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rions risque de n'en pas voir la fin avant le temps que nous serons obligés de nous séparer. Ainsi, et pour notre commune satisfaction, et pour l'utilité de Madame votre belle-sœur, il la faut prier de nous ménager une seconde entrevue, où j'espère de vous renvoyer content sur les éclaircissements que vous desirez de moi. Vous voyez que je ne vous cache rien, et vous pourrez bientôt vous vanter de connoître le fond de nos mystères, autant du moins que je suis capable de vous les révéler; car il me paroît que vos intentions sont droites.

LE DOCTEUR. Elles ne peuvent l'être davantage, mon Père: e cherche le salut de ma sœur, et rien autre chose. Elle peut nous faire retrouver ensemble, et je suis prêt pour le jour et l'heure qu'elle voudra me conduire ici une seconde fois.

LE DIRECTEUR. Je vous attends tous deux avec impatience.

LA BRUYÈRE. II

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DIALOGUE VII.

Oraison de foi pure, parfaite béatitude. Idée de Dieu présent partout, seul objet de cette foi. Baisers, attouchements, mariages, martyres spirituels. Propriété et activité opposées à l'union essentielle, et sources de tout déréglement. Abandon parfait, mort spirituelle. Suites horribles de ces principes, découvertes et avouées en partie par les quiétistes, avec la réfutation de leurs explications. Compatibilité de l'état d'union essentielle avec les crimes les plus énormes.

LE DOCTEUR. Ce que nous dîmes hier, mon Père, a une trop intime liaison avec ce qui se doit traiter aujourd'hui, pour les séparer par un plus long intervalle de temps; et sans autre préambule, souffrez que je commence par vous demander une chose.

Le directeur. Vous êtes le maître, Monsieur, et je ne suis ici que pour vous répondre.

LE DOCTEUR. N'est-il pas écrit quelque part que l'oraison de foi pure fait la parfaite béatitude?

LE DIRECTEUR. C'est au Cantique des cantiques, je veux dire dans l'explication que nous en faisons, et dans l'endroit où il est dit: Que « la vue de Dieu n'est pas l'essentielle béatitude, la foi pure suffit1. »

et que

LE DOCTEUR. Distinguez-vous foi pure d'avec l'oraison de foi pure?

Le directeur. C'est la même chose.

LE DOCTEUR. Vous ne distinguez pas aussi, ce me semble, l'oraison de foi pure d'avec l'oraison de vue confuse et immédiate de Dieu, que vous appelez autrement la grande oraison, l'oraison de simple regard, de simple présence de Dieu en tous lieux 2.

1. Voyez ci-dessus, no 63 [c'est-à-dire ici p. 634, note 1.]

2. « La foi par laquelle on croit que Dieu est partout.... sert à le rendre présent; mais l'idée de son existence et de ses perfections y demeure. L'idée de Dieu qui est dans mon entendement n'est pas tout, parce qu'elle n'est qu'en moi, et que ce n'est pas la présence de Dieu que je contemple, c'est Dieu le Père, Fils et Saint-Esprit. Selon la théologie, si Dieu n'étoit point partout, il se trouveroit dans

LE DIRECTEUR. Tous ces mots sont synonymes.

LE DOCTEUR. Croyez-vous, mon Père, que dans cette oraison de simple présence, il y ait quelque chose d'assez surnaturel pour tenir lieu à l'âme de sa parfaite béatitude ?

Le directeur. Oui, par l'union essentielle qu'elle cause à cette âme1.

l'âme du juste, et ainsi par proportion celui qui contemple Dieu, en l'adorant et en l'aimant, ne le contemple pas parce qu'il est partout où peut aller le contemplateur, mais parce qu'il est Dieu, qu'il est saint, qu'il est parfait, qu'il est tout.... L'idée de Dieu est le fondement de l'édifice,... et le souvenir de Dieu, que l'on entretient par un acte continuellement et suavement réitéré avec la grâce, est une toile d'attente pour recevoir tout ce que Dieu nous voudra inspirer tantôt seul, tantôt [opérant] avec nous. » (Malaval, Réponse à Foresta, p. 250-252.)

« ....

Pour avancer une ame de plus en plus dans la perfection, il faut qu'elle s'engage moins que de coutume dans les opérations sensibles, et qu'elle s'éloigne de tout ce qui a quelque rapport aux puissances corporelles. Pour s'avancer dans la perfection, il faut avoir une foi vive que Dieu remplit tout de son essence, de sa présence et de sa puissance. (Falconi, Lettre à une fille spirituelle, p. 142.)

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« Les philosophes connoissent Dieu, les chrétiens le croient, les gens de méditation le considèrent; mais les contemplatifs le possèdent, parce qu'ils ne regardent fixement et invariablement que lui. » (Malaval, Pratique facile, partie I, p. 50 et 51.)

« Les perfections de Dieu, comme sa bonté, sa sagesse, sa toutepuissance, son éternité, sa science, et ainsi des autres, ne doivent être considérées, que.... pour nous élever à lui-même. » (Ibidem, partie I, p. 68.)

....

La contemplation.... est.... une simple vue.... de Dieu présent, appuyée sur la foi que Dieu est partout et qu'il est tout. » (Ibidem, p. 71 et 72.)

Il y a deux manières d'aller à Dieu : l'une par la réflexion et le raisonnement, et l'autre par une foi simple et par une connoissance générale et confuse. On appelle la première méditation, et la seconde recueillement intérieur et contemplation acquise. La première est pour ceux qui commencent, la seconde est pour ceux qui sont avancés; la première est sensible et matérielle, et la seconde plus pure et plus spirituelle. » (Molinos, Introduction à la Guide spirituelle, section 1, p. 1.)

1. « L'oraison parfaite de contemplation met l'homme hors de

LE DOCTEUR. Mais, mon Père, parlons de bonne foi : croyezvous que les païens n'eussent pas l'idée de Dieu, de Jupiter maître et souverain des Dieux et des hommes ?

LE DIRECTEUR. Sans doute; mais que concluez-vous de là? LE DOCTEUR. Patience, mon Père. Ne croyez-vous pas aussi que les païens ont eu attention à Dieu ? qu'ils lui ont fait des vœux? qu'ils lui ont adressé des oraisons? Vous faudroit-il rapporter ce qu'on lit encore dans leurs poëtes?

LE DIRECTEUR. Cela n'est pas nécessaire.

LE DOCTEUR. Je vous demande donc, mon Père, quelle idée de Dieu, quelle vue, quelle connoissance de ce souverain Être pouvoient-ils avoir? Pensez-vous qu'elle fût bien claire et bien distincte ? Et si elle n'étoit pas telle, que pouvoit-elle être, je vous prie, que confuse et indistincte?

Le directeur. Mais, Monsieur, vous me permettrez de vous interroger à mon tour croyez-vous, vous autres, avoir une connoissance de Dieu bien nette et bien distincte ?

soi, le délivre de toutes les créatures, le fait mourir et entrer dans le repos de Dieu. Il est en admiration de ce qu'il est uni avec Dieu, sans douter qu'il soit distingué de Dieu. Il est réduit au néant et ne se connoît plus; il vit et ne vit plus; il opère et n'opère plus; il est et n'est plus. » (La Combe, Analyse de l'oraison mentale*.) « L'union du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père passera par transfusion dans notre esprit. » (Ibidem **.)

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Il y a deux repos : l'un qui est la cessation de toute œuvre, l'autre [, qui est ***] la jouissance de la fin. Tel est le repos du parfait contemplatif, qui sait s'élever à Dieu au-dessus de soi en esprit et se reposer en lui par fruition, fruitive quiescere. (Ibidem ****.)

Denique cum valde provecta fuerit hæc eadem orandi ratio, excessum parit hominis a se ipso, et ab omnibus creaturis;... tum feliciter in Domino mortuus, ingreditur in requiem Domini sui. Miratur se unum factum cum Deo, nec tamen dubitat quin sit a Deo vere distinctus. Redactus est ad nihilum, et se amplius nescit.... Fructus porro sunt.... vivere, et non vivere; operari, et non operari; esse et non esse. (Pages 130 et 131.) Illaque unitas, quæ nunc est Patris cum Filio, et Filii cum Patre, in nostrum fuerit sensum mentemque transfusa. (Page 49.)

**

*** Il y a dans l'ancienne édition des Dialogues: «<l'autre en la jouissance, etc. >>

Requies est duplex: alia cessatio ab omni opere;... alia fruitio finis:... hujus modi est quies contemplantis, qui utique novit elevare se ad Deum supra seipsum in spiritu, ac in eo fruitive quiescere. (Page 70.)

:

LE DOCTEUR. Non, mon Révérend Père, pendant que nous sommes sur la terre aussi n'y établissons-nous pas de paradis, ni de parfaite béatitude; nous l'espérons pour l'autre vie, où nous plaçons une vue de Dieu assez claire et assez distincte pour contribuer à notre parfait bonheur.

Mais pour revenir aux païens, vous persuaderiez-vous, mon Père, qu'ils n'aient pas eu l'idée de la présence de Dieu en tous lieux ?

Le directeur. Ils l'ont eue sans difficulté, car elle est naturelle.

:

LE DOCTEUR. Prenez garde, mon Père, à ce que vous dites. Le directeur. Je ne me rétracte point la multiplicité de leurs dieux, leur Jupiter, leur Junon, leur Pluton, leur Neptune, leurs Nymphes, leurs Dryades, leurs Oréades et leurs Napées, leur Alphée et leur Aréthuse, tout cela n'est autre chose chez les païens que Dieu, agissant dans tous les lieux du monde, animant toutes les diverses parties de la nature; en un mot, que la présence continue de Dieu en tous lieux. LE DOCTEUR. Et cette idée, dites-vous, est naturelle chez les païens?

LE DIRECTEUR. Sans doute.

LE DOCTEUR. Car chez vous elle est quelque chose de divin et de surnaturel; elle est un don éminent du Saint-Esprit; elle produit l'union essentielle, la parfaite jouissance de Dieu, la souveraine béatitude de l'âme, sans qu'il soit besoin qu'il lui en coûte sa dissolution d'avec son corps. Admirez, je vous prie, la nouveauté et les suites de vos principes que n'accordoit-on plutôt à vos sectaires l'idée de la justice de Dieu ? ils le révéreroient, ils le craindroient; celle de la toute-puissance? ils l'admireroient. La crainte, le respect, l'admiration sont des passions qui conviennent à l'homme par rapport à Dieu. Que ne leur passiez-vous l'idée de sa bonté et de sa miséricorde infinie? ils l'aimeroient l'amour tend à l'union; c'auroit été votre union essentielle. A quoi vous peut servir votre paradis anticipé, une idée sèche et obscure de Dieu présent en tous lieux, qui n'est que naturelle, et qui vous est commune avec les païens? Où trouvez-vous là les dons de Dieu, et la grâce qui justifie?

:

Le directeur. Vous êtes si peu dans le fait, mon cher Mon

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