Page images
PDF
EPUB

des empires aux hasards des événemens. La patrie d'un chrétien n'était pas en ce monde; que lui importait la manière dont on le gouvernait? Occupé presque uniquement à plaire à Dieu qui devait le récompenser un jour de ses privations, de ses souffrances, de ses sacrifices, il obéissait à la puissance établie, sans examiner si elle avait droit de lui commander. Cette disposition prévenait les révoltes, les insurrections; mais, en inspirant la plus entière indifférence pour tous les genres de gouvernement, elle éteignait cette énergie de courage et cet amour de la patrie, qui passionnent les ames fortes pour l'orageuse jouissance de la liberté.

[ocr errors]

CHAPITRE V I.

De Rome, après le meurtre de César. -Rivalités de Marius et de Sylla.

APRÈS la mort de César on vit à Rome ce qui jamais n'était arrivé nulle part; il n'y eut plus de tyran, et cependant il n'y eut pas de liberté, parce que les causes qui l'avaient dé

truite subsistaient.

હૈ

Depuis près d'un siècle la reine des cités se débattait dans les horreurs de l'anarchie ; peine quelques courts intervalles de tranquillité, dus à la lassitude de tous les partis, avaient coupé cette longue période de malheurs et de crimes. Rome était destinée à donner le funeste et unique exemple de ces étonnantes proscriptions, ordonnées par la vengeance, exécutées par la froide barbarie, et qui remplirent l'Italie de plus de sang que jamais la guerre n'en avait fait couler.

Le farouche Marius et le sanguinaire Sylla furent les premiers qui mirent à prix la tête des individus qui n'étaient pas de leur parti. Dès-lors il fut impossible de s'attacher uniquement au bonheur de sa patrie; car, dès que deux hommes ambitieux se disputaient la victoire, tous ceux qui formaient un tiers-parti étaient sûrs d'être proscrits par celui des deux qui demeurait vainqueur. Il était donc de la prudence de s'attacher à l'un ou à l'autre.

Marius, couver de triomphes et de consulats, touchait aux bornes de sa vie, lorsque, pour se venger du bannissement prononcé contre lui dans le sénat, il vint assiéger Rome, dont les portes lui furent bientôt ouvertes par ses nombreux amis. Appien nous fait la pein

ture de cet événement. A peine ce héros vindicatif est dans Rome, que des torrens de sang coulent autour de lui. On tuait dans ses appartemens même, ceux qui venaient le saluer, et auxquels il ne rendait pas le salut. Les plus illustres sénateurs périssent par les ordres de ce cruel vieillard. On pille leurs maisons, on confisque leurs biens. Au milieu de ces massacres, Marius est nommé consul pour la septième fois. Il ne jouit de cette dignité que quinze ou seize jours. Une maladie, causée par la trop grande quantité de vin qu'il prenait pour s'étourdir sur les remords de ses crimes, l'emporte lorsqu'il en augmentait le nombre.

CHAPITRE VIL

Proscriptions ordonnées par Sylla.:

[ocr errors]

Au récit de ces atrocités, Sylla, après avoir vaincu Mithridate dans les plaines de Chéronée, d'Orchomène, et contraint ce prince à lui demander la paix, laissant à Muréna le commandement de l'Asie, prend avec son armée le chemin d'Italie. Marius n'était plus. Son

fils, qui portait le même uom que lui, s'était enfermé dans Proeneste. Cette ville est prise d'assaut, livrée au pillage, et peu de Romains du parti de Marius échappèrent à la cruauté du vainqueur. Sylla fait son entrée dans Rome, à la tête de son armée; il prend solemnellement le nom d'heureux, felix, titre qui lui convenait, dit Velleius Paterculus, s'il eût cessé de vivre le jour qu'il acheva de vaincre.

Les crimes de Marius furent vengés par des crimes encore plus grands. Le reste de la vie de Sylla ne fut qu'un tissu de cruautés. Il fit massacrer un jour, dans le Cirque, sept mille prisonniers de guerre auxquels il avait promis la vie. Le sénat était alors assemblé dans le temple de Bellone, auprès de la place où se faisait cette boucherie. Les sénateurs paraissant extrêmement émus lorsqu'ils entendirent les cris d'une si grande multitude de mourans, le barbare leur dit froidement: Ne détournez point votre attention, pères conscripts, c'est un petit nombre de rebelles qu'on châtie par mon ordre. Ce carnage fut le signal des meurtres dont la ville fut remplie les jours suivans.

Au milieu de la désolation générale, Caïus Métellus, jeune sénateur, eut la hardiesse de demander à Sylla, dans le sénat, quel terme

il

[ocr errors]

il mettrait aux infortunes.de ses concitoyens Nous ne te demandons pas que tu pardonnes à ceux que tu as résolu de faire mourir; mais délivre - nous d'une incertitude pire que la mort, ou du moins apprends-nous ceux que tu veux sauver. Sylla, sans paraître s'offenser de ce discours, répondit qu'il n'avait pas encore déterminé le nombre de ceux auxquels il feFais-nous du moins connaître

rait grace. ceux que tu as condamnés. Sylla osa répondre qu'il le ferait; et ce fut ainsi qu'il annonça cette liste de proscription, dont, après tant de siècles, le souvenir fait encore aujourd'hui frémir l'humanité.

Tous les jours étaient publiquement affichés les noms de ceux que le tyran avait dévoués à la mort. On récompensait l'esclave qui appor tait la tête de son maître, le fils qui présentait celle de son père. Catilina se distingua dans cette boucherie. Après avoir tué son propre frère, il se chargea du meurtre de Marcus Marius Gratianus, auquel il fit arracher les yeux, couper les mains et la langue, et briser les os. Pour récompense de cette horreur, il eut le commandement des soldats chargés de la plupart de ces cruelles exécutions. Il suffisait, pour être condamné à mort, d'avoir déplu à

« PreviousContinue »