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Ie ne puis plus, à peine escrire igne.

Mere piteuse, ô sage, et noble dame,
Cessez voz pleurs, cessez de lamenter,
Voz larmes font petit secours à l'ame :
Quant est du corps, il gist souz triste lame,
Plus ne s'en faut douloir, ne tourmenter.
Faites prieres, à fin de l'ame enter
Là sus au ciel, luysant et radieux,
A Iuppiter, souuerain Dieu des Dieux.
C'est nostre Dieu, et benoit createur,
Iettez vers luy, les yeux de vostre cœur.

Ha chere espouse, à quoy pensez vous ore,
De double dueil estes vestue, et ceinte :
Gardez que mort ne perisse, et deflore
L'arbre et la fleur, si que le fruit deuore.
Helas, on dit que demourez enceinte.
Ie prie à Dieu, et à la Vierge sainte,
Garder de mal, et la mere, et l'enfant.
Mon cœur soustient si grief dueil qu'il en fend
Si vous auez ainsi perdu le pere,
Aumoins viura l'enfant, comme i'espere.
Petit enfant qui es encor a naistre,
Ton defunct pere à toy se recomınande,
T'admonnestant, que quand seras en estre,
Et qu'auras aage assez pour te congnoitre,
Tu prennes cœur d'accomplir sa demande.
Par moy te prie, et ces mots expres mande,
Qu'acquieres bruit de vertueux renom :
Si feras viure, et reflourir son nom.
le croy qu'en toy aura vertu, et grace,
Veu qu'es extrait, de si tresbonne race.
Et vous sa sœur, belle petite fille,
Ieune orpheline estes, et en bas aage,
Dont ne goustez le grief dueil qui exile

La grand' vertu, et prouesse gentile
De vostre pere, ainsi prins au passage;
Quand aurez temps, et de raison l'vsage,
Prenez faconde, humble, sage, et constante,
Selon le train de vostre mere, et tante.
Vous estes fille, en qui le loz redonde,
D'vn des meilleurs gentilzhommes du monde.
Qu'en dites vous, ses parens et parentes?
Ceux estes vous, à qui doy recourir
Comme aux amis, et amies apparentes.

Ans, moys, et iours, certes ne sont pas rentes
De grand' duree, on les laisse courir.
Ie vous requier, pensez de secourir
Vostre parent, surpris de mort à l'heure
Qui de tout l'an est tenue à meilleure :
C'est à la Pasque, on doit presupposer
Qu'il sceut tresbien de son fait disposer.

Pensez icy, vous autres gentilz hommes,
Et regrettez, comme moy, ce dommage :
Considerez, qu'en ce monde ne sommes
Fors pour porter labeurs, charges, et sommes,
Puis à la mort payer tribut d'hommage.
Le bon Viconte ha pris pour son dismage
A coups de traict, lances, piques, et haches.
Ce mot portoit: non sinon la, hanaches.
Iesus luy doint Paradis, s'il ne l'ha,

Et iamais n'aille ailleurs, non sinon là.

AMEN. (1)

(1) Après Amen, les anciennes éditions mettent la devise rhétoricienne de Crétin « Mieulx que pis» ainsi qu'une lettre à François Le Rouge. On la trouvera plus loin à la place assignée dans l'édition 1549.

LA PLAINTE DU DESIRÉ:

CESTADIRE, LA DEPLORATION DU TRESPAS DE

Feu Monseigneur Loys de Luxembourg, (1) Prince d'Altemore, Duc d'Andre et de Venouze, Conte de Ligny, etc. Composé par Iean le Maire de Belges, secretaire dudit feu seigneur. Lan mille cinq cens et trois.

Vn triste iour passé que le cler filz de Latone, et frere de la belle Diane tenoit son siege lointain de nostre orizon, au signe de Capricorne ie fus excité (2) par le miserable tumulte dune tourbe plourante, et par la vehemence de leurs trenchants regretz. Cestoit en vne cité de Gaule Celtique, qui porte le nom du Roy des bestes: là ou vne douce et paisible riuiere Septentrionale se plonge et perd en vn grand et impetueux fleuue Oriental. (3) Illec veis visiblement vne piteuse aduenue : car aupres dun noble corps gisant mort tout de frais estendu sur vn lit de camp, estoit dame Nature naturee, (4) sans mesure esbahie, ayant lœil immobile, et la contenance esmouuant à pitié, qui par force destonne

(1) fils de Louis de Luxembourg, connétable de St-Pol et favori de Louis XI. Le Désiré (par latinisme regretté) c'est Louis de Luxembourg-Ligny qui fut gouverneur de Picardie et dont J. Le Maire a été le secrétaire en 1503. Altamura, Andria et Venosa avaient été accordées à Ligny par Charles VIII en 1495.

(2) escité, éveillé.

(3) à Lyon.

(4) terme repris par la philosophie de Spinosa.

ment ne pouuoit proferer de sa bouche la profonde tristeur quon perceuoit en sa dolente face. Aupres delle estoient deux cleres Nymphes ses plus priuees damoiselles et pedisseques, dont comme ie fus aduerti, lune auoit nom Peinture paree, et lautre Riche rhetorique, desquelles les beaux yeux nageans en larmes, et les cœurs desolez perissans en souspirs, semoient parmi le pauement et parmi lair patent vne sourse de rosee lacrymale, et vn sourgeon de regretz anormaux, sans mot sonner. Toutesuoyes à chef de piece, Peinture la noble pucelle de la pitoyable voix yssant de son gosier crystalin, feit resonner la region circoniacente et rengregea le pleur et la commiseration de tous les assistans. Tellement, que la salle ou le corps reposoit atourné de riches habits selon la dignité dun Prince, sembloit estre vn droit souspirail de regretz, et vn abyme de souspirs. Les verbes que Nature prononça, sont cy apres recitez.

PEINTVRE.

Triste spectacle, ombrageuse apparence,
Regard obscur, acerbe vision

Voyons nous or': et auons conference

Au plus grief dueil, sans quelque difference,
Dont mort mordant feit onc prouision.

Est il viuant qui par preuision

Eust iamais sceu noncer vn tel meschef?
Ie croy que non, tant eust de sens au chef. (1)

Et ores.quand oracles et Sibylles
Eussent ce mal auant prophetisé,

Ou gens sauans toutes choses scibiles,

(1) quelqu'intelligence qu'il ait dans la tête.

Si n'eussent nulz ia esté si habiles,
Que de les croire on se fust aduisé.

O grief instant mal prins, mal deuisé,
Malaffreant, (1) malheureux, malapoinct,
Que les cieux ont fait tourner en vn poinct.

Les cieux, le temps, la dure destinee,
La fiere mort, l'importable accident,
Ont perpetré par fureur forsenee
Aigreur si forte, et de telle heure nee,
Que toute chose en ha dueil euident :
Voire tel dueil, qu'il est ia resident
En mille cœurs et y ha prins son siege
Pour tout iamais, sans qu'on le desassiege.

Dueil double, dueil douloureux et dolent,
Dueil renforcé sur toute doleance

En ha maint cœur hors de toute allegeance :
Mais qui l'ayt terrible et violent,

Dame Nature en ha plus grand' souffrance.
Voyez la là, la plus belle de France
Sombre, ternie, estonnee, esbahie,
De toutes pars de courroux enuahie. (2)

Regardez la, nobles cœurs feminins,
Recongnoissez vostre mere Nature :
Desployez y voz yeux doux, et benins,
Voyez comment par horribles venins
Elle ha changé sa belle pourtraiture.
Certes de vous elle ha fait nourriture:
Parquoy deuez de voz pleurs à ses larmes,
Et de voz cris à ses dolens alarmes.

(1) pour mal aferant, auferrant, affirant, peu convenable. (2) chagrin, douleur.

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