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SECONDE PARTIE.

DES DROITS INTERNATIONAUX PRIMITIFS OU ABSOLUS.

CHAPITRE PREMIER.

DU DROIT DE CONSERVATION ET D'INDÉPENDANCE.

Les droits dont jouissent les États souverains à l'égard les uns des autres peuvent se diviser en droits de deux sortes en droits primitifs ou absolus, et en droits conditionnels ou hypothétiques 1.

Les droits absolus sont ceux qui existent pour l'État en toute circonstance, par le fait seul que c'est un État et comme conséquence de cette qualité. Ils sont appelés absolus, parce qu'ils ne sont pas limités à telle ou telle circonstance particulière.

Les droits conditionnels, au contraire, ne prennent naissance que dans le cas de certaines relations internationales, et cessent en même temps que les circonstances qui y ont donné lieu. Ce sont, si l'on veut, des conséquences de la qualité d'État souverain, mais des conséquences non permanentes qui ne se produisent que dans tel cas donné. C'est ainsi que la guerre, par exemple, confère aux États belligérants et aux États neutres certains droits qui n'existent plus du moment où la guerre a cessé.

1 KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, § 36.

§. 1.

Droits des Etats souverains à l'égard

les uns des autres

$ 2. Droit

de conservation.

Le premier et le plus important de tous les droits internationaux absolus, celui qui sert de base fondamentale à la plupart des autres, est le droit de conservation. Toute personne morale, du moment où son existence est légitime, a le droit de pourvoir au bien-être et à la conser-vation de cette existence. Les sociétés politiques ou États souverains légitimement établis jouissent donc aussi de ce droit. Le droit de conservation de soi-même implique nécessairement tous les autres droits incidents qui sont essentiels pour arriver à cette fin. Parmi ces droits se trouve celui de repousser, au préjudice de l'agresseur, les attaques injustes dont l'État ou ses citoyens pourraient être l'objet.

Cette modification du droit de conservation est ce que l'on nomme le droit de légitime défense. Ce droit impliqué également celui de requérir le service militaire de tous ses peuples, d'entretenir des forces navales, d'ériger des fortifications et d'imposer des taxes et des contributions pour ces objets. Il est évident que l'exercice de ces droits absolus ne peut être limité que par les droits correspon dants et égaux d'autres États, ou bien par des conventions spéciales avec ces États..

Dans l'exercice de ces moyens de défense aucun État indépendant n'a à recevoir ni injonction, ni prohibition, ni limitation d'aucune puissance étrangère. Mais celle-ci, en vertu de son propre droit de conservation, si elle voit dans ces préparatifs un sujet d'alarme ou une occasion de prévoir pour elle-même quelque danger possible d'agression, peut demander des explications; et la loyauté, comme un intérêt politique bien entendu, commandent de satisfaire à ces demandes lorsqu'elles sont raisonnables et bien intentionnées.

Le droit absolu d'ériger des fortifications pour la défense du territoire de l'État a été quelquefois modifié par des conventions, dans les cas où on a trouvé ces fortifications

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menaçantes pour la sûreté des États voisins, et quelquefois une pareille concession a été dictée comme une condition de paix par une puissance assez forte pour insister sur une telle condition. C'est ainsi que par les stipulations du traité d'Utrecht entre l'Angleterre et la France, confirmées par celles de la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748 et par le traité de Paris de 1763, le gouvernement français prit l'engagement de démolir les fortifications dé Dunkerque. C'est ainsi que par le traité de Paris de 4845 il fut aussi stipulé que les fortifications d'Huningue, qui avaient toujours été un objet d'inquiétude pour la ville de Båle, seraient démolies et qu'elles ne pourraient point être reconstruites, ou remplacées par d'autres fortifications, à moins que ce ne fût à une distance de trois lieues de la ville de Bâle bac 2

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§ 3. Droit d'in

Le droit de chaque État indépendant d'augmenter son territoire national, sa population, ses richesses et sa puis- tervention. sance par tous les moyens innocents et légitimes, tels que l'acquisition pacifique des nouveaux domaines, la décou verte et la colonisation de pays inconnus, l'extension de la navigation et de la pêche, l'accroissement de ses revenus, l'amélioration de son commerce et de son agriculture, l'augmentation de ses forces navales et militaires, est un droit de souveraineté incontestable et généralement reconnu par l'usage et l'opinion des nations. L'exercice de ce droit ne peut être limité que par le droit correspondant et égal des autres États, droit qui dérive du droit primitif de propre conservation. Quand l'exercice de ce droit porte atteinte à la sécurité des autres États, ou lors qu'il se trouve en opposition directe avec l'exercice des droits souverains de ces États, il n'est pas difficile de lui assigner des limites précises. Mais dans les cas où il suppose seulement un danger éventuel pour la sûreté des

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1 MARTENS, Recueil des traités, t. II, p. 469.

autres, des questions de la plus grande difficulté peuvent s'élever, mais ces questions appartiennent plutôt à la science de la politique qu'à celle du droit public.

Les occasions où le droit d'intervention peut s'exercer pour empêcher l'agrandissement d'un État quelconque par des moyens innocents et légitimes, tels que ceux que nous venons d'indiquer, sont rares et ne peuvent se justifier, excepté dans le cas où l'augmentation des forces militaires et navales d'une puissance aura pu inspirer de justes craintes aux autres puissances. Le développement intérieur des ressources d'un pays, ou l'acquisition de colonies et de pays loin de l'Europe, n'ont jamais été considérés comme des motifs suffisants pour justifier une intervention. On semblerait même avoir généralement pensé que des colonies, loin de contribuer à augmenter la puissance du pays métropolitain, contribuent plutôt à l'affaiblir. L'augmentation des richesses et de la population d'un pays, qui est sans contredit un des moyens les plus efficaces pour augmenter sa puissance, se fait trop insensiblement pour pouvoir inspirer à d'autres pays de justes motifs d'alarme. Croire que les nations ont le droit d'intervenir par la force pour empêcher le développement de la civilisation et pour détruire la prospérité des nations voisines, est une supposition dont l'injustice est si manifeste qu'il n'est pas besoin de la réfuter. L'intervention pour maintenir l'équilibre des puissances a ordinairement pour objet d'empêcher un souverain déjà puissant d'incorporer des provinces conquises dans son territoire, ou d'augmenter ses États par mariage ou par succession, ou d'exercer une influence dictatoriale sur la politique d'autres États indépendants.

Dans la grande société des nations, chaque membre est indépendant des autres, et vit, par rapport à ces autres membres, dans ce qu'on a appelé l'état de nature, ne reconnaissant point entre eux de souverain, d'arbitre, de juge. Il

en résulte que le droit entre les nations n'a pas de sanction semblable à celle qui assure l'exécution du droit civil de chaque État par rapport aux membres qui le composent, et que par conséquent la seule sanction qui puisse être donnée au droit international n'est basée que sur la crainte de la part des nations de provoquer une hostilité générale en violant ce droit. Voilà pourquoi les États européens ont veillé avec le plus grand soin à ce que l'équilibre des puissances ne fût jamais troublé. Cette politique a servi de prétexte aux guerres les plus cruelles des temps modernes, dont quelques-unes prenaient vraiment leur origine dans les craintes réelles qu'éprouvaient les grandes puissances pour l'indépendance des États plus faibles, mais dont d'autres n'ont été faites que dans l'intérêt de telle ou telle puissance qui déguisait ainsi ses véritables motifs. Quand l'esprit de conquête d'un État a vraiment été menaçant pour la sécurité générale de l'Europe, cet esprit s'est trahi par des faits si ostensibles que les autres puissances ont été justifiées d'avoir eu recours aux armes. Tel fut le motif qui donna lieu aux alliances formées et aux guerres entreprises pour mettre des bornes à l'agrandissement de la maison d'Autriche et d'Espagne sous Charles-Quint et son fils Philippe II, et qui se terminèrent par la paix de Westphalie, dont les stipulations ont pendant si longtemps formé le droit public écrit de l'Europe. Les longues et violentes disputes qui avaient eu lieu pendant le seizième siècle entre les différentes sectes religieuses que la Réforme avait fait naître, s'étaient étendues par toute l'Europe. L'intérêt politique des peuples et l'ambition des princes donnèrent à ces luttes une ardeur nouvelle. Les grandes puissances catholiques et protestantes protégaient respectivement leurs coreligionnaires dans le sein même des États rivaux. L'Espagne et l'Autriche intervinrent plus d'une fois en faveur du parti catholique en Allemagne, en France et en Angleterre, tandis que les puissances

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