Page images
PDF
EPUB

le

dès le commencement de son origine; je dis l'animal en général, car pour l'homme en particulier je ne l'oserois entreprendre, faute d'avoir assez d'expériences pour cet effet: au reste je considère ce qui me reste de cet hiver comme le temps plus tranquille que j'aurai peut-être de ma vie, ce qui est cause que j'aime mieux l'employer à cette étude qu'à une autre qui ne requiert pas tant d'attention. La raison qui me fait craindre d'avoir ci-après moins de loisir, est que je suis obligé de retourner en France l'été prochain, et d'y passer l'hiver qui vient; mes affaires domestiques et plusieurs raisons m'y contraignent. On m'y a fait aussi l'honneur de m'y offrir pension de la part du roi, sans que je l'aie demandée, ce qui ne sera point capable de m'attacher; mais il peut arriver en un an beaucoup de choses: il ne sauroit toutefois rien arriver qui puisse m'empêcher de préférer le bonheur de vivre au lieu où seroit votre altesse, si l'occasion s'en présentoit, à celui d'être en ma propre patrie, ou en quelque autre lieu que ce puisse être. Je n'attends encore de long-temps réponse à la lettre touchant le souverain bien, pourcequ'elle a demeuré près d'un mois à Amsterdam, par la faute de celui à qui je l'avois envoyée pour l'adresser, mais sitôt que j'en aurai quelques nouvelles, je ne manquerai pas de le faire savoir à votre altesse: elle ne contenoit aucune chose de nouveau

qui méritât de vous être envoyée. J'ai reçu depuis quelques lettres de ce pays-là, par lesquelles on me mande que les miennes sont attendues, et selon qu'on m'écrit de cette princesse, elle doit être extrêmement portée à la vertu, et capable de bien juger des choses; on me mande qu'on lui présentera la version de mes Principes, et qu'on m'assure qu'elle en lira la première partie avec satisfaction, et qu'elle seroit bien capable du reste, si les affaires ne lui en ôtoient le loisir. J'envoie avec cette lettre un livret de peu d'importance, et je ne l'enferme pas en même paquet, à cause qu'il ne vaut pas le port; ce sont les insultes de M. Regius qui m'ont contraint de l'écrire, et il a été plus tôt imprimé que je ne l'ai su: même on y a joint des vers et une préface que je désapprouve, quoique les vers soient de M. H.', mais qui n'a osé y mettre son nom, comme aussi ne le devoit-il pas. Je suis, etc,

A M. CHANUT.

(Lettre 37 du tome I.)

MONSIEUR,

Il faut que je vous dise que je suis marri du trop favorable accueil que vous avez procuré aux

[merged small][ocr errors][merged small]

écrits que je vous avois envoyés pour la reine de Suède; car j'ai peur que sa majesté, n'y trouvant rien en les lisant qui corresponde à l'espérance que vous lui en avez fait avoir, en ait d'autant moins bonne opinion qu'elle l'aura eue meilleure auparavant. J'ai encore un autre déplaisir, qui est que, puisque mon paquet a été retenu trois semaines à Amsterdam (ce que j'ai su être arrivé pourcequ'on pensoit le devoir envoyer par mer, et qu'on en attendoit l'occasion), je regrette de n'avoir pas employé ce temps-là pour tâcher d'écrire quelque chose qui fût moins indigne d'un si bon accueil: car, encore que j'aie tâché de faire mon mieux, toutefois les secondes pensées ont coutume d'être plus nettes que les premières, et je m'étois hâté en faisant cette dépèche, pour témoigner au moins par ma promptitude combien j'étois désireux d'obéir à un commandement que je chérissois comme le plus grand honneur que je puisse recevoir. Voilà, monsieur, tous les sujets de tristesse que je puisse imaginer, afin de modérer l'extrême joie que j'ai d'apprendre que cette grande reine veuille lire et considérer à loisir les écrits que j'ai envoyés, car j'ose me promettre que si elle goûte les pensées qu'ils contiennent, elles ne seront pas infructueuses, et pourcequ'elle est l'une des plus importantes personnes de la terre, que cela même peut n'être pas inutile au public. Il me

semble avoir trouvé par expérience que la considération de ces pensées fortifie l'esprit en l'exercice de la vertu, et qu'elle sert plus à nous rendre heureux qu'aucune autre chose qui soit au monde. Mais il n'est pas possible que je les aie assez bien exprimées pour faire qu'elles paroissent aux autres comme à moi, et j'ai un désir extrême d'apprendre quel jugement en fera sa majesté, mais particulièrement aussi quel sera le vôtre. La parole a beaucoup plus de force pour persuader que l'écriture, et je ne doute point que vous ne lui en fassiez aisément avoir les mêmes sentiments que vous aurez, au moins s'ils sont à mon avantage, car l'affection dont vous me donnez tous les jours des preuves m'assure que vous ne lui en voudriez pas faire avoir d'autres. Je serai bien aise de voir la harangue de M. Freinshemius, à cause de la matière dont il traite, et je ne manquerai pas de la demander à M. Brasset lorsqu'il l'aura reçue. Au reste, je me propose d'aller à Paris au commencement du mois prochain. Je pourrois dire que pour mon intérêt je ne souhaite ne souhaite pas d'avoir sitôt l'honneur de vous y voir, à cause des faveurs que vous me procurez au lieu où vous êtes, mais je n'ai jamais aucun égard à moi lorsqu'il peut y aller du contentement de mes amis, et j'avoue que je ne souhaiterois pas un emploi pénible qui m'otât le loisir de cultiver mon esprit, encore que cela fût récom

pensé par beaucoup d'honneur et de profit. Je dirai seulement qu'il ne me semble pas que le vôtre soit du nombre de ceux qui ôtent le loisir de cultiver son esprit, au contraire, je crois qu'il vous en donne les occasions, en ce que vous êtes auprès d'une reine qui en a beaucoup, et qu'il ne faut pas avoir manque d'adresse pour satisfaire entièrement à ses maîtres, agréer à ceux vers lesquels on est envoyé, et ne jouer cependant aucun autre personnage que celui d'un homme d'honneur, ainsi que je m'assure que vous faites. On peut toujours tirer beaucoup de satisfaction de ce qu'on occupe son esprit en des choses difficiles, lorsqu'on y réussit, encore qu'on ne l'occupe pas aux mêmes choses qu'on auroit peut-être choisies si on en avoit eu la liberté. Le vôtre étant propre à tout, je ne doute point que vous ne tiriez beaucoup de satisfaction d'un emploi dont vous vous acquittez si bien. Si pourtant vous approchiez du temps de votre retraite, et que vous revinssiez bientôt à Paris, je serois ravi d'avoir l'honneur de vous y voir. Que si vous faites encore quelque séjour au lieu où vous êtes, je me consolerai sur ce que j'espère que vous continuerez à me procurer la bienveillance de cette grande reine, pour les vertus de laquelle vous m'avez fait avoir beaucoup de vénération et de zèle. Je suis, etc.

D'Egmond, le 21 février 1648,

« PreviousContinue »