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agrément, pour amuser notre curiosité ou notre imagination, pourra réussir quelques instans; l'illusion s'évanouit bientôt, l'ouvrage tombe et disparaît pour jamais.

Enfin l'Histoire, en conduisant les lecteurs au milieu de la fluctuation des événemens, dans l'obscur dédale des diverses formes administratives employées par les différens peuples, en nouant le tissu des guerres étrangères et domestiques, le choc des passions tumultueuses et discordantes, en crayonnant le tableau des vertus, des crimes, des faiblesses des hommes, et de ces vicissitudes perpétuelles dont l'enchaînement amena la ruine des empires, en formant de nouveaux états élevés sur les débris dispersés des états précédens, pour éprouver un jour un même sort, doit étendre la raison humaine, nous apprendre à juger de ce qui se passe sous nos yeux, et à prévoir la fortuné

du gouvernement sous lequel nous vivons, par la fortune des gouvernemens

anciens.

Mais il est plus aisé de donner des préceptes et d'établir les qualités indispensables d'un bon historien, que de mettre en œuvre ces préceptes, que de réunir ces qualités. Hérodote, Thucydide, Tite-Live, Tacite, Salluste, Jules-César, Polybe, Plutarque, parmi les anciens; Giannone, Guicciardini, Machiavelli, Caterin Davila, Frapaolo, Denina, Vely, Rapin de Thoiras, Humes, Voltaire, Mably, parmi les modernes, offrirent des exemples de ces rares talens. Leurs ouvrages, vainqueurs du temps et de leurs vils détracteurs, feront les délices des honnêtes gens, aussi long-temps que la terre sera éclairée par le flambeau des scien

ces.

Je ne me flatte pas de marcher sur les traces de ces génies immortels. Ce

pendant l'importance de mon ouvrage lui procurera des lecteurs; et si le talent pouvait être suppléé par la patience avec laquelle une retraite de douze ans m'a permis de lire, de méditer, de comparer tous les auteurs qui ont écrit sur les affaires d'Italie, et que j'ai pu me procurer à Paris, j'espère que le fruit de mes veilles n'est pas indigne de la nation illustre dont j'écris l'histoire générale.

L'intime liaison qui se rencontre à diverses époques entre l'Histoire d'Italie et celle d'Allemagne, m'avait déterminé à les réunir dans un seul ouvrage; il formait dix-sept volumes in-8°. Peu de libraires étaient en état d'entreprendre une spéculation aussi dispendieuse. Je fus déterminé, par d'autres considérations, à séparer les deux histoires. Celle d'Italie, après la division, renfermait encore douze volumes; j'en ai retranché trois pour al

léger l'impression. Si mon ouvrage n'était pas goûté, mes lecteurs me sauraient gré de l'ennui dont les préserve une soustraction aussi considérable. Je me propose de faire imprimer l'Histoire d'Allemagne en six volumes. Elle est écrite dans les mêmes principes que celle d'Italie. Ceux qui se procureront les deux ouvrages, trouveront dans l'un le supplément de l'autre.

Avant le quatorzième siècle, le défaut de monumens arrête à chaque pas. les recherches du critique, lorsqu'il veut examiner les mœurs, les richesses, les usages du peuple dont il compose les annales, et sur-tout lorsqu'il s'agit de séparer le mensonge de la vérité. La trop grande abondance des matériaux tient l'observateur en suspens dans la suite.

A l'époque de la renaissance des lettres, chaque écrivain, plus occupé de la régularité de son ouvrage que de la

vérité historique, subordonnait sa narration aux convenances particulières de ceux qu'il voulait favoriser. Ainsi Machiavelli ayant pris pour ses héros Castruccio Castracani, duc de Lucques, et César Borgia, bâtard d'Alexandre VI, les compare, sans pudeur, aux plus grands monarques de l'univers. Angelo Costanzo parle avec attendrissement du fils unique du roi Robert, Charles, duc de Calabre, mort à la fleur de son âge. Toutes les vertus brillaient en ce prince avec un tel éclat, que son père avait cru pouvoir confier à son adolescence la direction des principales affaires. Villani le représente, au contraire, comme un prince lâche et efféminé. Les mêmes faits sont rapportés d'une manière absolument contraire, par des historiens égarés par leurs passions, par les préjugés nationaux, ou chargés par l'autorité, d'éta blir l'erreur à la place de la vérité.

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