au reste, monsieur, je vous prie d'être très persuadé que je recevrai toujours avec beaucoup de plaisir toutes les questions et les objections que vous me ferez sur mes ouvrages, et que je tâcherai d'y répondre le mieux qu'il me sera possible. Je suis avec un parfait attachement, etc.

A Egmond, le 15 avril 1649.

LETTRE DE M. MORUS ·

A M. DESCARTES.

(Lettre 70 du tome I. Version.)

MONSIEUR,

J'eus toutes les peines du monde, quand j'eus reçu votre dernière lettre, de m'empêcher de vous récrire sur-le-champ, bien que c'eût été à moi une incivilité de le faire, ayant compris par les termes de votre lettre que vous seriez occupé durant plusieurs semaines. De plus je me trouvai dans un tel embarras depuis la mort de mon père, que, malgré tout mon empressement, je n'aurois pu trouver un moment commode pour cela. Aujourd'hui que j'ai assez de loisir, je reviens à vous, et à votre philosophie, et je vous rends mille grâces de la bonté que vous avez eue de m'accorder plein pouvoir de faire sur vos écrits toutes les questions et toutes les objections qu'il me plairoit.

Mais pour ne pas abuser de votre honnêteté par des altercations éternelles (car jusques ici nous n'avons touché que cette partie de la philosophie qui est toute dans les combats des mots, et dans

* « 1649, 23 juillet, »

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