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née'. L'une et l'autre de ces éditions donnaient le discours sans aucun commentaire. La Préface ne parut qu'en 1694, dans la 8 édition des Caractères, c'est-à-dire dans la première réimpression qui en ait été faite après la réception de la Bruyère à l'Académie.

Le Mercure avait menacé la Bruyère d'une réplique terrible s'il répondait à ses attaques: il garda néanmoins le silence sur la Préface du Discours. Cette Préface, au surplus, ne modifia point le sentiment général. Aux citations déjà faites, qui montrent combien le Discours eut peu de succès, nous pouvons encore ajouter le témoignage de l'abbé Trublet, témoignage impartial, car, bien que neveu de Fontenelle, Trublet parle avec estime de la Bruyère, et même il juge favorablement son Discours : « En général, dit-il (Mémoires sur Fontenelle, p. 223 et 224), ce discours, quoique très-beau, fut peu goûté lorsqu'il fut prononcé. Il ne s'est même pas relevé à la lecture, pas même auprès de la génération présente, et j'entends encore tous les jours citer la Bruyère lorsqu'on parle d'académiciens célèbres par d'excellents ouvrages et qui pourtant n'ont fait à leur réception qu'un discours médiocre ou même mauvais. Je suis bien éloigné, ajoute Trublet, de penser ainsi de celui de la Bruyère. Je n'en connois guère d'aussi beaux, et je n'ai point craint de le dire plus d'une fois à M. de Fontenelle même. J'avoue qu'il n'étoit pas de mon avis; mais il avoit ses raisons, ou plutôt ses motifs. »

Nous publions la Préface et le Discours d'après le texte de la 9 édition des Caractères, et nous donnons dans les notes les variantes, peu importantes d'ailleurs, qu'offrent la 8* édition pour la Préface et le Discours, et de plus, pour le Discours, les éditions détachées de Coignard et de Michallet.

à la première édition du Discours, à celle de 1693, que nous renvoyons, quand nous citons dans les notes l'édition Coignard.

1. Discours prononcé dans l'Académie françoise, par M. de la Bruyère, le lundi quinzieme juin M. DC. XCIII, jour de sa réception, Paris, Michallet, 1693, in-4°. C'est cette édition que nous désignons dans les notes par les mots : « édition Michallet. »

PRÉFACE.

CEUX qui interrogés sur le discours que je fis à l'Académie françoise le jour que j'eus l'honneur d'y être reçu, ont dit sèchement que j'avois fait des caractères, croyant le blåmer, en ont donné l'idée la plus avantageuse que je pouvois moi-même desirer; car le public ayant approuvé ce genre d'écrire où je me suis appliqué depuis quelques années, c'étoit le prévenir en ma faveur que de faire une telle réponse. Il ne restoit plus que de savoir si je n'aurois pas dù renoncer aux caractères dans le discours dont il s'agissoit; et cette question s'évanouit dès qu'on sait que l'usage a prévalu qu'un nouvel académicien compose celui qu'il doit prononcer, le jour de sa réception, de l'éloge du Roi, de ceux du cardinal de Richelieu, du chancelier Seguier, de la personne à qui il succède, et de l'Académie françoise. De ces cinq éloges, il y en a quatre de personnels; or je demande à mes censeurs qu'ils me posent si bien la différence qu'il y a des éloges personnels aux caractères qui louent, que je la puisse sentir, et avouer ma faute. Si chargé de faire quelque autre harangue, je retombe encore dans des peintures, c'est alors qu'on pourra écouter leur critique, et peut-être me condamner; je dis peut-être, puisque les caractères, ou du moins les images des choses et des personnes, sont inévitables dans l'oraison, que tout écrivain est peintre, et tout excellent écrivain excellent peintre.

J'avoue que j'ai ajouté à ces tableaux, qui étoient de commande, les louanges de chacun des homines illustres qui composent l'Académie françoise; et ils ont dù me le pardonner, s'ils ont fait attention qu'autant pour ménager leur pudeur que pour éviter les caractères, je me suis abstenu de toucher à leurs personnes, pour ne parler que de leurs ouvrages, dont j'ai fait des éloges publics1 plus ou moins étendus, selon que les sujets qu'ils y ont traités pouvoient l'exiger. J'ai loué des académiciens encore vivants, disent quelques-uns. - Il est vrai ; mais je les ai loués tous: qui d'entre eux auroit une raison de se plaindre? C'est une coutume' toute nouvelle, ajoutent-ils, et qui n'avoit point encore eu d'exemple. veux en convenir, et que j'ai pris soin de m'écarter des lieux communs et des phrases proverbiales usées depuis si longtemps, pour avoir servi à un nombre infini de pareils discours depuis la naissance de l'Académie françoise. M'étoit-il donc si difficile de faire entrer Rome et Athènes, le Lycée et le Portique, dans l'éloge de cette savante compagnie? Etre au comble de ses vœux de se voir académicien; protester que ce jour où l'on jouit pour la première fois d'un si rare bonheur est le jour le plus beau de sa vie"; douter si cet honneur qu'on vient de rece

1. VAR. (édit. 8): des éloges critiques. 2. VAR. (édit. 8) : C'est une conduite.

Je

3. La plupart des récipiendaires parlaient en effet de Rome et d'Athènes; et le jour même où la Bruyère avait prononcé son discours, on avait entendu l'abbé Bignon, reçu comme lui le 15 juin 1693, s'écrier: « Désormais je me verrai assis au milieu de cette élite de savants, nouveaux héros de l'empire des lettres, qui font revivre en nos jours ce qu'Athènes et Rome ont eu de plus merveilleux. › Dans la réponse aux discours de Bignon et de la Bruyère, Charpentier avait fait aussi intervenir les Grecs et les Romains.

4. « Voici le jour heureux où il m'est permis d'entrer dans le temple de Minerve.... Jour plein de gloire! jour remarquable entre tous les jours de ma vie! » (Discours de réception de l'abbé Testu de

voir est une chose vraie ou qu'on ait songée1; espérer de puiser désormais à la source les plus pures eaux de l'éloquence françoise; n'avoir accepté, n'avoir desiré une telle place que pour profiter des lumières de tant de personnes si éclairées; promettre que tout indigne de leur choix qu'on se reconnoit, on s'efforcera de s'en rendre digne*: cent autres formules de pareils compliments

Mauroy, 8 mars 1688.) Permettez-moi, en ce jour le plus beau de ma vie, de ne penser qu'à ce qui peut exciter mon courage et redoubler ma joie. » (Discours de réception de Pavillon, 17 décembre 1691.)

1. « Je doute si je veille ou si je dors, et si ce n'est point ici un de ces beaux songes qui sans nous faire quitter la terre, nous persuadent que nous sommes dans le ciel. » (Discours prononcé par Pellisson, lorsque l'Académie lui donna le droit d'assister à ses séances et d'y opiner, en lui promettant la première place vacante, 30 décembre 1652.) - « L'honneur que je reçois aujourd'hui est quelque chose pour moi de si grand, de si extraordinaire, de si peu attendu..., que dans le moment même où je vous en fais mes remerciements, je ne sais encore ce que je dois croire. Est-il possible, est-il bien vrai que vous m'avez en effet jugé digne d'être admis dans cette illustre Compagnie?...» (Discours de réception de Boileau Despréaux, 3 juillet 1684.)

2. .... Si le public doit tirer tant d'avantages de vos savantes leçons, que n'en doivent point attendre ceux qui, étant reçus dans ces conférences où vous répandez vos lumières si abondamment, peuvent les puiser jusque dans leur source? » (Discours de réception de Thomas Corneille, 2 janvier 1685.)

3. « Aussi n'ai-je souhaité d'obtenir la grâce que vous m'accordez que pour acquérir parmi vous la perfection qui me manque, et les lumières dont j'ai besoin. » (Discours de réception de Quinault, 1670.) — « .... Ainsi, Messieurs, il n'y a point d'esprit si obscur qui ne s'éclaire à vos lumières.... Que j'avois d'impatience d'être en état de profiter de ces belles instructions ! » (Discours de réception de l'abbé de Montigny, depuis évêque de Léon, janvier 1670.) Combien d'autres encore parlent des lumières de l'Académie ! Mais s'il est rare que les récipiendaires omettent de parler des lumières de l'Académie, ou des savants éclairés qui la composent, nous n'en connaissons pas qui ait réuni les deux expressions dans la même phrase.

4. « Pour moi, Messieurs, je m'efforcerai, avec le secours de vos

sont-elles si rares et si peu connues que je n'eusse pu les trouver, les placer, et en mériter des applaudissements?

Parce donc que j'ai cru que quoi que l'envie et l'injustice publient de l'Académie françoise, quoi qu'elles veuillent dire de son âge d'or et de sa décadence, elle n'a jamais, depuis son établissement, rassemblé un si grand nombre de personnages illustres pour toutes sortes de talents et en tout genre d'érudition, qu'il est facile aujourd'hui d'y en remarquer; et que dans cette prévention où je suis, je n'ai pas espéré que cette Compagnie put être une autre fois plus belle à peindre, ni prise dans un jour plus favorable, et que je me suis servi de l'occasion, ai-je rien fait qui doive m'attirer les moindres reproches? Cicéron a pu louer impunément Brutus, César, Pompée, Marcellus, qui étoient vivants, qui étoient présents: il les a loués plusieurs fois; il les a loués seuls dans le sénat, souvent en présence de leurs ennemis, toujours devant une compagnie jalouse de leur mérite, et qui avoit bien d'autres délicatesses de politique sur

doctes conférences, de vous suivre de loin et de mériter avec le temps la place qu'il vous a plu me donner aujourd'hui dans cette illustre Compagnie. » (Discours de réception de Perrault, 23 novembre 1671.) -Je sais bien, Messieurs, qu'en me recevant parmi vous, vous ne m'avez pas rendu digne de vous.... Animé par votre présence, ravi de l'honneur que je reçois, j'oublie ma foiblesse dans ce glorieux moment, et j'ose même espérer de marcher un jour sur vos traces, quand vos lumières, votre exemple et vos leçons m'auront donné assez de force pour vous suivre. » (Discours de Pavillon, déjà cité.) — Cette phrase est presque toujours, sous une forme ou sous une autre, la péroraison des récipiendaires, avant la Bruyère. L'abbé Bignon avait dit, dans le cours de sa harangue, quelques minutes avant que la Bruyère prit la parole: « C'est en ces lieux où je me vois admis que je puise, pour la perfection des beaux-arts, l'esprit qui les anime, les trésors qui les enrichissent, des lumières fécondes, etc. »

1. VAR. (édit. 8): par.

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