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dans vos pensées, en diminue la clarté la voulant revêtir de ses figures, elle vous est pourtant une preuve de la capacité de nos âmes à recevoir de Dieu une connoissance intuitive. Il me semble voir que vous avez pris occasion de douter, sur l'opinion que vous avez que la connoissance intuitive de Dieu est celle où l'on connoît Dieu par lui-même; et sur ce fondement, vous avez bâti ce raisonnement: Je connois que Dieu est un, parceque je connois qu'il est un être nécessaire; or cette forme de connoître ne se sert que de Dieu même; donc je connois que Dieu est un par lui-même, et par conséquent je connois intuitivement que Dieu est un. Je ne pense pas qu'il soit besoin d'un grand examen pour détruire ce discours. Vous voyez bien que connoître Dieu par soi-même, c'est-à-dire par

une illustration immédiate de la divinité sur notre esprit, comme on l'entend par la connoissance intuitive, est bien autre chose que se servir de Dieu même pour en faire une induction d'un attribut à l'autre, ou, pour parler plus convenablement, se servir de la connoissance naturelle (et par conséquent un peu obscure, du moins si vous la comparez à l'autre) d'un attribut de Dieu, pour en former un argument qui conclura un autre attribut de Dieu. Confessez donc qu'en cette vie vous ne voyez pas en Dieu et par sa lumière qu'il est un; mais vous le concluez d'une proposition que vous avez

faite de lui, et vous la tirez par la force de l'argumentation, qui est une machine souvent défec.tueuse. Vous voyez ce que vous pouvez sur moi, puisque vous me faites passer les bornes de philosopher que je me suis prescrites, pour vous témoigner par là combien je suis, etc.

A M. CHANUT.

(Lettre 40 du tome I.)

MONSIEUR,

Vous mesurez merveilleusement bien les temps, car justement j'ai trouvé à La Haye, lorsque j'étois en chemin pour venir ici, la lettre que vous vouliez que je pusse recevoir avant mon partement de Hollande; elle vint seulement en cela trop tard, que m'étant proposé de partir le jour même qu'on me la rendit, je fus contraint de différer ma réponse jusqu'à mon arrivée en cette ville. J'ai eu cependant tout le loisir de repasser par mon imagination la belle description que vous faites de cette chasse, où l'on porte des livres, et où vous

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« On voit qu'elle est écrite de Paris, dans son voyage de 1648; ainsi je la date de mai 1648. »

me donnez l'espérance que mon écrit aura cette prérogative au-dessus de beaucoup d'autres, d'être revu par la reine de Suède. La grande estime que je fais de l'esprit de cette incomparable princesse me donne sujet d'appréhender que cet écrit ne lui puisse plaire, puisqu'ayant déjà pris la peine de le voir, ainsi que vous me mandez qu'elle a fait, elle n'a pas voulu néanmoins vous en dire encore son sentiment; mais je me console sur ce que vous ajoutez qu'elle s'est proposé de le revoir : car elle ne daigneroit pas s'arrêter à cela, si elle n'a voit rien trouvé qu'elle approuvât. Et je me flatte de cette opinion, que c'est plutôt l'ordre, l'agencement et les ornements de l'élocution qui y manquent, que non pas la vérité des pensées; ce qui me fait espérer plus d'approbation de la seconde lecture que de la première. Vous direz peut-être que je me donne en ceci trop de vanité; mais je vous prie d'en attribuer la faute à l'air de Paris plutôt qu'à mon inclination: car je crois vous avoir déjà dit autrefois que cet air me dispose à concevoir des chimères, au lieu de pensées de philosophe. Je vois tant d'autres personnes qui se trompent en leurs opinions et en leurs calculs, qu'il me semble que c'est une maladie universelle. L'innocence du désert d'où je viens me plaisoit beaucoup davantage, et je ne crois pas que je puisse m'empêcher d'y retourner dans peu de

temps; mais en quelque lieu du monde que je sois, je vous prie de croire que vous y aurez, etc.

A MADAME ÉLIZABETH,

PRINCESSE PALATINE, etc. '.

MADAME,

(Lettre 41 du tome I.)

Encore que je sache bien que le lieu et la condition où je suis ne me sauroient donner aucune occasion d'être utile au service de votre altesse, je ne satisferois pas à mon devoir ni à mon zèle, si, après être arrivé en une nouvelle demeure, je manquois à vous renouveler les offres de ma très humble obéissance. Je me suis rencontré ici en une conjoncture d'affaires que toute la prudence humaine n'eût su prévoir. Le parlement joint avec les autres cours souveraines s'assemblent maintenant tous les jours, pour délibérer touchant quelques ordres qu'ils prétendent devoir être mis aut maniement des finances, et cela se fait à présent avec la permission de la reine, en sorte qu'il y a de

De quelques jours après son arrivée à Paris, et comme il y arriva à la fin de mai, je crois celle-ci da 8 juin 1648. »

le

l'apparence que l'affaire tirera de longue; mais il est malaisé de juger ce qui en réussira. On dit qu'ils se proposent de trouver de l'argent suffisamment pour continuer la guerre, et entretenir de grandes armées, sans pour cela fouler le peuple: s'ils prennent ce biais, je me persuade que ce sera moyen de venir enfin à une paix générale. Mais en attendant que cela soit, j'eusse bien fait de me tenir au pays où la paix est déjà; et si ces orages ne se dissipent bientôt, je me propose de retourner vers Egmond dans six semaines ou deux mois, et de m'y arrêter jusqu'à ce que le ciel de France soit plus serein. Cependant, me tenant comme je fais un pied en un pays, et l'autre en un autre, je trouve ma condition très heureuse, en ce qu'elle est libre; et je crois que ceux qui sont en grande fortune diffèrent davantage des autres, en ce que les déplaisirs qui leur arrivent leur sont plus sensibles, que non pas en ce qu'ils jouissent de plus de plaisirs, à cause que tous les contentements qu'ils peuvent avoir, leur étant ordinaires, ne les touchent pas tant que les afflictions, qui ne leur viennent que lorsqu'ils s'y attendent le moins, et qu'ils n'y sont aucunement préparés ; ce qui doit servir de consolation à ceux que la fortune a accoutumés à ses disgrâces. Je voudrois qu'elle fût aussi obéissante à tous vos désirs, que je serai toute ma vie, etc.

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