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il se montrait affecté de voir Pylade devenu si peu digne d'Oreste.

Sortis de pension, lui pour chercher une carrière indépendante, moi pour entrer modestement à l'École normale, nous correspondimes quelque temps encore, d'abord en latin, notre idiome vivant, notre langue universelle provisoire; puis, à mesure que les souvenirs s'affaiblissaient, en français, dans cette langue morte, que murmurait autour de nous une race vieillie.

Les épîtres d'Ambroise, d'une éloquence rude et sauvage, se composaient de reproches et d'espérances. Les miennes, de plus en plus accentuées dans le sens conservateur et prosaïque, ne pouvaient plus lui laisser d'illusions sur mon refus de concours.

Un jour, je le vois arriver au parloir, le visage enflammé, la parole brève, mais encore affectueuse. Il m'apprend que son activité avait cherché et trouvé un nouvel aliment. Juif d'origine, catholique de naissance, il venait de se faire protestant. Il me prêcha en fort bons termes sa nouvelle croyance, et conclut en m'exhortant vivement à l'imiter.

Cette proposition me fit sourire. Le temps de l'attraction inévitable était passé sans retour. Je lui répondis sans hésiter que je respectais sa conviction actuelle, mais que je comptais vivre et mourir dans la communion où j'étais né.

Ce fut, hélas! comme la dernière affusion d'eau froide sur le foyer de cette liaison si vive autrefois. Évidemment, il n'y avait plus entre nous de pensées communes. Je voulais rester l'ami désintéressé d'Ambroise, mais je n'avais plus rien du disciple, et ce

qu'il fallait à cet esprit ardent, c'était un disciple dans un ami.

Il se leva gravement, me serra la main sans mot dire, et me quitta... pour ne plus me revoir.

J'ai entendu affirmer qu'il était devenu, sur un point extrême de la France, un personnage important, et qu'il y était, naguère encore, entouré d'estime et de respect.

Existe-t-il aujourd'hui ? Je n'ai pu m'en assurer, et cependant les amitiés de jeunesse poussent de telles racines que cette ignorance m'a pesé souvent.

Quoique ce récit ne soit pas une fable, il y a peut-être lieu d'en déduire une moralité. Je vous en laisse le soin, Messieurs; votre bon jugement vous la dicte; je n'ai pas besoin de vous la suggérer.

J'ai voulu seulement, au risque d'éprouver votre patience, rappeler ici quelques traits d'un caractère qui a dû vous paraître bizarre, mais qui n'avait rien de banal, ni d'artificiel; qui était celui d'un jeune homme au cœur chaud, à l'imagination démesurée. Il a échoué devant des fantômes; un peu d'esprit pratique l'aurait mené au port.

DE

M. OCTAVE SCELLES DE MONTDÉZERT,

MEMBRE CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE DE CAEN,

Par M. Amédée DESBORDEAUX,

Membre titulaire.

Lorsque, dans un âge avancé, la mort vient frapper un habile médecin, dont l'existence avait été consacrée tout entière au soulagement de ses semblables, des regrets unanimes l'accompagnent au tombeau, et, toutefois, ces sentiments douloureux sont modérés par la pensée qu'il avait atteint les bornes de la vie humaine.

Mais, lorsqu'un jeune homme plein d'ardeur pour l'étude, après avoir débuté sous d'heureux auspices dans la carrière médicale et s'être fait connaître par d'intéressantes publications, est enlevé à ses parents et à ses amis, au moment où tout semblait lui promettre un long et brillant avenir, sa mort prématurée nous affecte d'une manière plus pénible; et, en déplorant sa triste destinée, nous songeons en même temps aux œuvres inachevées dont aurait pu profiter la science s'il eût plus longtemps vécu.

Tels sont les sentiments qu'a fait éprouver à tous ceux qui l'ont connu la mort de M. Octave Scelles de

Montdézert, docteur en médecine, professeur d'hygiène de l'Association polytechnique de Paris et membre associé correspondant de l'Académie de Caen.

Conformément à l'usage adopté dans cette académie, vous m'avez désigné pour écrire la biographie de notre jeune confrère, avec lequel j'avais entretenu des relations d'estime et d'amitié ; je m'empresse donc aujourd'hui de payer à sa mémoire ce dernier tribut.

Né à Carentan, le 31 mars 1835, au sein d'une famille honorable, il fut exposé, pendant son enfance, aux attaques de la fièvre paludéenne, si fréquente dans cette partie du département de la Manche; et peut-être n'eût-il pas échappé à ses pernicieuses influences sans les soins assidus de son père, médecin distingué, qui s'est livré à de savantes recherches sur la nature de cette maladie, et qui, le premier, a attiré l'attention sur l'emploi à haute dose du sel marin, comme moyen de la combattre avec efficacité. Tant que la santé de son fils ne fut pas complètement affermie, M. de Montdézert voulut le conserver auprès de lui; il s'occupa presque exclusivement du développement de ses forces physiques, se bornant à l'envoyer comme externe à l'École supérieure de Carentan, dont les cours élémentaires lui laissaient assez de liberté pour pratiquer habituellement les exercices salutaires de la gymnastique. Ce ne fut que vers l'âge de seize ans qu'il fut placé par sa famille au collége de St-Lo et qu'il commença à se livrer à des études sérieuses. Le jeune Octave de Montdézert était doué d'une heureuse mémoire et d'une imagination active; il était animé, en même

temps, d'un ardent désir de s'instruire. Aussi ses progrès furent-ils tellement rapides que, dans l'espace de trois années, il put acquérir les connaissances nécessaires pour se présenter à l'épreuve du baccalauréat, dont il reçut le diplôme à la Faculté de Caen. Après avoir fréquenté, pendant deux ans, l'École de médecine de cette ville, il alla suivre les cours de la Faculté de Paris, où il se fit remarquer par son zèle pour l'étude, et où il sut se concilier les sympathies des professeurs. Enfin, en l'année 1859, il fut reçu docteur en médecine, après avoir soutenu avec distinction une thèse sur la philosophie médicale, sujet très-vaste et très-abstrait, qui pourrait donner l'idée d'une classification raisonnée des maladies dont s'occupe la médecine, mais que M. de Montdézert envisage principalement comme une appréciation des différentes doctrines médicales, parmi lesquelles il s'attache à la doctrine spiritualiste de Montpellier. Ses autres publications sont un traité sur la goutte, un traité d'hygiène, qui est la reproduction des leçons qu'il professait à l'Association polytechnique de Paris et un mémoire sur les propriétés médicales de l'ozone.

Ce fut d'après les conseils de M. Moquin-Tandon, qu'il avait eu pour professeur et qui lui portait un intérêt particulier, que, dès son début, il s'occupa d'une manière plus spéciale du traitement de la goutte, cette maladie redoutable sur la nature de laquelle on n'avait encore, au commencement du siècle actuel, que des notions très-incomplètes. Le traité publié par M. de Montdézert, en rendant compte des progrès de la science et en faisant ainsi disparaître l'incertitude qui existait sur l'origine de la goutte,

la

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