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et affliger leurs mânes, en croyant les respecter et leur complaire. Sans sortir de notre sujet, je suis convaincu que si la Logique d'Aristote était traduite en bon français, et suffisamment éclaircie pour être à la portée de tout le monde, il n'y aurait pas un homme qui ne pensât et ne vit clairement que cette première tentative, bien que très-estimable, a été complétement malheureuse; qu'elle a été contre son but, parcequ'on s'est trop pressé d'arriver à un résultat; qu'elle a besoin d'être reprise par sa base; que son auteur en conviendrait et le souhaiterait et que les Idéologistes français bien loin d'être des novateurs effrénés, des déserteurs de l'école d'Aristote, de tenter contre son intention des choses que ce grand maître a décidé être inutiles ou impossibles, sont ses continuateurs, ses disciples, et je pourrais dire ses exécuteurs testamentaires.

En effet il est constant qu'il a voulu traiter des idées, de leur expression, et de leur déduction; et qu'il a senti qu'il n'y avait pas une autre manière de donner une base solide à tous nos raison

nemens et à toutes nos connaissances; mais il a manqué absolument les deux premières parties. C'est ce dont nous allons nous convaincre facilement.

Dans ses catégories, il n'a point expliqué la formation de nos idées; il n'a point déterminé de quelle manière une idée composée se résout dans ses élémens, ou plusieurs idées simples se réunissent pour former une idée composée; ni comment du rapprochement de plusieurs idées simples ou composées mais individuelles, il en naît d'autres, qui sont des idées de classes ou d'espèces, soit de substances, soit de modes, soit d'êtres réels, soit d'êtres intellectuels. Il les a prises toutes telles qu'elles sont, sans se mettre en peine de deméler leurs élémens et l'action de nos facultés intellectuelles sur ces élémens. Il n'a pas proprement analysé, décomposé nos idées; il s'est borné à les répartir en diverses classes, sous le rapport de leur objet, ce qui ne sert à rien, et non sous le rapport de leur composition, ce qui eût été vraiment utile. Ses dix catégories sont la substance, la quantité,

la qualité, la relation, le lieu, le tems, la situation, avoir, agir, et pátir : c'està-dire, comme le remarquent très-bien MM. de Port-Royal, qu'il a voulu réduire à dix classes tous les objets de nos pensées, en comprenant toutes les substances sous la première, et tous les accidens sous les neuf autres : et l'on peut ajouter qu'ensuite il a multiplié à l'infini les observations, les distinctions, les divisions, relatives à toutes les circonstances que l'on peut remarquer dans les idées comprises dans chacune de ces classes, et qui ne font absolument rien ni au fond de l'idée, ni au mode de sa formation. Mais à quoi tout cela sert-il? Cela nous apprend-il comment ces idées nous viennent ? Comment nos facultés intellectuelles agissent dans leur formation? En quoi consiste leur justesse ou leur inexactitude, leur clarté, ou leur obscurité ? S'ensuit-il que notre intelligence opère différemment dans nos raisonnemens, quand il s'agit d'une idée de qualité ou de quantité, que lorsqu'il est question d'une idée de relation ou de situation? Assurément non. Cela

n'est donc utile absolument à rien. Je pense même avec les philosophes que je viens de citer, que cela nuit beaucoup par deux raisons.

כג

« La première, disent-ils, c'est qu'on >> regarde ces catégories comme une chose » établie sur la raison et sur la vérité, >> au lieu que c'est une chose tout arbi» traire, et qui n'a de fondement que » l'imagination d'un homme qui n'a eu >> aucune autorité de prescrire une loi >> aux autres, qui ont autant de droit >> que lui d'arranger d'une autre sorte >> les objets de leurs pensées, chacun se»lon sa manière de philosopher. Et en

effet, il y en a qui ont compris en ce » distique tout ce que l'on considère se»lon une nouvelle philosophie, en toutes » les choses du monde.

Mens, mensura, quies, motus, positura, figura :
Sunt cum materiá cunctarum exordia rerum.

» C'est-à-dire, que ces gens-là se per>> suadent que l'on peut rendre raison de » toute la nature, en n'y considérant que >> ces choses ou modes. 1°. Mens, l'esprit » ou la substance qui pense. 2°. Materia,

» le corps ou la substance étendue. » 3°. Mensura, la grandeur ou la peti»tesse de chaque partie de la matière. » 4°. Positura, leur situation à l'égard » les unes des autres. 5°. Figura, leur » figure. 6°. Motus, leur mouvement. » 7°. Quies, leur repos ou moindre mou

>> yement.

» La seconde raison qui rend l'étude >> des catégories dangereuse, est qu'elle >> accoutume les hommes à se payer de » mots, à s'imaginer qu'ils savent toutes » choses, lorsqu'ils n'en connaissent que » des noms arbitraires qui n'en forment » dans l'esprit aucune idée claire et dis

>> tincte ».

Je trouve ces réflexions d'une justesse et d'une sagacité admirables; ainsi cette première partie qui a rapport aux idées elles-mêmes, et qui est tirée tout entière des ouvrages métaphysiques du même auteur, n'est pas suffisamment approfondie, et a absolument besoin d'être refaite d'une toute autre manière.

Vient ensuite la seconde partie, le livre de Interpretatione qui traite de l'expres

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