Page images
PDF
EPUB

rent le plus à le faire connaître, et qui bientôt lui procurèrent une riche et nombreuse clientèle. Elles lui offrirent, en même temps, l'occasion de faire un heureux mariage. Il avait donné des soins à M. Morisot, honorable négociant retiré des affaires, qui, depuis longtemps, souffrait cruellement de cette maladie, et il était parvenu à lui procurer une guérison complète. Bientôt des relations intimes s'établirent entre eux. Ses qualités aimables, son caractère affable et l'avantage qu'il avait d'appartenir à une excellente famille, trouvèrent dans M. Morisot un juste appréciateur; et à l'honneur d'une cure difficile, il ne tarda pas à joindre un succès plus précieux en obtenant la main de la fille unique de son malade reconnaissant. Depuis son mariage, tout en ayant son domicile à Paris, il demeurait habituellement, pendant la belle saison, à Choisy-le-Roi, chez son beau-père, qui y possédait une magnifique habitation où se trouvaient réunis tous les agréments de la campagne. Mais il ne négligeait pas pour cela l'exercice de sa profession. La proximité d'un chemin de fer lui permettait de venir chaque jour à la ville passer le temps nécessaire pour visiter ses malades et donner des consultations. Dans ce concours favorable de circonstances, il possédait réellement tous les avantages qui peuvent le plus contribuer au bonheur. Mais, hélas! il ne devait pas profiter longtemps de cette douce existence. Tout en jouissant habituellement d'une bonne santé, M. de Montdézert n'était pas de ceux qui peuvent impunément commettre une imprudence. Un bain de mer trop prolongé occasionna chez lui un refroidissement dangereux, et dé

termina une maladie de poitrine à laquelle il ne devait pas échapper, malgré tous les soins dont il fut constamment entouré, à Carentan, par sa famille, ainsi que par sa jeune épouse, qui avait pour lui une tendre affection. Au milieu de ses souffrances et des regrets que devait lui inspirer une cruelle séparation, il manifesta jusqu'à la fin une grande résignation ; et, le 7 janvier 1867, il termina par une mort chrétienne, à l'âge de trente-et-un ans, une vie trop courte, mais déjà signalée par d'utiles

travaux.

UN

ROMAN MORAL

EN L'AN DE GRACE 1868,

PAR M. A. JOLY,

Membre titulaire.

Tout le monde a lu le nouveau récit de M. Feydeau La comtesse de Chalis. On peut le parcourir en trois heures; cependant il me paraît mériter qu'on s'y arrête, car il est de ceux auxquels peut s'appliquer une expression devenue banale: c'est vraiment un des signes du temps.

Ou nous nous trompons fort, ou le succès n'a pas répondu à toutes les espérances de l'auteur. Le gros du public n'a vu là tout d'abord qu'une œuvre immorale, il a trouvé surtout dans l'héroïne une candeur de vice révoltante. D'autres, habitués à chercher dans tout roman une aventure et des personnages auxquels ils puissent s'intéresser, ont éprouvé une déception. Il en a été de même pour certains lecteurs, qui ont espéré inutilement y rencontrer la page de haut goût qui les avait affriandés dans une première œuvre. L'auteur, j'imagine, sans se soucier de l'indignation des uns, ni du dérangement d'habitudes des autres, ou du refroidissement de certains enthousiasmes qu'il n'avait pas désirés, leur dirait qu'il avait bien d'autres visées.

Il est évident, en effet, que le roman moderne entre de plus en plus dans des voies nouvelles. Le romancier du XIXe siècle n'est plus « ce qu'un vain peuple pense; » ce qu'il était autrefois, avant tout un conteur, chargé d'amuser les désœuvrés. Le roman du temps jadis, proche parent de la nouvelle, était quelque histoire de cœur agréable et touchante. Il s'emparait de l'intérêt du drame avec plus de familiarité et d'abandon, avec quelque chose de plus intime, avec un détail plus complaisant des caractères, de la vie, des mœurs, des ressorts secrets. Aujourd'hui il a des prétentions plus hautes: il ne veut plus relever de l'imagination, mais de l'observation, de la science, nous dit-il : il ne tient pas à être attachant, ou beau, mais vrai. Et en même temps il a pris charge d'âmes.

L'auteur de La comtesse de Chalis est avant tout un moraliste et un moraliste satirique, une sorte de Juvénal en prose. En effet, la poésie languit aujourd'hui, et, le vers semblant n'être plus qu'une forme du passé, un moule de plus en plus abandonné, à l'usage de quelques curieux qui composent encore des poèmes, comme on fait des meubles de Boule et des faïences de Palissy; le roman remplace l'ancienne satire, parce que le roman est la forme la plus populaire, celle qui appelle le plus de lecteurs. Et comme tout honnête moraliste prenant son rôle au sérieux, aux critiques il joint les conseils. Le romancier n'est plus un poète, c'est un médecin, un médecin qui commence par l'anatomie, et qui finit par les prescriptions. Tel est incontestablement le rôle que s'est donné M. Feydeau dans son nouveau roman; il croit la

société malade, et il veut essayer de la traiter. Il ne se contente pas d'être un moraliste observateur, consciencieux, exact, sans faiblesse et sans flatterie, mais en même temps il dogmatise et il prêche. Il ne veut pas qu'on se trompe sur ses intentions. S'il nous retrace cette histoire, ne croyez pas qu'il cherche le scandale; non, il entend nous instruire, il nous le dit expressément. Le héros de l'aventure, qui se confesse avec une pleine franchise, n'était pas libre de ne pas nous la dire: son récit est une pénitence, qu'il accomplit consciencieusement. C'est la condition qu'a mise à son pardon le mari qu'il a trompé, trompé selon le monde, mais en réalité trompé aussi peu que possible, car il s'est depuis longtemps désintéressé de son ménage, et se tient strictement en dehors des événements; mari sans préjugés et d'une longanimité tout humanitaire, qui veut que la faute d'un seul et l'outrage fait à son nom tourne au profit de tous. Ce mari, qui va mourir dans quinze jours (la date est précise), atteint d'une phthisie bien caractérisée, avec un détachement que peut seul pratiquer un homme qui est aussi peu de ce monde, a pardonné au coupable, parce que, en dépit de sa faute, «il a vu en lui un honnête homme. » « Vous allez, lui dit-il, me prouver que je ne me suis pas trompé. Vous publierez, sans rien déguiser ni rien retrancher, tout ce que vous connaissez de l'existence de la comtesse de Chalis ce sera votre expiation. Et si, par cet exemple que j'ai fait, quelqu'une de ces femmes qui ne sont ni épouses, ni mères, ni femmes, peut réfléchir et s'arrêter à temps dans sa folie, vous et moi nous aurons du moins accompli quelque chose d'utile. »

« PreviousContinue »