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PLAINTE

SUR LE TRESPAS DU SAGE ET VERTUEUX

cheualier feu de bonne memoire, messire Guillaume de Byssipat, en son viuant seigneur de Hanaches, Viconte de Falaise, et lun des gentilzhommes de lhostel du tresuictorieux Roy Loys douzieme de ce nom. (1)

Le iour que Mars desployant ses banieres,
Feit tirer hors par estranges manieres,
D'abymes creux sulphurines minieres,
Centres profonds, cauernes, et taisnieres
Outilz tresords

Du forgeron Vulcan, et ses consorts,
Soudains hazards, et auentureux sorts,
Prindrent effect de si cruelz ressors,

Que maints souldars

Suiuans guydons, enseignes, estandars,

Tant sur coursiers, cheuaux legers, hedars, (2)
Que pietonnans, succomberent souz dards

(1) Lemaire explique plus bas, dans une lettre adressée à un conseiller de la reine Anne de Bretagne pourquoi il insére ici cette pièce de Guillaume Crétin, disciple de Molinet. C'est ce même poète qui a fait aussi la Déploration sur la mort du musicien belge D'Ockeghem. La strophe de seize vers est la plus longue que les lyriques Provençaux aient admise.

(2) ou hédart, espèce de cheval.

De mortelle ombre :

Dont le recit, par voix obscure et sombre,
Rend à l'ouye enuuy et lourd encombre,
Veu que de morts y ha si tresgrand nombre.

Ce dur rapport,

Met la pensee en fort lointain transport,
Et auroit bien besoing d'aucun support,
Doutant plusieurs estre passez au port

De Phlegethon :

Que Dieu ne vueille, ains des mains de Pluton

Et Cerberus, l'ord infernal Lutton,

Soient preseruez. Ia pieca ne leut on

En vraye histoire

Occision si extreme et notoire,

Pour tant de sang, en humain territoire,

Estre espandu, quoy qu'on ayt la victoire.
C'est grand' douleur,

Quand gentilz gens, de prouesse et valeur,
Perdent la vie, et ont si bien du leur

En sort de guerre, on ne scait ou va l'heur.

Ie dy cecy

Pour le courroux, desplaisir, et soucy
Qu'ay à present, d'vn mien amy transi,
En ce conflict, dont me faut estre ainsi
Plein d'amertume,

Et en mon cœur par piteuse coustume
Faire vn amast de dolente apostume,
Qui tellement à pleindre m'accoustume,
Que mes escrits

Soient desormais confits en pleurs et cris:
Mes youx plongez en larmes : et que ris

N'y ayent plus lieu, mais forclos et prescrits

De tout plaisir

Des à present, se tiennent sans choisir
Le seul regard, en quoy puissent saisir
Aucun attrait, de sauoureux desir.

O Mort, hélas

Tu as cherché auoir ce corps et l'as.

Mon triste cœur de viure au monde est las,
Car luy et moy, sommes liez es laqs
D'aspres douleurs.

Nous en iettons sanglouts, souspirs, et pleurs.
Et à bon droit, huy pers vn des meilleurs
Amis que i'eusse, accompli en valeurs,
De tel' affaire,

Qu'il n'y restoit le seul poinct au parfaire. (1)
Diray ie qui? las se pourra il faire

De le nommer, sans premier satisfaire
A tel malaise ?

La larme à l'œil, à fin que mon dueil aise,

Ie prie à tous, que le trespas desplaise

Du feu gentil, Vicomte de Falaise.

Ie dy gentil,

Et le puis dire (ainsi) tel estoit il:

C'est luy cest mon, (2) c'est luy qui d'art subtil,
Fort bien s'aydoit de la plume et outil

Des Orateurs.

Et n'en desplaise aux modernes acteurs,

l'en scay bien peu dignes d'estre exacteurs (3)
Sur son credit: ses faits sont directeurs

(1) tellement qu'il n'y manquait plus rien pour avoir la perfection.

(2) i. e. certes.

(3) latinisme exigeants.

Du sien sauoir.

Par eux peult on la congnoissance auoir,
Et clerement lire, entendre, et sauoir
Se ie dy vray, on l'ha peu pieça voir.
Plume doree

Auoit en main, digne d'estre adoree.
De sa façon gaillarde, est demouree
Mainte escriture, aussi bien labouree,

Que iamais l'eusse.

Pleust or à Dieu, qu'assez bonne ie leusse Et pour son loz tel œuuvre faire deusse, Qu'au mont Olympe introniser le sceusse. Clerc bien lettré

Et sage estoit, de langage accoustré

Si prompt, que quand en propos fust entré Son dire l'eust tressauant demonstré.

Bon Grec parloit,

Et beau Latin aussi quand il vouloit,

Du maternel son escrit tant valoit,

Qu'vn tout seul mot amender n'y failloit.
En chant ioyeux

S'esiouyssoit, et sons harmonieux.

Si voulentiers il chantoit, qu'en tous lieux, De ses ennuys se rendoit oublieux.

Flustes sonna

Gaillardement, dont le son resonna
Si gorgias, que bonne raison ha
Dire que Pan au ieu le façonna.
Grand fut et droit,

Proportion ayant par tout endroit.

Zeuxis viuant, quand pourtraire voudroit Bel homme au vif, ie croy qu'il le prendroit. Si gracieux,

Bon et honneste estoit, que souz les cieux
Homme ne scay, plus que luy soucieux
Hanter les bons, et fuyr vicieux.
Des armes prendre

Ne luy failloit, l'art militaire apprendre.

Le voir armé, sembloit bien au comprendre
Homme de cœur, pour bon (1) cuure entreprendre.

Bruit et renom

D'immortel loz, ne doit pas perdre nom.
C'est vn Guillaume, il en portoit le nom,
Dont mieux l'aymoye, et estoit son surnom
De Byssipat.

Qui eust pensé, que Mort anticipast

Ainsi sa vie, et si tost dissipast,

Ou l'eust garde qu'il ne s'esmancipast?

Faulse diablesse,

Tu as occis vn fleuron de noblesse,

Dont le remors en debile foiblesse

Rend tous mes sens, en bonne foiblesse

Tant mon esprit,

Qu'à bien peu pres, il se perd et perit,

Considerant en ce cours preterit :

Homme elegant, si doit et si perit,

Beau, ieune, et fort,

Estre en fleur d'aage, atteint par tel effort,

Bien doy or' estre en dolent desconfort,

Et de regret faire piteux renfort.

Helas Viconte,

Tant ie te plaings, de long temps ne vy Conte
Duc, ou Marquis, plus digne d'estre en conte
D'homme exaulcé, que toy sans nul mesconte.

(1) bonne (éd. 1516 et 1528).

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