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dites vous-même que vous l'avez expliqué d'abord, et ayant encore, dans la Vie de Socrate du même Diogène Laërce, observé ces mots : Πολλάκις δὲ βιαιότερον ἐν ταῖς ζητήσεσι διαλεγόμενον κονδυλίζεσθαι καὶ παρατίλλεσθαι, τὸ πλέον τε γελᾶσθαι καταφρονούμενον, et ayant joint ces deux endroits avec cet autre : Ην δ' ἱκανὸς καὶ τῶν σκωπτόντων αὐτὸν Sлspoрav, j'ai inféré de là que Socrate passoit du moins dans l'esprit de bien des gens pour un homme assez extraordinaire, que quelques-uns alloient même jusqu'à s'en moquer, ainsi qu'Aristophane l'a fait publiquement et presque ouvertement dans ses Nuées; et que je pouvois par ces raisons faire servir le nom de Socrate à mon dessein. Voilà, Monsieur, tout le mystère, où je vous prie surtout de convenir que selon même votre observation, quoique très-belle, le uzivóμsvog reste toujours un peu équivoque, puisque le grec dit ou que Diogène étoit comme Socrate qui deviendroit fou, ou comme Socrate lorsqu'il n'est pas en son bon sens, et cette dernière traduction me seroit favorable. Voilà, Monsieur, toute la réponse que je sais faire à votre critique, dont je vous remercie comme d'un honneur singulier que vous avez

hoc Platonis de Diogene dictum ab Eliano, cujus hæc sunt verba (Variæ historiæ, lib. XIV, cap. 33) : Εἰώθει δέ, φασίν, ὁ Πλάτων περὶ Διογένους λέγειν ὅτι μαινόμενος οὗτος Σωκράτης ἐστίν : solebat enim, ut vulgo fertur, de Diogene Plato dicere, illum esse Socratem furentem.

1. Diogène de Laërte, Vie de Socrate, VI, 21. « Souvent, lorsqu'il discutait vivement, on lui donnait des coups de poing, on lui tirait les cheveux, et d'ordinaire on riait de lui avec mépris. »

2. Ibidem, XI, 27. « Il était homme à négliger les railleries dont il était l'objet.

3. Ceci n'est-il pas fort subtil, et peut-on dire qu'il y ait équivoque? Le vrai sens du passage grec, tel que Ménage le corrige, est, ce nous semble, que Diogène est « un Socrate en délire, un Socrate fou. » C'est la première signification proposée, mais d'une manière un peu louche, par la Bruyère : « comme Socrate qui deviendroit fou,»

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fait à mon ouvrage des Caractères. M. l'abbé Reynier', à qui je dois l'avantage d'être connu de vous, a bien voulu se charger de vous dire la raison qui m'a empêché de vous faire plus tôt cette réponse; il vous aura dit aussi combien j'ai été sensible aux termes civils et obligeants dont vous avez accompagné vos observations, comme au plaisir de connoître que j'ai su par mon livre me concilier l'estime d'une personne de votre réputation. Je tâcherai de plus en plus de m'en rendre digne et de la conserver chèrement, et j'attends avec impatience l'occasion de mon retour à Paris, pour aller chez vous, Monsieur, vous continuer mes très-humbles respects.

Vendredi au soir, à Versailles.

DELABRUYÈRE.

XIX

LA BRUYÈRE A BUSSY'.

A Paris, ce 9 décembre 1691.

Si vous ne vous cachiez pas de vos bienfaits, Monsieur, vous auriez eu plus tôt mon remerciement. Je vous le dis sans compliment, la manière dont vous venez de m'obliger m'engage toute ma vie à la plus vive reconnoissance dont je puisse être capable. Vous aurez bien de la peine à me fermer la bouche: je ne puis me taire sur cette circonstance qui me dédommage de n'avoir pas été

1. Regnier des Marais. Voyez ci-dessus, p. 460, note 2.

2. Cette lettre et la suivante ont été publiées dans la Correspondance de Bussy Rabutin, édition de M. Ludovic Lalanne, tome VI, p. 515 et 516, d'après les éditions antérieures des Lettres de Bussy.

reçu dans un corps à qui vous faites tant d'honneur1. Les Altesses à qui je suis seront informées de tout ce que vous avez fait pour moi, Monsieur. Les sept voix qui ont été pour moi, je ne les ai pas mendiées, elles sont gratuites; mais il y a quelque chose à la vôtre qui me flatte plus sensiblement que les autres. Je vous envoie, Monsieur, un de mes livres des Caractères, fort augmenté3, et je suis avec toutes sortes de respects et de gratitude, etc.

XX

BUSSY A LA BRUYÈRE.

A Chaseu, ce 16 décembre 1691.

QUAND je vous ai voulu faire plaisir sans me faire de fête, Monsieur, ce n'est pas que j'eusse honte de vous servir, mais c'est qu'il m'a paru qu'un service annoncé avant qu'il soit rendu a perdu son mérite. Les voix que vous avez eues n'ont regardé que vous vous avez un mérite qui pourroit se passer de la protection des Altesses, et la protection de ces Altesses pourroit bien, à mon avis, faire recevoir l'homme du monde le moins recommandable. Jugez combien vous auriez paru avec elles et avec

I.

Bussy avait donné sa voix à la Bruyère lorsqu'il s'était présenté à l'Académie, en novembre 1691, comme candidat à la place que la mort de Benserade laissait vacante. L'élection avait eu lieu le 22, et Pavillon avait été nommé. Sa réception se fit le 17 décembre.

2. La 6e édition sans doute, dont l'Achevé d'imprimer est du 1er juin 1691. Il ne serait pas impossible toutefois que ce fût la 7o, qui n'a point d'Achevé d'imprimer et est simplement datée de 1692 : les livres publiés à la fin d'une année portent souvent, au dix-septième siècle comme aujourd'hui, la date de l'année suivante.

LA BRUYÈRE. II

33

vous-même, si vous les aviez employées. Pour moi, je vous trouve digne de l'estime de tout le monde, et c'est aussi sur ce pied-là que je suis votre ami sincère et votre, etc.

XXI

LA BRUYÈRE A SANTEUL'.

Ce jeudi matin, à Paris.

VOULEZ-VOUS que je vous dise la vérité, mon cher Monsieur? Je vous ai fort bien défini la première

1. Cette lettre a été publiée, en 1708, à la Haye, dans le Santeülliana (2o partie, p. 40 et 41), et reproduite dans les Lettres choisies de Messieurs de l'Académie françoise sur toutes sortes de sujets, avec la traduction des fables de Faerne par M. Perrault de l'Académie françoise (Paris, J.. B. Coignard, édition de 1708, p. 171; édition de 1725, p. 214); dans les Nouvelles lettres familières et autres sur toutes sortes de sujets, etc., par René Milleran (édition de Bruxelles, 1709, p. 190 et 191); dans la Vie et les bons mots de M. Santeuil, etc. (Cologne, 1722, tome II, p. 44); dans le Santoliana publié par Dinouart en 1764 (p. 255), etc. Après avoir comparé le Santeüilliana de 1708 et les Lettres choisies, achevées d'imprimer le 31 janvier 1708, il nous a paru certain que la publication du Santeüilliana est antérieure à celle des Lettres, et que l'éditeur de ces dernières a extrait du Santeüilliana une partie des lettres adressées à Santeul qui y étaient contenues. L'édition de 1708 des Lettres choisies semble être annoncée comme une seconde édition, puisque l'Achevé d'imprimer, placé à la fin du volume, porte cette mention : « pour la seconde fois »; mais nulle part nous n'avons trouvé la trace d'une édition antérieure. La traduction des Fables de Faerne avait été imprimée une première fois en 1699; une partie des lettres insérées dans le recueil des Lettres choisies avait paru soit dans l'édition de 1705 des Nouvelles lettres familières publiées par Milleran, soit dans le Santeüilliana: on peut s'expliquer ainsi que Coignard ait présenté comme une seconde édition celle qui réunissait, dans un même volume, une traduction déjà imprimée et un recueil de lettres qui n'étaient pas toutes inédites. L'édition de 1709 des Nouvelles lettres familières est également annoncée comme une « nouvelle édition : » il avait bien paru en 1705,

fois1 : vous avez le plus beau génie du monde et la plus fertile imagination qu'il soit possible' de concevoir; mais pour les mœurs et les manières, vous êtes un enfant de douze ans et demi. A quoi pensez-vous de fonder sur une méprise ou un'oubli, ou peut-être encore sur un malentendu, des soupçons injustes, et qui ne convenoient point aux personnes de qui vous les avez? Comptez

sous le même titre, un recue il de lettres préparé par Milleran; mais cette édition de 1705, à laquel le ressemble fort peu celle de 1709, ne contient pas la lettre de la Bru ère, non plus qu'aucune autre qui soit adressée à Santeul. - C'est d'a près le Santoliana que MM. Walckenaer et Destailleur ont reprod uit la lettre de la Bruyère: le premier, en ajoutant aux fautes du texte, altéré en plusieurs endroits; le second, en intercalant quelqu esmots pour le rendre intelligible. M. Fournier en a donné dans sa Comédie de la Bruyère, tome I, p. 239 et 240, un texte rectifié d'aprèsle Santeüilliana de 1708 et les Lettres choisies (édition de 1725). Nous p ublions, sauf indication contraire, le texte du Santeüilliana, c'est-à-dire celui que nous jugeons le plus ancien.

1. La Bruyère fait-il allusion au caractère de Théodas *, publié dans la 6e édition? On l'a dit, et cette interprétation, si elle est exacte, assigne à la lettre une date postérieure à celle de la 6o édition, dont l'Achevé d'imprimer est du 1er juin 1691. Mais en rappelant la définition qu'il a faite « la première fois », la Bruyère ne semble-t-il pas se reporter à quelque conversation, ou plutôt à quelque lettre antérieure? Et le caractère de Théodas ne serait-il pas le développement de cette première définition de Santeul donnée à Santeul lui-même? S'il en était ainsi, la lettre serait antérieure à la publication de la 6e édition. Quoi qu'il en soit, elle a été écrite après la mort du grand Condé, alors que son fils prenait le titre de Monsieur le Prince, et que sa femme était appelée Madame la Princesse. 2. On lit dans toutes les anciennes impressions : « qui soit possible de concevoir; » il est vraisemblable que la Bruyère a écrit ainsi. 3. Tel est le texte des deux ana. Les autres éditions anciennes répètent sur après ou.

4. Dans le Santeüilliana, et dans toutes les réimpressions de la lettre, cet endroit est inintelligible. On lit dans les diverses éditions du Santeüilliana, dans le Santoliana, dans l'édition de 1708 des Lettres choisies et dans la vie, etc. de M. Santeuil : « aux personnes de qui

* Voyez ci-dessus, p. 101-103, et p. 345-347.

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