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de ne pas multiplier à l'infini les objections et les réponses; mais ayant trouvé l'occasion favorable d'avoir votre décision sur les matières qui se sont présentées, et surtout de vous avoir vous-même pour interprète des difficultés que je pourrois rencontrer dans la lecture de vos ouvrages, je me suis flatté, monsieur, que vous m'accorderiez cette faveur. Le plaisir que vous m'avez fait de me dévoiler les secrets de votre art m'engage à vous demander la même grâce pour quelques objections que je vais vous faire. Je demande donc, 1° s'il auroit pu arriver, ou par les décrets divins, ou par quelque autre manière, que le monde fût fini, c'est-àdire borné par un nombre déterminé de millions de lieues; car il me semble que ce n'est pas un foible argument que le monde puisse être fini, en ce que presque tout le monde croit qu'il est impossible qu'il soit infini. 2° Je suppose que quelqu'un fût assis aux extrémités de ce monde, et je demande s'il pourroit enfoncer son épée jusques à la garde au travers les bornes du monde, en sorte que toute la lame de l'épée fût hors des confins du monde; d'un côté la chose paroît facile à faire, puisqu'il n'y auroit rien hors du monde qui résistât, et de l'autre la chose paroît impossible, parcequ'il n'y auroit rien d'étendu hors du monde, qui pût recevoir la lame de l'épée.

3o A l'art. 29 de la seconde partie, p. 91, si le corps AB, transporté du voisinage du corps CD, je demande comment il est certain que le transport soit réciproque; car supposons que le corps CD est une tour, et AB un vent d'occident qui passe par le côté de la tour: or, la tour CD est en repos, ou du moins ne s'éloigne point devant AB; si elle s'en éloigne, ou, comme vous dites, si elle est transportée par le mouvement, elle est donc mue vers l'occident; mais elle n'est point transportée vers l'occident, puisque la terre et les vents sont portés vers l'orient. Elle paroît donc en repos par rapport au vent, puisqu'elle ne reçoit aucun mouvement de lui; cependant vous dites que le transport de cette tour et du vent (lequel transport est un mouvement) est réciproque; ainsi la tour seroit en mouvement et en repos par rapport à ce même vent. Ce qui n'est pas bien loin de la contradiction. Lorsque celui qui en se promenant s'éloigne de moi, qui suis assis, de l'espace de mille pas par exemple, et s'est échauffé et fatigué, et que je ne le suis pas, c'est là un signe qu'il s'est mû, et que je me suis tenu en repos pendant ce tempslà. Dans le mouvement de cet homme qui marche, je ne remarque qu'un rapport que ma pensée y fait des différentes distances où nous nous trouvons, et aucun mouvement réel et physique.

4° A l'art. 149 de la troisième partie, p. 500.

Et ainsi elle fera que la terre tournera sur son axe, etc. Comment fera la lune, afin que la terre achève dans un jour son tour sur son propre centre, puisqu'elle-même emploie trente jours pour achever le sien ? Ce qui est dit à l'article 151, p. 301, ne touche point, selon moi, cette question.

5° A l'égard de ces petites parties tournées, que vous appelez cannelées, comment ont-elles pu être ainsi tournées? Ne devoient-elles pas plutôt être brisées et rompues en une infinité de petites parties réduites en atomes? Quelle lenteur et quelle consistance pourrons-nous imaginer dans cette première matière, dont toutes les parties sont homogènes, et entièrement semblables en ellesmêmes; d'où vient que ces petites parties étoient d'ailleurs molles, et comment se sont-elles dans la suite endurcies?

6o A l'art. 189 de la quatrième partie, p. 503, notre âme est étroitement jointe et unie au cerveau ; vous me ferez bien plaisir de m'apprendre ce que vous pensez de l'union de l'âme avec le corps; si elle est unie à tout le corps, ou seulement au cerveau, ou si elle est seulement renfermée dans la glande pinéale, comme dans une espèce de petite prison; car je regarde cette glande, selon vos principes, comme le siége du sens commun, et comme la forteresse de l'âme. Je doute pourtant si l'âme n'occupe pas tout le corps. Outre cela, je vous

prie, comment se peut-il faire que l'âme n'ayant ni parties crochues ni branchues, puisse s'unir si étroitement au corps? Je vous demande encore, n'y a-t-il pas des effets dans la nature, dont on ne sauroit rendre aucune raison mécanique? Ce sentiment naturel que nous avons de notre propre existence, d'où naît-il? Et cet empire que notre âme a sur les esprits animaux, d'où vient-il aussi ? Comment s'y prend-elle pour les faire couler dans toutes les parties du corps? Comment les esprits de ces sorciers, qu'on nomme familiers, savent-ils si bien disposer la matière et la combiner, pour se rendre visibles et palpables à ces détestables vieilles? c'est une vérité que j'ai apprise, non seulement de plusieurs de ces vieilles sorcières, mais encore de plusieurs jeunes, qui me l'ont avoué sans aucune contrainte.

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Or, n'éprouvons-nous pas nous-mêmes en quelque façon la même chose dans nos âmes, lorsque nous pouvons à notre gré pousser ou arrêter nos esprits animaux; les envoyer ou les rappeler, comme il nous plaît? Je demande donc s'il seroit indigne d'un philosophe de reconnoître dans la nature une substance incorporelle, qui peut cependant imprimer dans quelque corps toutes les propriétés du corps, ou du moins la plupart, tels que sont le mouvement, la figure, la situation des parties, etc., comme les corps peuvent le faire les

uns à l'égard des autres; mais de plus, comme il est presque certain que cette substance remue et arrête les corps, ne pourroit-elle pas y ajouter aussi ce qui est une suite du mouvement, comme diviser, unir, dissiper, lier, figurer des petites parties, disposer les figures, faire circuler celles qui sont ainsi disposées, ou les mouvoir en quelque sens que ce soit, arrêter leur mouvement circulaire, et autres choses semblables qui produisent nécessairement la lumière, les couleurs, et les autres objets sensibles selon vos principes.

Outre cela, comme rien de corporel ni d'incorporel ne peut agir sur une autre chose que par l'application de son essence, ce même philosophe ne pourroit-il pas en conclure nécessairement que, soit que ce soit un bon ou mauvais ange, notre esprit ou Dieu qui agisse sur la matière de la manière que nous l'avons dit, il faut que l'essence de cette chose, quelle qu'elle soit, se promène pour ainsi dire sur ces parties de matière sur lesquelles elle agit, ou sur quelques autres qui agissent sur elles, en leur transmettant leur mouvement; bien plus, qu'elle se trouve quelquefois présente à toute cette matière, qu'elle dirige et modifie comme cela est constant des anges bons et mauvais qui se sont montrés à nos yeux; car autrement, comment auroient-ils pu resserrer la matière, et la contenir sous une telle ou telle figure?

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