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Quiconque voudra rentrer dans lui-même & écouter la raison qui parle à tous les hommes, comprendra bien aifément que nous ne fommes point nés pour examiner fi DIEU créa autrefois des depta, des génies,

il

y a quelques millions d'années, comme le difent les brachmanes; fi ces depta se révoltèrent, s'ils furent damnés, fi DIEU leur pardonna, s'il les changea en hommes & en vaches; nous pouvons en confcience ignorer la théologie de l'Inde, de Siam, de la Tartarie & du Japon, comme les peuples de ces pays-là ignorent la nôtre. Nous ne fommes pas plus faits pour étudier les opinions qui fe répandirent vers la Syrie, il n'y a pas trois mille ans, ou plutôt des paroles vides de fens qui paffaient pour des opinions. Que nous importe des ébionites, des nazaréens, des manichéens, des ariens, des neftoriens, des eutychiens, & cent autres fectes ridicules ?

Que nous reviendrait-il de passer notre vie à nous tourmenter au sujet d'Osiris, d'étudier des cinq années entières pour favoir les noms de ceux qui ont dit qu'une voix célefte annonça la naiffance d'Ofiris à une fainte femme nommée Pamyle, & que cette fainte femme l'alla proclamer par tout l'univers ? Nous confumerons-nous pour expliquer comment Ofiris & Ifis avaient été amoureux l'un de l'autre dans le ventre de leur mère, (f) & y engendrèrent le dieu Orus? C'eft un grand mystère; mais vingt générations d'hommes s'égorgeront-elles pour trouver le vrai fens de ce mystère, & l'entendront-elles mieux après s'être égorgées ?

Nulle vérité utile n'eft née, fans doute, des querelles (f) Voyez Plutarque, chapitre d'Ifis & d'Ofiris.

fanglantes qui ont défolé l'Europe & l'Afie, pour favoir fi l'être néceffaire, éternel & univerfel a eu un fils plutôt qu'une fille; fi ce fils fut engendré avant ou après les fiècles; s'il eft la même chofe que fon père, & différent en nature; fi étant engendré dans le ciel, il est encore né fur la terre; s'il y eft mort d'un fupplice odieux; s'il eft reffuscité; s'il est allé aux enfers; s'il a depuis été mangé tous les jours, & fi on a bu fon fang après avoir mangé fon corps dans lequel était ce fang; fi ce fils avait deux natures; fi ces deux natures compofaient deux perfonnes; fi un faint fouffle a été produit par la spiration du père ou par celle du père & du fils; & fi ce fouffle n'a fait qu'un feul être avec le père & le fils.

Nous ne fommes pas faits, ce me femble, pour une telle métaphyfique, mais pour adorer DIEU, pour cultiver la terre qu'il nous a donnée, pour nous aider mutuellement dans cette courte vie. Tout le monde le sent, tout le monde le dit, foit à haute voix, foit en fecret. La fageffe & la juftice prennent enfin la place du fanatisme & de la perfécution dans la moitié de l'Europe.

Si le système humain, & peut-être divin de la tolérance avait pu dominer chez nos pères, comme il commence à régner chez quelques-uns de leurs enfans, nous n'aurions pas la douleur de dire en paffant devant White-Hall: c'est ici qu'on trancha la tête de notre roi Charles pour une liturgie; fon fils n'eût pas été obligé, pour éviter la même mort, de devenir le poftillon de Mlle Lane, & de fe cacher deux nuits dans le creux d'un chêne. Montrofs, le plus grand-homme de l'Ecoffe ma chère patrie, n'aurait pas été coupé en quartiers

par le bourreau, fes membres sanglans n'auraient pas été cloués aux portes de quatre de nos villes. Quarante bons ferviteurs du roi, parmi lefquels était un de més ancêtres, n'auraient pas péri par le même fupplice, & fervi au même spectacle.

Je ne veux pas rappeler ici toutes les inconcevables horreurs que les querelles du christianisme ont amoncelées fur la tête de nos pères. Hélas! les mêmes fcènes de carnage ont enfanglanté cette Europe où le chriftianifme n'était point né. C'eft par-tout la même tragédie fous mille noms différens. Le polytheisme des Grecs & des Romains a-t-il jamais rien produit de semblable? Y eut-il feulement une légère querelle pour les hymnes à Apollon, pour l'ode des jeux féculaires d'Horace, pour le pervigilium Veneris? Le culte des dieux n'infpirait point la haine & la difcorde. On voyageait en paix d'un bout de la terre à l'autre. Les Pythagore, les Apollonius de Thyane étaient bien reçus chez tous les peuples de l'univers. Malheureux que nous fommes! nous avons cru fervir DIEU, & nous avons fervi les furies. Il y avait, au rapport d'Arrien, une loi admirable chez les brachmanes, il ne leur était pas permis de dîner avant d'avoir fait du bien. La loi contraire a été long-temps établie parmi nous.

Ouvrez vos yeux & vos cœurs, magiftrats, hommes d'Etat, princes, monarques, confidérez qu'il n'existe aucun royaume en Europe où les rois n'aient pas été perfécutés par des prêtres. On vous dit que ces temps font paffés & qu'ils ne reviendront plus. Hélas! ils reviendront demain fi vous banniffez la tolérance aujourd'hui, & vous en ferez les victimes comme tant de vos ancêtres l'ont été.

СНАРІ TR_E X X I V.

Excès du fanatifme.

APRÈS ce tableau fi vrai des fuperftitions humaines & des malheurs épouvantables qu'elles ont caufés, il ne nous refte qu'à faire voir comment ceux qui font à la tête du chriftianisme lui ont toujours infulté, combien ils ont été femblables à ces charlatans qui montrent des ours & des finges à la populace, & qui affomment de coups ces animaux qui les font vivre.

Je commencerai par la belle & refpectable Hipathie dont l'évêque Sinéfus fut le difciple au cinquième fiècle. On fait que St Cyrille fit affaffiner cette héroïne de la philofophie parce qu'elle était de la fecte platonicienne, & non pas de la fecte athanafienne. Les fidelles traînèrent fon corps nu & fanglant dans l'églife & dans les places publiques d'Alexandrie. Mais que firent les évêques contemporains de ce Sinéfius le platonicien? Il était très-riche & très-puiffant; on voulut le gagner au parti chrétien, & on lui propofa de fe laiffer faire évêque. Sa religion était celle des philofophes; il répondit qu'il n'en changerait pas, & qu'il n'enseignerait jamais la doctrine nouvelle, qu'on pouvait le faire évêque à ce prix. Cette déclaration ne rebute point ces prêtres qui avaient besoin de s'appuyer d'un homme fi confidérable, ils l'oignirent, & ce fut un des plus fages évêques dont l'Eglife chrétienne put fe vanter. Il n'y a point de fait plus connu dans l'histoire eccléfiaftique.

Plût à Dieu que les évêques de Rome euffent imité Sinéfius, au lieu d'exiger de nous deux fchellings par chaque maison; au lieu de nous envoyer des légats qui venaient mettre à contribution nos provinces de la part de DIEU; au lieu de s'emparer du royaume d'Angleterre en vertu de l'ancienne maxime que les biens de la terre n'appartiennent qu'aux fidelles; au lieu de faire enfin le roi Jean fans terre fermier du

pape.

Je ne parle pas des fix cents années de guerres civiles entre la couronne impériale & la mitre de St Jean de Latran, & de tous les crimes qui fignalèrent ces guerres affreuses; je m'en tiens aux abominations qui ont désolé ma patrie; & je dis dans l'amertume de mon cœur Eft ce donc pour cela qu'on a fait naître DIEU d'une juive? Eft-ce en vain que l'efprit de raifon & de tolérance dont j'ai parlé, commence à s'introduire enfin depuis l'Eglife grecque de Pétersbourg, jufqu'à l'Eglife papifte de Madrid?

СНАР I TRE X X V.

Contradictions funeftes.

IL me femble que nous avons tous un penchant

naturel à l'affociation, à l'efprit de parti. Nous cherchons en cela un appui à notre faibleffe. Cette inclination fe remarque dans notre île malgré le grand nombre de caractères particuliers dont elle abonde. De-là viennent nos clubs, & jusqu'à nos francs-maçons. L'Eglife romaine eft une grande preuve de cette vérité.

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