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leur dédain pour cette humilité, et qu'enfin ils n'aimaient pas les petites gens. M. Coppée les aime. Nul, si ce n'est peut-être M. Theuriet, n'a exprimé avec une sympathie aussi vraie la vie des pauvres foyers, des foyers de tout petits bourgeois, leurs habitudes, leurs soucis, leurs plaisirs, leurs ambitions; nul ne nous a mieux fait sentir, sous la mesquinerie des détails matériels, qui devient touchante, l'immortelle poésie du cœur. Je dirais que, par là, le réalisme de M. Coppée ressemble à celui des romanciers anglais ou russes, si j'avais besoin, pour goûter nos écrivains à nous, de constater qu'ils ressemblent aux étrangers.

D'autre part, l'auteur des Humbles et des Contes rapides est, comme on sait, un compagnon de propos libres et qui, comme plusieurs d'entre nous, manque un peu d'innocence. Il a l'esprit, et il a la << blague ». L'âme d'un titi supérieur sonne dans son rire, dont il est impossible de ne pas aimer le joli timbre légèrement nasillard.

Or, ce railleur est tellement ingénu qu'il est un des trois ou quatre de nos contemporains qui ont fait des tragédies, — oui, des tragédies en cinq actes où tout est pris grandement au sérieux, où se déroulent des événements imposants, où des personnages royaux se débattent dans des situations douloureuses et terribles, où s'entre-choquent les passions les plus violentes et où s'énoncent en alexandrins les sentiments les plus nobles et les plus hauts

dont l'humanité soit capable. Faire des tragédies! songez à ce que cette entreprise suppose aujourd'hui de courage, de persévérance, de gravité et

de foi.

Rassemblons ces traits. Un parnassien qui est un sentimental et un railleur qui fait des tragédies; un raffiné qui a l'âme populaire et un ironique qui a l'âme enthousiaste... Ne vous le disais-je pas que M. François Coppée, lui du moins, est bien de Paris? Il est même le seul de nos poètes qui soit de Paris à ce point.

Car on trouve dans ses pages, épuré et revêtu de beauté par son clair génie, ce qu'il y a de meilleur et de plus généreux dans les sentiments du gavroche, de la grisette, du garde national, du chauvin et aussi de l'ouvrier révolutionnaire, du médaillé de Sainte-Hélène et pareillement du barricadier. Ses causeries du Journal nous le montrent baguenaudant à travers sa bonne ville, se mêlant volontiers au populaire, attendri et frondeur, excusant les misérables, sévère aux bourgeois et aux politiciens, paternel aux jeunes gens, évangélique jusqu'à la plus noble imprudence, et conciliant cet évangélisme avec le culte du grand Empereur, qui n'est, chez lui, que le culte de l'effort et de la volonté héroïque ; saluant un vague bon Dieu, célébrant le printemps et sa mie, se racontant lui-même avec une bonhomie charmante; d'ailleurs artiste toujours soigneux mais, autant qu'artiste, brave homme. Ainsi, depuis

quelques années surtout, nous avons vu Coppée devenir insensiblement le Béranger de la troisième Répu blique.

Il a fait une chose très singulière et très audacieuse dans sa simplicité. Il a fait entrer Lisette à l'Académie. Académicien, confrère d'un évêque, de plusieurs ducs et de divers professeurs et moralistes, il n'a pas été hypocrite; il n'a pas craint de chanter l'idylle faubourienne de sa quarante-cinquième année. Et cette franchise lui a réussi. Sa dernière Elvire, fleur pålotte et douce, nimbée, à travers les losanges d'une maigre tonnelle, par les derniers rayons du soleil couchant sur la Marne, n'a point paru sans poésie. Et même peu de livres de vers respirent autant de sincère tendresse et de mélancolie pénétrante que cette si jolie ArrièreSaison...

EUGÈNE MELCHIOR DE VOGUÉ

Une de ses caractéristiques, c'est d'être un auteur à «< considérations », (1) de ne pouvoir écrire trois lignes sans s'élever » à des idées générales.

Ces idées ne sont jamais insignifiantes. Cosmopolite par la culture, avec de belles parties d'esprit philosophique, M. de Vogüé, ayant beaucoup vu, peut beaucoup comparer et, par suite, beaucoup abstraire.

Ces idées sont, presque toujours, majestueusement tristes. Depuis dix ans, M. de Vogüé nous parle, presque sans interruption, du malaise de nos âmes. Il a repris, avec quelques variantes, la chanson de 1830. Je crois que ce malaise, il l'éprouve pour son compte. Intelligence haute et mélancolique, — mélancolique d'être haute, et haute pour les mêmes rai

sons qui la font mélancolique, - il ne paraît pas d'aplomb dans sa vie. Il a un peu l'air d'un exilé, et cela de diverses façons.

(1) Nos plus grands prosateurs sont des auteurs à considérations. Faut-il ajouter que tout ceci est écrit, comme disait Renan, cum grano salis? Du moins j'y ai tâché.

LES CONTEMPORAINS.

- VI.

10

Sous l'ancien régime, même sous la Restauration, sa carrière eût été toute tracée. Il eût été dans les grandes charges de l'armée, du gouvernement ou de la diplomatie. Sa rêverie se fût dissipée en action. Gentilhomme éclairé, à tendances libérales, il eût écrit, dans ses vieux jours, des Mémoires où l'on remarquerait de la finesse et de l'élévation. Son existence aurait été, en dépit de quelques agitations de surface, harmonieuse et paisible. Mais aujourd'hui la vie est plus difficile aux descendants de l'ancienne aristocratie, quand ils ne sont pas très riches et quand ils ne se résignent ni à l'oisiveté ni à la nullité. Ils ne trouvent plus leur place faite. Ils ont plus de peine à se faire nommer députés qu'un cabaretier ou un coiffeur... Et ainsi, M. de Vogüe semble d'abord exilé dans son temps.

Mais voici qui lui est plus particulier. Ce temps, il l'a aimé. Il en a connu l'âme souffrante; et, comme il prend tout très au sérieux, il est un des premiers qui se soient employés à la guérir. Pour cela, il a découvert l'Evangile. Il l'a découvert dans le roman russe, vous n'avez pas oublié avec quel succès. Il a jugé que Balzac, Sand et Flaubert ensemble étaient bien peu de chose auprès de Léon Tolstoï ou de Dostoïewsky... C'est presque toujours à des étrangers qu'il a demandé son aliment spirituel. Et ainsi, tout en l'aimant, il a semblé exilé dans son pays.

D'autre part, il a l'esprit inquiet, généreux et

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