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bénite, les ornemens, les images, véritables œuvres du démon. C'était le renard qui trouvait les raisins trop verds; mais dès qu'ils purent en manger, ils s'en gorgèrent.

On ne fait pas précisément quel fut l'objet de la querelle en 302, entre les domeftiques de Céfar Galérius gendre de Diocletien, & les chrétiens qui demeuraient dans l'enceinte du temple de Nicomédie, mais Galerius fe fentit fi vivement outragé, que l'an 303 de notre ère, il demanda à Dioclétien la démolition de cette églife. Il fallait que l'injure fût bien atroce, puifque l'impératrice Prifca, qui était chrétienne, pouffa fon indignation jusqu'à renoncer entièrement à cette fecte. Cependant Dioclétien ne fe détermina point encore; & après avoir affemblé plufieurs confeils, il ne céda qu'aux inftances réitérées de Galérius.

L'empereur paffait pour un homme très-fage; on admirait fa clémence autant que fa valeur. Les lois qui nous reftent de lui dans le code, font des témoignages éternels de fa fageffe & de fon humanité. C'est lui qui donna la caffation des contrats dans lefquels un partie eft léfée d'outre-moitié. C'est lui qui ordonna que les biens des mineurs portaffent un intérêt légal; c'eft lui qui établit des peines contre les ufuriers & contre les délateurs. Enfin on l'appelait le père du fiècle d'or : (c) mais dès qu'un prince devient l'ennemi d'une fecte, il eft un monftre chez cette fecte. Dioclétien & le céfar Galérius, fon gendre, ainsi que l'autre céfar Maximien Hercule, fon ami, ordonnèrent la démolition de l'églife de Nicomédie. L'édit en fut affiché. Un chrétien eut la témérité de déchirer

(c) Voyez les Céfars de Julien, grande édition avec médailles, p. 113.

l'édit & de le fouler aux pieds. Il y a bien plus, le feu prit au palais de Galérius quelques jours après. On crut les chrétiens coupables de cet incendie. Alors l'exercice public de leur religion leur fut défendu. Auffitôt le feu prit au palais de Diocletien. On redoubla alors la févérité. Il leur fut ordonné d'apporter aux juges tous leurs livres. Plufieurs réfractaires furent punis, & même du dernier fupplice. C'est cette fameuse perfécution qu'on a exagérée de fiècle en fiècle jufqu'aux excès les plus incroyables, & jufqu'au plus grand ridicule. C'est à ce temps qu'on rapporte l'histoire d'un hiftrion, nommé Geneftus, qui jouait dans une farce devant Dioclétien. Il fefait le rôle d'un malade. Je fuis enflé, s'écriait-il. Veux-tu que je te rabote, lui disait un acteur. Non, je veux qu'on me baptife. - Et pourquoi, mon ami? — C'est que le baptême guérit de tout. On le baptife incontinent fur le théâtre. La grâce du facrement opère. Il devient chrétien en un clin-d'œil, & le déclare à l'empereur, qui de sa loge le fait pendre fans différer.

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On trouve dans ce même martyrologe l'hiftoire des fept belles pucelles de foixante-dix à quatre-vingts ans, & du faint cabaretier dont nous avons déjà parlé. On y trouve cent autres contes de la même force, & la plupart écrits plus de cinq cents ans après le règne de Diocletien. Qui croirait qu'on a mis dans ce catalogue le martyre d'une fille de joie, nommée Sainte Afre, qui exerçait fon métier dans Augsbourg!

On doit rougir de parler encore du miracle & du martyre d'une légion Thébaine, ou Thébéenne, compofée de fix mille fept cents foldats tous chrétiens, exécutés à mort dans une gorge de montagnes qui

ne peut pas contenir trois cents hommes, & cela dans l'année 287, temps où il n'y avait point de perfécution, & où Diocletien favorifait ouvertement le chriftianisme. C'eft Grégoire de Tours qui raconte cette belle hiftoire; il la tient d'un Eucherius mort en 454, & il y fait mention d'un roi de Bourgogne mort en 523.

Tous ces contes furent rédigés & augmentés par un moine du douzième fiècle ; & y il paraît bien par l'uniformité conftante du ftyle. Quand l'imprimerie fut enfin connue en Europe, les moines d'Italie, d'Espagne, de France, d'Allemagne & les nôtres, firent à l'envi imprimer toutes ces abfurdités qui déshonorent la nature humaine. Cet excès révolta la moitié de l'Europe, mais l'autre moitié refta toujours affervie. Elle l'est au point que dans la France, notre voifine, où la faine critique s'eft établie, Fleuri, qui d'ailleurs a foutenu les libertés de fon Eglise gallicane, a trahi le fens commun jusqu'à tenir régiftre de toutes ces fottifes, dans fon hiftoire eccléfiaftique. Il n'a pas honte de rapporter l'interrogatoire de St Taraque par le gouverneur Maxime dans la ville de Mopfuète. Maxime fait mettre du vinaigre, du fel & de la moutarde dans le nez de St Taraque pour le contraindre à dire la vérité. Taraque lui déclare que fon vinaigre eft de l'huile, & que fa moutarde eft du miel. Le même Fleuri copie les légendaires qui imputent aux magistrats romains d'avoir condamné au b.... les vierges chrétiennes, tandis que ces mêmes magiftrats puniffaient fi févérement les veftales impudiques. En voilà trop fur ces inepties honteufes. Voyons maintenant comment après la perfecution de Diocletien, Conflantin fit affeoir la fecte chrétienne fur les degrés de fon trône.

CHAPITRE X V.

De Conftance Clore, ou le Pâle, & de l'abdication de Dioclétien.

CONSTANCE

ANCE le Pâle avait été déclaré céfar par Dioclétien. C'était un foldat de fortune, comme Galérius, Maximien Hercule, & Diocletien lui-même; mais il était allié par fa mère à la famille de l'empereur Claude. L'empereur Diocletien lui donna une partie de l'Italie, l'Espagne, & principalement les Gaules à Il fut regardé comme un très-bon prince. Les chrétiens ne furent presque point moleftés dans fon département. Il eft dit qu'ils lui prêtèrent des fommes immenfes; & cette politique fut le fondement de leur grandeur.

gouverner.

Dioclétien, qui créait tant de céfars, était comme le Dieu de Platon qui commande à d'autres dieux. Il conferva fur eux un empire abfolu jufqu'au moment à jamais fameux de fon abdication, dont le motif fut très-équivoque.

Il avait fait Maximien Hercule fon collégue à l'empire, dès l'année de notre ère 281. Ce Maximien adopta Conftance le Pâle, l'an 293. Mais tous ces princes obéiffaient à Dioclétien comme à un père qu'ils aimaient & qu'ils craignaient. Enfin en 306 se sentant malade, laffé du tumulte des affaires, & détrompé de la vanité des grandeurs, il abdiqua folemnellement l'empire, comme fit depuis Charles-Quint; mais il ne s'en repentit

pas, puifque fon collégue Maximien Hercule qui abdiqua comme lui, ayant voulu depuis remonter fur le trône du monde connu, & ayant vivement follicité Dioclétien d'y remonter avec lui, cet empereur devenu philofophe lui répondit qu'il préférait fes jardins de Salone à l'empire romain.

Qu'on nous permette ici une petite digreffion qui ne fera pas étrangère à notre fujet. D'où vient que dans les plates hiftoires de l'empire romain, qu'on fait & qu'on refait de nos jours, tous les auteurs difent que Diocletien fut forcé par fon gendre Galérius de renoncer au trône? c'est que Lactance l'a dit. Et qui était ce Lactance? c'était un avocat véhément, prodigue de paroles, & avare de bon fens: voyons ce que plaide cet avocat.

Il commence par affurer que Dioclétien, contre lequel il plaide, devint fou, mais qu'il avait quelques bons momens. Il rapporte mot pour mot l'entretien fon gendre Galérius eut avec lui, tête à tête, dans le deffein de le faire enfermer,

que

"L'empereur Nerva, (d) (lui dit Galérius) ,, abdiqua l'empire. Si vous ne voulez pas en faire , autant, je prendrai mon parti.

DIOCL ÉTIEN.

,, Hé bien, qu'il foit donc fait comme il vous plaît. , Mais il faut que les autres céfars en foient d'avis. GALÉRIU S.

"Qu'eft-il befoin de leurs avis? Il faut bien qu'ils

❞ approuvent ce que nous aurons fait.

(d) Lactantius, de mortibus perfécutorum, page 207, édition de Bure, in-4°.

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