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XVI

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

Ce mercredi, [24] avril [1686], à Versailles.

MONSEIGNEUR,

Je voudrois aller si vite dans les études de Monsieur le duc de Bourbon qu'il y eût tous les jours quelques nouvelles choses à vous mander sur le progrès qu'il y fait. Elles ont été un peu interrompues par la dévotion des dernières fêtes1 et par les répétitions du carrousel. Nous sommes cependant depuis quelques jours dans le bon train, et fort avant dans la vie de François premier, qu'il écoute avec assez d'application. J'apporte tout le soin dont je suis capable pour l'en rendre instruit, et des autres études dont Votre Altesse m'a chargé et dont j'espère lui en rendre compte à l'ordinaire. Je suis avec un profond respect,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très-humble et très-obéissant serviteur,

DELABRUYÈRE.

Au dos: A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince, à Chantilly; et d'une autre main: M. de la Bruyère, 24 avril 16863.

1. La fête de Pâques avait été, cette année, célébrée le 14 avril. 2. Il y avait eu répétition le 16 et le 21 avril; il y en eut encore le 28, le 1er mai, le 8 et le 13. Le carrousel, plusieurs fois ajourné, eut lieu le 28 mai.

3. C'est le lendemain, 25 avril, que les jeunes époux furent réunis : voyez Dangeau, tome I, p. 325.

XVII

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Ce 4 juillet [1686], à Versailles.

Comme nous nous sommes réglés sur l'abrégé de M. de Mezeray' pour la vie du roi Henri second, qui est d'ailleurs fort courte, cela est cause que nous l'avons déjà achevée; je m'attache présentement a en faire récapitulation à Son Altesse, afin qu'elle la sache plus parfaitement, et j'observerai cette méthode dans toutes les vies qui suivent. Et parce que Monsieur le duc de Bourbon a toujours un peu de peine à s'appliquer, et que cela retarde le projet de ses études, je ne sais autre chose que lui inculquer fortement et souvent les endroits de l'histoire, de la géographie et des généalogies, dont il est tout à fait nécessaire qu'il soit instruit ; ainsi je ne sors presque point de l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, la France, les Pays-Bas, qu'il oublieroit dès que je passerois à d'autres connoissances et m'y arrêterois trop longtemps. Je ménage le temps selon que je le dois, et tâche de réparer ses inapplications par mon opiniâtreté et par mille répétitions, car je n'ai rien plus à cœur que de vous contenter. Madame la duchesse de Bourbon étudie régulièrement et avec fruit. Je suis avec un profond respect,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très-humble et très-obéissant serviteur,

DELABRUYÈRE.

1. Abrégé chronologique ou Extrait de l'histoire de France, publié

en 1667 et très-souvent réimprimé.

Au dos: A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince, à Chantilly; et d'une autre main M. de la Bruyère, 4 juillet 1686.

:

XVIII

LA BRUYÈRE A MÉNAGE'.

Περὶ Αδολεσχίας, περὶ Λαλιᾶς, περὶ Λογοποιίας. Ces trois chapitres des Caractères de Théophraste paroissent d'abord rentrer les uns dans les autres, et ne laissent pas au fond d'être très-différents. J'ai traduit le premier titre du Diseur de rien; le second, du Grand parleur ou du Babil; et le troisième, du Débit des nouvelles. Il est vrai, Monsieur, que dans la traduction que j'ai faite du second de ces trois chapitres, intitulé : du Babil, je n'ai fait aucune mention des Dionysiaques parce qu'il n'en est pas dit un seul mot dans le texte ; j'en parle dans

1. Cette lettre, trouvée, dit-on, parmi les papiers de Ménage, et vendue à Sens, en 1849, parmi les autographes qui avaient formé la collection de M. Th. Tarbé, appartient aujourd'hui à M. le comte d'Hunolstein. M. Destailleur l'a publiée, avec le fac-simile de la signature, dans les deux éditions qu'il a données de la Bruyère (p. xvII et p. xxvi du tome I). Nous voyons dans les notes qu'ont bien voulu nous communiquer sur cette lettre M. d'Hunolstein d'une part, et M. Édouard Fournier de l'autre, que la Bruyère a écrit, au commencement et dans le cours de la lettre : ¿òoλɛyíaç*, au lieu de adoλɛoylas, et qu'il a remplacé partout les 0 par des t. Deux fois aussi il a mis, déplaçant l'y, Dyonisiaques. Suivant une annotation manuscrite que porte la lettre, elle a été écrite « en 1690 ou 1691, vers le mois de septembre. »

2. Voyez tome I, p. 39; p. 48, et note 1; p. 50.

* N'aurait-on pas confondu avec l'abréviation du groupe %, qui ne diffère du x que par une petite boucle initiale? Ou bien est-ce la Bruyère que cette abréviation a trompé?

celui du Diseur de rien, en grec περὶ Αδολεσχίας, οἱ ma traduction, si vous prenez la peine de la lire, doit vous paroître conforme à l'original; car étant certain que les grandes Bacchanales ou les Dionysiaques se célébroient au commencement du printemps, qui est le temps propre pour se mettre en mer, il me semble que j'ai pu traduire : Il dit qu'au printemps, où commencent les Bacchanales, la mer devient navigable, d'autant plus que ces mots: τὴν θάλατταν ἐκ Διονυσίων πλώϊμον εἶναι, peuvent fort bien signifier que la mer s'ouvroit, non pas immédiatement après que les Dionysiaques étoient passées, mais après qu'elles étoient commencées, et je crois lire ce même sens dans le commentaire de Casaubon et dans quelques autres scoliastes' de sorte, Monsieur, que je crois vous faire ici un long verbiage ou tomber moimême dans le babil, et que vous vous êtes déjà aperçu que le chapitre où vous avez lu pour titre : du Babil ou du Grand parleur, et que vous avez pris pour celui Teρì περὶ 'Adoλexias, a fait toute la méprise.

Pour ce qui regarde Socrate2, je n'ai trouvé nulle part

1. Nous comprenons que ce passage de la traduction : « Il dit qu'au printemps, où commencent les Bacchanales, etc., » n'ait pas entièrement satisfait Ménage. Le sens est bien entendu, mais le tour employé pour le rendre ne l'exprime pas avec une très-nette exactitude. L'addition du mot printemps, qui n'est point dans le grec, est conforme à l'explication donnée par Casaubon, qui parle dans son commentaire des deux fêtes de Bacchus, célébrées l'une au commencement du printemps, l'autre à l'automne, et qui dit que c'est de la première évidemment qu'il est ici question. La version latine de Casaubon Mare statim a Dionysiis patere navibus, est bien conforme à ce qu'il ajoute dans son commentaire sur la valeur de la préposition ex et à ces mots de notre lettre (où la Bruyère se rapproche plus du grec que dans sa traduction) : « Que la mer s'ouvroit.... après qu'elles (les Dionysiaques) étoient commencées. »

2. Voyez ci-dessus, p. 107 et 108, no 66, la réflexion à laquelle s'appliquait la critique de Ménage. Il lui avait déplu que la Bruyère

qu'on ait dit de lui en propres termes que c'étoit un fou tout plein d'esprit : façon de parler à mon avis impertinente, et pourtant en usage, que j'ai essayé de décréditer en la faisant servir pour Socrate, comme l'on s'en sert aujourd'hui pour diffamer les personnes les plus sages, mais qui s'élevant au-dessus d'une morale basse et servile, qui règne depuis si longtemps, se distinguent dans leurs ouvrages par la hardiesse et la vivacité de leurs traits et par la beauté de leur imagination. Ainsi Socrate ici n'est pas Socrate c'est un nom qui en cache un autre. Il est vrai néanmoins qu'ayant lu l'endroit de Diogène que vous citez1, et l'ayant entendu de la manière que vous

semblat n'avoir pas tenu compte, en écrivant cette remarque, de l'une de ses observations sur Diogène de Laërte. Les Observations de Ménage, imprimées à Paris en 1663, à un très-petit nombre d'exemplaires, avaient paru en 1664 à Londres dans l'édition in-folio des OEuvres de Diogène de Laërte (grec et latin). Augmentées par l'auteur, elles furent réimprimées dans l'édition de Diogène de Laërte qui fut publiée à Amsterdam en 1692 (2 volumes in-4o). Cette édition, longuement préparée, était peut-être déjà sous presse lorsque Ménage fit part à la Bruyère des critiques auxquelles ce dernier répond dans cette lettre.

1. L'endroit dont il s'agit est celui-ci : 'EpwτηDELS STÓ TIVOS « Ποτός τίς σοι, Διόγενες, δοκεῖ Σωκράτης; » εἶπε, «Μαινόμενος. » (Diogène de Laërte, Vie de Diogène, VI, 54.) Voici la remarque que Ménage écrivit sur cette phrase, et qui était répétée dans la lettre à laquelle répond la Bruyère: Cum primum in hunc locum incidi, existimabam hoc de Socrate dictum Diogenis elpwvxus accipiendum : absit enim ut credam Diogenem serio locutum, cum Socratem, omnis philosophiæ parentem, quique hominum sapientissimus ab oraculo est judicatus, furentem appellavit. Deinde cum hæc verba in editione Basileensi, in regio codice et in Florentino desiderari animadvertissem, additamentum esse non dubitavi. Et profecto ita est. Ea ad oram horum verborum: IIλátшvos rep? lõs☎v, etc., quæ proxime præcessere, sciolus quidam adnotaverat, sed non ut hodie leguntur. Scripserat quippe : 'Epwensis nó τινος, Plato scilicet, « Ποιός τίς σοι Διογένης δοκεῖ; Σωκράτης, εἶπε,

« parvóuevos. » Ex quo postea imperiti librarii, qui hæc verba in textum recepere, fecerunt : « Ποτός τίς σοι, Διόγενες, δοκεῖ Σωκράτης; » cum de Diogenis, non de Platonis dictis hic ageretur. Habuit autem sciolus ille

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