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Je me rachèterai toujours fort volontiers d'être fourbe par être stupide et passer pour tel. (Éd. 5.)

On ne trompe point en bien; la fourberie ajoute la malice au mensonge. (ÉD. 5.)

S'il y avoit moins de dupes, il y auroit moins de ce 26. qu'on appelle des hommes fins ou entendus, et de ceux qui tirent autant de vanité que de distinction d'avoir su, pendant tout le cours de leur vie, tromper les autres. Comment voulez-vous qu'Érophile, à qui le manque de parole, les mauvais offices, la fourberie, bien loin de nuire, ont mérité des gràces et des bienfaits de ceux mêmes qu'il a ou manqué de servir ou désobligés, ne présume pas infiniment de soi et de son industrie? (ÉD. 8.)

L'on n'entend dans les places et dans les rues des 27. grandes villes, et de la bouche de ceux qui passent, que les mots d'exploit, de saisie, d'interrogatoire, de promesse, et de plaider contre sa promesse. Est-ce qu'il n'y auroit pas dans le monde la plus petite équité? Seroit-il au contraire rempli de gens qui demandent froidement ce qui ne leur est pas dû, ou qui refusent nettement de rendre ce qu'ils doivent? (ED. 4.)

Parchemins inventés pour faire souvenir ou pour convaincre les hommes de leur parole: honte de l'humanité! (ÉD. 8.)

Otez les passions, l'intérêt, l'injustice, quel calme dans les plus grandes villes ! Les besoins et la subsistance n'y font pas le tiers de l'embarras. (ÉD. 4.)

Rien n'engage tant un esprit raisonnable à supporter 28. tranquillement des parents et des amis les torts qu'ils ont à son égard, que la réflexion qu'il fait sur les vices de

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l'humanité, et combien il est pénible aux hommes d'être constants, généreux, fidèles, d'être touchés d'une amitié plus forte que leur intérêt. Comme il connoît leur portée, il n'exige point d'eux qu'ils pénètrent les corps, qu'ils volent dans l'air, qu'ils aient de l'équité. Il peut haïr les hommes en général, où il y a si peu de vertu; mais il excuse les particuliers, il les aime même par des motifs plus relevés, et il s'étudie à mériter le moins qu'il se peut une pareille indulgence.

Il y a de certains biens que l'on desire avec emportement, et dont l'idée seule nous enlève et nous transporte: s'il nous arrive de les obtenir, on les sent plus tranquillement qu'on ne l'eût pensé, on en jouit moins que l'on aspire encore à de plus grands1.

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Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir : s'il arrive? que l'on l'on y tombe, l'on se trouve des ressources l'on ne se connoissoit point, l'on se roidit contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'espéroit.

que

Il ne faut quelquefois qu'une jolie maison dont on hérite, qu'un beau cheval ou un joli chien dont on se trouve

1. VAR. (édit. 1-4): que l'on n'aspire encore à de plus grands. — MM. Walckenaer et Destailleur ont conservé la leçon des quatre premières éditions, attribuant à une faute d'imprimerie la suppression de la négation, qui est plutôt, ce nous semble, une correction de l'auteur. «Quoy que ce soit qui tumbe en nostre cognoissance et iouïssance, dit Montaigne (livre I, chapitre LII, tome I, p. 466 et 467), nous sentons qu'il ne nous satisfaict pas, et allons beeant aprez les choses aduenir et incogneues, d'autant que les presentes ne nous saoulent point; non pas, à mon aduis, qu'elles n'ayent assez de quoy nous saouler, mais c'est que nous les saisissons d'une prinse malade et desreglée. »

2. VAR. (édit. 7) : et s'il arrive.

le maître, qu'une tapisserie, qu'une pendule, pour adoucir une grande douleur, et pour faire moins sentir une grande perte. (Ed. 4.)

Je suppose que les hommes soient éternels sur la terre, 32. et je médite ensuite sur ce qui pourroit me faire connoître qu'ils se feroient alors une plus grande affaire de leur établissement qu'ils ne s'en font dans l'état où sont les choses. (ÉD. 5.)

Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter; si 33. elle est heureuse, il est horrible de la perdre 1. L'un revient à l'autre.

Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conserver 34. et qu'ils ménagent moins, que leur propre vie.

Irène se transporte à grands frais en Épidaure, voit 35. Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue de fatigue; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire. Elle dit qu'elle est le soir sans appétit; l'oracle lui ordonne de dîner peu. Elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies; et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit. Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l'oracle 1 pond qu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher. Elle lui déclare que le vin lui est nuisible: l'oracle lui dit de boire de l'eau; qu'elle a des indigestions: et il ajoute

1. La vie est courte...; c'est la consolation des misérables et la douleur des gens heureux. » (Mme de Sévigné, lettre du 15 décembre 1685, tome VII, p. 481.)

2. Ville d'Argolide, célèbre par un temple et un oracle d'Esculape.

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qu'elle fasse diète. « Ma vue s'affoiblit, dit Irène. Prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j'ai été. — C'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de guérir de cette langueur? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. Fils d'Apollon, s'écrie Irène, quel conseil me donnez-vous? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre? Que m'apprenez-vous de rare et de mystérieux? et ne savois-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez? - Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage? » (éd. 8.)

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie : il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir1.

L'inquiétude, la crainte, l'abattement n'éloignent pas la mort, au contraire je doute seulement que le ris excessif convienne aux hommes, qui sont mortels. (ÉD. 5.)

Ce qu'il a de certain dans la mort est un peu Ꭹ adouci par ce qui est incertain : c'est un indéfini dans le temps qui tient quelque chose de l'infini et de ce qu'on appelle éternité. (ÉD. 5.)

Pensons que comme nous soupirons présentement pour la florissante jeunesse qui n'est plus et ne reviendra point, la caducité suivra, qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons

assez.

1. Mortem timere crudelius est quam mori. (Publius Syrus.)

pas

L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr de pou- 40. voir atteindre.

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse; 41. c'est-à-dire l'on aime la vie, et l'on fuit la mort. (ÉD. 5.)

C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre 42. la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellement aux prises avec soi-même pour ne la pas craindre 1. (ÉD. 6.)

Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres 43. non, ce seroit une désolante affliction que de mourir. (ÉD. 5.)

Une longue maladie semble être placée entre la vie et 44. la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent. (Éd.5.)

A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui 45. est de mettre fin à la vieillesse. (Éd. 5.)

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos que celle qui la termine. (ÉD. 5.)

Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du 46. temps qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage.

La vie est un sommeil : les vieillards sont ceux dont 47. le sommeil a été plus long; ils ne commencent à se réveiller que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur

1. La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans peril. » (Pascal, Pensées, article VI, 58.)

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