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qu'il était, eut la joie de devenir chrétien perfécuté & battu. Il n'y a qu'un imbécille qui puiffe croire ce conte du tonneau. Mais qu'il ait eu l'infolence de demander la fille de Gamaliel en mariage, & qu'on lui ait refufé cette pucelle, ou qu'il ne l'ait pas trouvée pucelle, & que de dépit, ce turbulent personnage se foit jeté dans le parti des nazaréens, comme les juifs & les ébionites l'ont écrit, (q) cela eft plus naturel & plus dans l'ordre commun.

Il porta la violence de fon caractère dans la nouvelle faction où il entra. On le voit courir comme un forcené de ville en ville: il fe brouille avec prefque tous les apôtres; il fe fait moquer de lui dans l'aréopage d'Athènes. S'étant accoutumé à être renégat, il va faire une espèce de neuvaine avec des étrangers dans le temple de Jérufalem, pour montrer qu'il n'eft pas du parti de Jefu. Il judaïfe après s'être fait chrétien & apôtre : & ayant été reconnu, il aurait été lapidé à fon tour comme Etienne dont il fut Faffaffin, fi le gouverneur Feftus ne l'avait fauvé, en lui difant qu'il était un fou. (r)

Sa figure était fingulière. Les actes de Ste Thècle le peignent gros, court, la tête chauve, le nez gros & long, les fourcils épais & joints, les jambes torfes. C'est le même portrait qu'en fait Lucien dans fon Philopatris; & cependant Ste Thècle le fuivait par-tout déguisée en homme. Telle est la faibleffe de bien des femmes, qu'elles courent après un mauvais prédicateur accrédité, quelque laid qu'il foit, plutôt qu'après

(9) Voyez Grabe. Spicilegium patrum, page 48. (r) Voyez les Actes des apôtres, chap. XXVI

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un jeune homme aimable. Enfin ce fut ce Paul qui attira le plus de profélytes à la fecte nouvelle.

Il n'y eut de fon temps ni rite établi ni dogme reconnu. La religion chrétienne était commencée & non formée; ce n'était encore qu'une fecte de Juifs révoltés contre les anciens Juifs.

Il paraît que Paul acquit une grande autorité fur la populace, à Theffalonique, à Philippes, à Corinthe, par sa véhémence, par son esprit impérieux, & furtout par l'obscurité de ces difcours emphatiques qui fubjuguent le vulgaire d'autant plus qu'il n'y comprend rien.

Il annonce la fin du monde au petit troupeau des Theffaloniciens. (s) Il leur dit qu'ils iront avec lui les premiers dans l'air, au-devant de Jefu qui viendra dans les nuées pour juger le monde : il dit qu'il le tient de la bouche de Jefu même, lui qui n'avait jamais vu Jefu, & qui n'avait connu fes difciples que pour les lapider. Il fe vante d'avoir été déjà ravi au troifième ciel ; mais il n'ofe jamais dire que Jefu foit Dieu, encore moins qu'il y ait une trinité en DIEU. Ces dogmes, dans les commencemens, euffent paru blafphématoires, & auraient effarouché tous les efprits. Il écrit aux Ephéfiens: Que le Dieu de Notre-Seigneur Fefu-Chrift vous donne l'efprit de fagesse. Il écrit aux Hébreux: DIEU a opéré fa puiffance fur Jefu en le reffufcitant. Il écrit aux Juifs de Rome : Si, par le délit d'un feul homme, plufieurs font morts, la grâce & le don de DIEU ont plus abondé par un feul homme qui eft Jesu-Christ... A DIEU, feul fage, honneur & gloire par Jefu-Chrift.

Enfin il est avéré, par tous les monumens de l'antiquité, que Jefu ne se dit jamais Dieu, & que les platoniciens d'Alexandrie furent ceux qui enhardirent enfin les chrétiens à franchir cet efpace infini, & qui apprirent aux hommes à se familiariser avec des idées dont le commun des efprits devait être révolté.

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E ne fais rien qui puiffe nous fournir une image plus fidelle d'Alexandrie que notre ville de Londres. Un grand port maritime, un commerce immense, de puiffans feigneurs & un nombre prodigieux d'artisans, une foule de gens riches & de gens qui travaillent pour l'être; d'un côté la bourfe & l'allée du change, de l'autre la fociété royale & le muféum; des écrivains de toute espèce, des géomètres, des fophiftes, des métaphyficiens, & d'autres fefeurs de romans; une douzaine de fectes différentes, dont les unes paffent & les autres reftent; mais dans toutes les fectes & dans toutes les conditions un amour défordonné de l'argent : telle est la capitale de nos trois royaumes, & l'empereur Adrien nous apprend par fa lettre au conful Servianus que telle était Alexandrie. Voici cette lettre fameufe que Vopifcus nous a confervée.

"J'ai vu cette Egypte que vous me vantiez tant, ,, mon cher Servianus; je la fais toute entière par

" cœur. Cette nation eft inconftante, incertaine ; ,, elle vole au changement. Les adorateurs de Sérapis " fe font chrétiens, ceux qui font à la tête de la reli"gion de Christ se font dévots à Sérapis. Il n'y a point › d'archi-rabin juif, point de famaritain, point de " prêtre chrétien qui ne foit aftrologue, ou devin, " ou maquereau. Quand le patriarche grec vient en "Egypte, les uns s'empreffent auprès de lui pour lui , faire adorer Sérapis, les autres le Chrift. Ils font "tous très-féditieux, très-vains, très-querelleurs. La ,, ville eft commerçante, opulente, peuplée; perfonne " n'y eft oifif..... L'argent eft un dieu que les chré,, tiens, les Juifs & tous les hommes fervent égale

ment. 99

Quand un disciple de Jefu, nommé Marc, foit l'évangélifte, foit un autre, vint tâcher d'établir fa fecte naiffante, parmi les Juifs d'Alexandrie ennemis de ceux de Jérufalem, les philofophes ne parlaient que du logos, du verbe de Platon. DIEU avait formé le monde par fon verbe; ce verbe fefait tout. Le juif Philon, né du vivant de Jefu, était un grand platonicien; il dit dans fes opufcules que DIEU se maria au verbe, & que le monde naquit de ce mariage. C'est un peu s'éloigner de Platon, que de donner pour femme à DIEU un être que ce philosophe lui donnait pour fils.

D'un autre côté, on avait fouvent, chez les Grecs & chez des nations orientales, donné le nom de fils des dieux aux hommes juftes; & même Jefu s'était dit fils de DIEU, pour exprimer qu'il était innocent, par opposition au mot, fils de Bélial, qui fignifiait un coupable d'un autre côté encore, fes disciples affuraient

qu'il était envoyé de DIEU. Il devint bientôt fils, de fimple envoyé qu'il était : or le fils de DIEU était fon verbe chez les platoniciens, ainfi donc Jefu devint verbe.

Tous les pères de l'Eglife chrétienne ont cru en effet lire un platonicien, en lifant le premier chapitre de l'évangile attribué à Jean : Au commencement était le verbe, & le verbe était avec DIEU, & le verbe était DIEU. On trouva du fublime dans ce chapitre. Le fublime eft ce qui s'élève au-deffus du refte; mais fi ce premier chapitre eft écrit dans l'école de Platon, le fecond, il faut l'avouer, femble fait fous la treille d'Epicure. Les auteurs de cet ouvrage paffent tout d'un coup du fein de la gloire de DIEU, du centre de fa lumière & des profondeurs de fa fageffe, à une noce de village. Fefu de Nazareth eft de la noce avec sa mère. Les convives font déjà plus qu'échauffés par le vin, inebriati; le vin manque, Marie en avertit Jefu, qui lui dit trèsdurement: Femme, qu'y a-t-il entre toi & moi? Après avoir ainfi maltraité fa mère, il fait ce qu'elle lui demande. Il changea feize cents vingt pintes d'eau qui étaient là à point nommé dans de grandes cruches, en feize cents vingt pintes de vin.

On peut obferver que ces cruches, à ce que dit le texte, étaient là pour les purifications des Juifs, felon leur ufage. Ces mots ne marquent-ils pas évidemment que ce ne peut être Jean, né juif, qui aît écrit cet évangile? Si moi qui fuis né à Londres, je parlais d'une messe célébrée à Rome, je pourrais dire : Il y avait une burette de vin contenant environ demi-fetier ou chopine, felon l'ufage des Italiens; mais certainement un italien ne s'exprimerait pas ainfi. Un homme

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