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§ 10. Intervention

puissances

Turcs appartiennent à la classe des nations qui ne reconnaissent pas le droit international de la chrétienté, ils n'ont cependant pas le droit de se plaindre des mesures que les puissances chrétiennes ont adoptées dans cette occasion pour protéger leurs coreligionnaires. Dans un âge moins civilisé, les nations chrétiennes, excitées par une sympathie généreuse et enthousiaste, se jetèrent dans les plaines de l'Asie pour recouvrer le Saint-Sépulcre qui se trouvait alors entre les mains des infidèles. N'était-il pas naturel alors qu'elles intervinssent pour délivrer un peuple entier, non pas seulement de la persécution religieuse, mais aussi de la chance d'être arrachés à leur pays natal ou bien d'être exterminées par leurs cruels oppresseurs? Les droits de l'humanité outragés depuis plus de dix ans par cette guerre impie contre une nation chrétienne, aux aïeux de laquelle l'Europe entière devait ses lumières et sa civilisation, seraient vengés par cette intervention. Sir J. Mackintosh a dit: << Tous les droits qu'une nation peut défendre pour elle-même, elle peut aussi les soutenir pour une autre nation, si elle est appellée à intervenir.»> Ceci s'applique parfaitement dans ce cas, et quand même les grandes puissances ne seraient pas intervenues par sympathie et par reconnaissance pour les Grecs, elles devaient encore intervenir pour se préserver elles-mêmes.

Nous avons déjà vu que c'est seulement depuis des temps des grandes récents que l'empire ottoman a été admis dans la sphère de l'Europe du droit public européen, fondé comme il l'est sur cette communauté de mœurs, d'institutions politiques et de relidempiregion qui distingue les nations de la chrétienté de celles en 1840. du monde mahométan'. Cependant l'intégrité et l'indé

dans les affaires intérieures

ottoman

pendance de l'empire ottoman ont toujours été considérés comme des éléments essentiels de l'équilibre des puissances depuis que le Croissant a cessé d'être un objet

Vide supra, part. 1, chap. 1, § 13.

de terreur pour les nations occidentales. L'intervention armée de trois des grandes puissances chrétiennes dans les affaires de la Grèce avait été compliquée par la guerre séparée entre la Russie et la Porte ottomane, qui fut terminée par la paix d'Andrinople en 1829, suivie par le traité d'alliance entre les deux empires, signé à UnkiarSkelessi en 1833. Le casus fœderis du traité fut amené par les tentatives de Méhémet-Ali, pacha d'Égypte pour se rendre indépendant de la Porte, qui cherchait de son côté à recouvrer ses provinces perdues. Le statu quo établi par la convention de Kutayah en 1833, entre le sultan et son vassal, sous la médiation de la France et de l'Angleterre, sur lequel reposait la paix du Levant, et même, supposait-on, la paix de l'Europe, était constamment menacé par les prétentions irréconciliables des deux grandes divisions de l'empire ottoman. La guerre a recommencé entre elles en 1839, et la défaite de l'armée turque à. Nézib fut suivie de la désertion de la flotte à Méhémet-Ali et de la mort de Mahmoud II. Dans cet état de choses les puissances de l'Europe occidentale se virent obligées d'intervenir pour sauver l'empire ottoman du double danger qui le menaçait: la domination du pacha Méhémet- Ali, ou bien le protectorat exclusif de la Russie. Une longue et difficile négociation eut lieu alors entre les cinq grandes puissances. Des documents volumineux publiés sur ce sujet on peut tirer les principes suivants, qui furent reconnus par toutes les puissances, quelles qu'aient été d'ailleurs les différences d'opinions qui se sont élevées entre elles:

4o Le droit d'intervention des cinq grandes puissances était fondé sur ce que cette lutte menaçait dans ses conséquences l'équilibre et la paix de l'Europe. On était d'accord là-dessus; on différait seulement sur les moyens à prendre pour mettre un terme aux différends qui s'étaient élevés entre la Porte et Méhémet- Ali.

§ 11. Intervention

grandes

dans la

belge

de 1830.

2o Il fut convenu que cette intervention ne pouvait avoir lieu que sur la demande même du sultan, d'après le protocole signé de la part des grandes puissances à Aix-laChapelle en 1818, arrêtant que jamais des questions touchant aux droits et à l'intérêt d'un État tiers ne seraient abordées par elles en conférence sans que le gouvernement intéressé n'eût été prié d'y prendre part.

3o La mort du sultan Mahmoud étant proche, et les dan→ gers que courait l'empire ottoman ayant augmenté par une singulière complication d'événements, chacune des grandes puissances déclara son intention ferme et solennelle de conserver à cet empire son indépendance sous la dynastie régnante, et qu'aucune d'elles ne chercherait dans l'état actuel des choses à obtenir plus de territoire ou une influence exclusive.

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Cette négociation fut enfin terminée par la signature de la convention du 15 juillet 4840, entre quatre des grandes puissances de l'Europe, l'Autriche, l'Angleterre, la Prusse et la Russie, à laquelle la Porte ottomane a accédé. Par suite de cette convention Méhémet-Ali fut contraint d'évacuer toutes les provinces occupées par lui, excepté l'Égypte dont le pachalik héréditaire lui fut confirmé aux mêmes conditions que celles, contenues dans l'acte séparé de la convention'.

L'intervention des cinq grandes puissances de l'Europe des cing représentées par la conférence de Londres, dans la révo➡ puissances lution belge de 1830, nous donne un exemple de l'applirévolution cation de ce droit pour conserver la paix générale, et pour adapter le nouvel ordre de choses aux stipulations des traités de Paris et de Vienne qui avaient fondé le royaume des Pays-Bas. Nous avons rendu compte dans un autre ouvrage de la longue et épineuse négociation relative à la séparation de la Belgique et de la Hollande, qui a pris

1 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II, p. 252 à 260.

tantôt le caractère de médiation, tantôt celui d'arbitrage forcé ou d'intervention armée, suivant les phases diverses de la lutte. Elle a été enfin terminée par une transaction entre les deux principes qui ont été si longtemps en présence et qui ont menacé l'ordre établi de l'Europe et la paix générale. La révolution belge a été reconnue comme un fait accompli, mais ses conséquences ont été renfermées dans les bornes les plus restreintes, en lui refusant les attributs du droit de conquête et de postliminie, et en privant la Belgique d'une grande partie de la province de Luxembourg, de la rive gauche de l'Escaut et de la rive droite de la Meuse. Les cinq grandes puissances représentant l'Europe ont consenti à la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, et elles ont admis la Belgique au nombre des États indépendants, sous des conditions qu'elle a acceptées et qui sont devenues les bases de son droit public. Ces conditions ont été ensuite incorporées dans un traité définitif. signé en 1839 entre la Belgique et la Hollande, par lequel l'indépendance de la première fut reconnue par la dernière 1.

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Chaque État, en sa qualité d'être moral distinct et indépendant de tous les autres États, peut exercer tous ses droits souverains, pourvu qu'en les exerçant il ne nuise pas aux droits semblables des autres États. Parmi ces droits se trouve celui d'établir, de changer et d'abolir la constitution du gouvernement de l'État. Aucun État étranger n'a le droit de s'opposer à l'exercice de ce droit, à moins que cette intervention ne soit autorisée par quelque convention spéciale ou par la nécessité de prévenir des événements qui compromettraient son indépendance et sa sécurité. La non-intervention est la règle générale, et les seules exceptions à cette règle sont fondées sur la nécessité absolue.

1 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II, p. 249 à 239.

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$ 13.

Médiation

dissensions

L'usage approuvé des nations autorise la proposition pour l'artan par un État de ses bons offices ou de sa médiation pour intérieures l'arrangement des dissensions intérieures d'un autre État. Si cette offre de médiation est acceptée, ce fait seul justifie l'intervention.

d'un État.

Le droit de médiation peut être aussi fondé sur des conventions positives, telles que des traités de médiation et de garantie. Telle fut, par exemple, la garantie par la France et la Suède de la constitution germanique, à la paix de Westphalie en 1648, et le résultat de la guerre de trente ans entreprise par les princes et villes libres de l'Allemagne pour défendre leurs libertés civiles et religieuses contre les envahissements de la maison d'Autriche.

La république de Genève était autrefois liée par une ancienne alliance avec les cantons suisses de Berne et de Zurich, par suite de laquelle ces cantons se sont unis à la France en 1738, pour offrir la médiation des trois puissances aux parties contendantes dont les dissensions avaient troublé la paix de cette république. Le résultat de cette médiation fut l'établissement d'une constitution, qui donna lieu à de nouvelles disputes en 1768, disputes qui furent terminées par l'intervention des puissances médiatrices. En 1782 la France s'unit à ces cantons et à la cour de Sardaigne pour imposer leur médiation collective aux partis aristocratique et démocratique de Genève; mais il paraît fort douteux que ces transactions, et surtout la dernière, pussent être conciliées avec le respect qui est dù aux droits et à l'indépendance même des plus petits États1.

La constitution actuelle de la Confédération suisse fut arrangée en 1843 par la médiation des grandes puissances alliées, et ensuite reconnue par elles au congrès de Vienne comme la base du pacte fédéral de la Suisse. Par

1 FLASSAN; Histoire de la diplomatie française, t. V, p. 78; t. VII, p. 27, 297.

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