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Dans tous les autres Etats que j'ai parcourus, j'ai toujours vu dix théiftes contre un athée parmi les gens qui penfent, & je n'ai vu aucun homme audeffus du commun qui ne méprisât les fuperftitions du peuple.

D'où vient ce confentement tacite de tous les honnêtes gens de la terre? c'eft qu'ils ont le même fonds de raison. Il a bien fallu que cette raifon se communiquât & fe perfectionnât à la fin de proche en proche comme les arts mécaniques & libéraux ont fait enfin le tour du monde.

Les apparitions d'un Dieu aux hommes, les révélations d'un Dieu, les aventures d'un Dieu fur la terre, tout cela a paffé de mode avec les loups-garoux, les forciers & le poffédés. S'il y a encore des charlatans qui difent la bonne aventure dans nos foires pour un schelling, aucun de ces malheureux n'eft écouté chez ceux qui ont reçu une éducation tolérable. Nous avons dit que les théiftes ont puifé dans une fource pure dont tous les ruiffeaux ont été impurs. Expliquons cette grande vérité, quelle est cette fource pure ? C'eft la raison, comme nous l'avons dit, laquelle tôt ou tard parle à tous les hommes. Elle nous a fait voir que le monde n'a pu s'arranger de lui-même & que les fociétés ne peuvent fubfifter fans vertu. De cela feul on a conclu qu'il y a un DIEU & que la vertu eft néceffaire. De ces deux principes réfulte le bonheur général autant que le comporte la faibleffe de la nature humaine. Voilà la fource pure. Quels font les ruiffeaux impurs ? ce font les fables inventées par les charlatans qui ont dit que DIEU s'était incarné cinq cents

fois dans un pays de l'Inde, ou une feule fois dans une petite contrée de la Syrie, qui ont fait paraître DIEU, tantôt en éléphant blanc, tantôt en pigeon, tantôt en vieillard avec une grande barbe, tantôt en jeune homme avec des ailes au dos, ou fous vingt autres figures différentes.

Je ne mets point parmi les énormes fottifes qu'on a ofé débiter par-tout fur la nature divine, les fables allégoriques inventées par les Grecs. Quand ils peignirent Saturne dévorant fes enfans & des pierres, qui put ne pas reconnaître le temps qui confume tout ce qu'il a fait naître, & qui détruit ce qu'il y a de plus durable? Eft-il quelqu'un qui ait pu se méprendre à la fageffe née de la tête du fouverain Dieu, fous le nom de Minerve, à la déeffe de la beauté qui ne doit jamais paraître fans les Grâces, & qui eft la mère de l'Amour, à cet Amour qui porte un bandeau & de petites flèches; enfin à cent autres imaginations ingénieufes qui étalent une peinture vivante de la nature entière? Ces fables allégoriques font fi belles qu'elles triomphent encore tous les jours des inventions atroces de la mythologie chrétienne; on les voit fculptées dans nos jardins, & peintes dans nos appartemens, tandis qu'il n'y a pas chez nous un homme de qualité qui ait un crucifix dans fa maison. Les papistes eux-mêmes ne célèbrent tous les ans la naiffance de leur Dieu, entre un bœuf & un âne, qu'en s'en moquant par des chansons ridicules. Ce font-là les ruiffeaux impurs dont j'ai voulu parler; ce font des outrages infâmes a la Divinité; au lieu que les emblêmes fublimes des Grecs rendent la Divinité refpectable; & quand je parle de leurs emblêmes

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fublimes, je n'entends pas Jupiter changé en taureau, en cygne, en aigle, pour ravir des filles & des garçons. Les Grecs ont eu plufieurs fables auffi abfurdes & auffi révoltantes que les nôtres; ils ont bu comme nous dans une multitude prodigieufe de ruiffeaux impurs.

Le théifme reffemble à ce vieillard fabuleux nommé Pélias, que fes filles égorgèrent en voulant le rajeunir.

Il eft clair que toute religion qui propofe quelque dogme à croire au-delà de l'existence d'un DIEU, anéantit en effet l'idée d'un DIEU. Car dès qu'un prêtre de Syrie me dit que ce dieu s'appelle Dagon, qu'il a une queue de poiffon, qu'il eft le protecteur d'un petit pays, & l'ennemi d'un autre pays; c'eft véritablement ôter à DIEU fon exiftence; c'eft le tuer comme Pélias, en voulant lui donner une vie nouvelle.

Des fanatiques nous difept: DIEU vint en tel temps dans une petite bourgade; DIEU prêcha, & il endurcit le cœur de fes auditeurs, afin qu'ils ne cruffent point en lui; il leur parla, & il boucha leurs oreilles ; il choifit feulement douze idiots pour l'écouter, & il n'ouvrit l'efprit à ces douze idiots que quand il fut mort. La terre entière doit rire de ces fanatiques abfurdes, comme dit milord Shaftesbury, on ne doit pas leur faire l'honneur de raisonner; il faut les faigner & les purger comme gens qui ont la fièvre chaude. J'en dirai autant de tous les dieux qu'on a inventés; je ne ferai pas plus de grâce aux monftres de l'Inde qu'aux monftres de l'Egypte; je plaindrai toutes les nations qui ont abandonné le

DIEU

DIEU univerfel pour tant de fantômes de dieux particuliers.

Je me donnerai bien de garde de m'élever avec colère contre les malheureux qui ont perverti ainsi leur raifon; je me bornerai à les plaindre, en cas que leur folie n'aille pas jufqu'à la perfécution & au meurtre; car alors ils ne feraient que des voleurs de grand chemin. Quiconque n'eft coupable que de fe tromper mérite compaffion; quiconque perfécute, mérite d'être traité comme une bête féroce.

Pardonnons aux hommes, & qu'on nous pardonne. par ce fouhait unique que DIEU veuille

Je finis

exaucer!

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