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noît Dieu positivement infini, c'est-à-dire existant partout, comme vous faites avec raison, je ne vois pas qu'on puisse hésiter raisonnablement d'admettre sur-le-champ qu'il n'est oisif nulle part, mais qu'il a produit partout de la matière avec la même puissance et la même facilité qu'il a créé celle dans laquelle nous vivons, où bien celle jusqu'où nos yeux et notre esprit peuvent s'étendre; mais je m'aperçois que je m'étends plus loin que je ne m'étois proposé: j'arrête cette ardeur de mon esprit, de peur de vous déplaire.

2. Lorsque vous dites, « si elle est seulement in>> finie par rapport à nous, elle sera réellement » finie,»

Cela est vrai, et j'ajoute de plus que c'est une conséquence très claire et très certaine, parceque la particule seulement exclut entièrement toute infinité de la chose, qui est dite infinie seulement par rapport à nous, et par conséquent ce sera une extension réellement finie, et que mon esprit comprend parfaitement, puisque je suis évidemment certain que le monde est ou fini ou infini, comme je l'ai dit ci-dessus.

3. Car c'est supposer que Dieu a des parties séparées les unes des autres, qu'il est divisible; » et c'est lui attribuer l'essence des corps. »

D

Non, ce n'est

pas

lui en attribuer; car je nie que

l'étendue convienne au corps en tant que corps, mais seulement en tant qu'être, ou du moins en tant que substance; outre cela, puisque Dieu, autant que notre esprit peut le comprendre, est tout entier partout, et que son essence entière se trouve présente dans tous les lieux ou dans tous les espaces, et dans chaque point de ces espaces, il ne s'ensuit point qu'il auroit des parties séparées les unes des autres, ou, ce qui en est une conséquence, qu'il seroit divisible, quoiqu'il occupe entièrement et précisément tous les lieux, sans laisser aucun intervalle vide, ce qui fait que je reconnois la présence de Dieu, ou la grandeur divine, comme vous l'appelez, capables d'être mesurées, sans que Dieu soit pour cela en aucune façon divisible. Que Dieu occupe et remplisse chaque point du monde, c'est ce que tous les philosophes et les ignorants avouent également et dont j'ai une idée claire et distincte, et que mon esprit embrasse sans peine son essence divine est la même au dedans et au dehors du monde; en sorte que si nous supposens le monde enfermé ou terminé par le ciel visible des étoiles, le centre de l'essence divine et sa présence totale se réitérera hors du ciel étoilé, de la même manière que nous la concevons clairement au dedans. Or cette réitération du centre divin qui occupe le monde, continuée plus loin, doit développer avec soi hors

du ciel visible des espaces infinis, et si elle n'est accompagnée de votre matière indéfinie, adieu vos tourbillons; mais afin que ceci se fasse mieux admettre à l'esprit, essayons ce raisonnement sur la durée successive de Dieu.

Dieu est éternel, c'est-à-dire la vie divine embrasse les révolutions de tous les siècles, et l'ordre des choses passées, futures et présentes ; cependant cette vie éternelle est présente à tous les instants du temps et les suit pas à pas, en sorte qu'on peut dire avec justice et vérité que Dieu jouit de son éternité depuis tant de jours, de mois et d'heures. Par exemple, si nous supposons que le monde a été créé depuis cent ans, cette éternité de Dieu entière, et qui embrasse tout, n'aura-t-elle pas duré jusqu'à ce jour par des heures, des jours, des mois et des années, c'est-à-dire cent ans qui se seront succédé jusqu'à ce jour or Dieu n'est point autre depuis la création du monde qu'il a été auparavant.

Il est donc manifeste qu'outre l'éternité infinie, la succession de durée convient encore à Dieu. Cela supposé, pourquoi ferons-nous difficulté de lui attribuer une extension qui remplisse des espaces infinis, aussi bien qu'une succession infinie de durée.

Bien plus, toutes les fois que je reprends de plus haut et plus originairement ces choses, je suis

dans ce sentiment, que l'une et l'autre extension, tant de l'espace que du temps, conviennent également aux non-êtres et aux êtres; et je me doute qu'on peut également se former un préjugé, que toutes les choses étendues sont corporelles

sur

ce que tout ce que nous manions et ce que nous sentons, qui est solide et corporel, est étendu, que cet autre préjugé, qu'il y a des choses non corporelles étendues.

Et, ce qui me fait conjecturer que l'étendue tombe aussi sur le non-être, c'est qu'être étendu ne dénote autre chose que des parties qui existent hors d'autres parties; or la partie et le tout, le sujet et l'adjoint, la cause et l'effet, les contraires et les relatifs, les contradictoires et les privatifs, et autres semblables, ne sont que termes de logique, et nous les appliquons également aux non-êtres comme aux autres; d'où il ne suit pas que tout ce que nous concevons avoir des parties existantes les unes hors des autres doive être conçu comme un être réel.

Mais combien de fois l'esprit humain lutte ici avec son ombre, semblable à ces petits chiens qui courent après leur queue: car notre esprit se forge de tels combats ou de tels jeux, lorsque considérant les raisons et les modes de logique sur le pied des choses extérieures, il ne fait pas réflexion que ce sont seulement des manières de penser; mais

croyant que c'est quelque chose de distinct dans les choses mêmes, il se joue jusqu'à se fatiguer en tâchant d'attraper, pour ainsi dire, sa propre queue, et se trouve comme pris dans des filets. Mais j'ai discouru ici imprudemment plus que je ne voulois; je passe à ce qui reste.

4. « Car quelque part où l'on conçoive ce lieu» là, il y a, selon moi, quelque matière. »

D

Vous êtes ici un homme de grande précaution, et d'une retenue bien fine; mais avec tous ces raisonnements vous admettez le monde infini avec Aristote. Si ce philosophe a donné une bonne définition de l'infini, qu'il appelle dans son troisième livre de physique ce dont quelque partie est toujours par-delà, nous voilà parfaitement d'accord.

5. Cependant je crois qu'il y a une grande différence entre l'immensité ou la grandeur de cette étendue corporelle, etc. »

J'admets aussi une différence infinie entre la grandeur ou l'immensité divine et la corporelle: 1° en ce que celle-là ne peut tomber sous les sens, à la différence de celle-ci; 2° en ce que celle-là est incréée et indépendante, et celle-ci dépendante et créée; la première, pénétrable et pénétrant tout; la seconde, solide et impénétrable; enfin, en ce que celle-là naît de la reproduction continuelle de l'essence divine en tous lieux, et celle-ci de l'ap

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