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Philologie.

EXPLICATION DU SYSTÈME D'ÉCRITURE

EN USAGE CHEZ LES CHINOIS.

Comme nous offrons aujourd'hui à l'étude et à la curiosité de nos lecteurs quelques-uns des caractères dont se servent les Chinois, nous avons cru qu'il leur serait agréable et utile d'avoir quelques renseignemens sur le système de cette écriture. Nous ferons donc précéder l'article de M. de Paravey de l'explication suivante, qui nous a paru donner une idée suffisante de ce système.

L'écriture des Chinois a, bien plus que leur langue, attiré l'attention des savans de l'Europe; sa variété inépuisable ne manque jamais d'exciter partout la plus grande admiration. Depuis longtems, on s'est creusé la tête sur l'origine problématique de ces caractères; et, comme en général dans les premiers essais que l'on tente pour approfondir une chose qui porte quelque empreinte mystérieuse, l'imagination ne vient que trop efficacement au secours de l'intelligence, l'écriture chinoise avec ses images, devait fournir ample matière à un système de conjectures, jusqu'à ce que les analyses franches et éclairées des auteurs modernes dissipassent enfin cette obscurité.

Nous supposons que nos lecteurs savent que le Chinois ne connaît pas l'écriture par lettres; que par conséquent pour graver l'expression de ses pensées sur un papier, il a été obligé de choisir la seule méthode imaginable, celle d'employer, pour chaque idée susceptible d'être énoncée d'un seul mot, un signe particulier. Quoi de plus naturel que de commencer par dessiner les idées dont l'objet

frappait l'œil? On pourrait en tirer la conclusion logique et confirmée par les recherches, que les plus anciens caractères chinois, dans le principe, n'ont dû être que des imitations grossières des objets visibles, c'est-à-dire de véritables hieroglyphes; et cela est encore indiqué aujourd'hui d'une manière incontestable par un grand nombre de signes simples, quoique la suite des tems ait modifié leurs traits.

Mais le nombre de ces images simples était très-borné; il l'est encore aujourd'hui relativement à la très-grande quantité des autres signes. Cela provient de ce que les anciens Chinois, selon le témoignage de leurs propres historiens, ne formaient qu'un trèspetit peuple, vivant dans une simplicité patriarcale; peuple dont le cercle d'idées ne dépassait pas beaucoup celui de leurs besoins physiques. Ce nombre est encore peu considérable, parce qu'on a dû reconnaître de bonne heure dans quel embarras funeste on tomberait infailliblement, si l'on représentait par des images simples tous les objets visibles dont un grand nombre montrent souvent des contours incertains ou une ressemblance qui les rend difficiles à discerner. C'est ce qui a fait naître la première pensée de former, avec des images simples, de nouvelles combinaisons; et certainement le plus ancien de ce genre de combinaison est celui au moyen duquel la réunion de deux ou plusieurs images simples d'objets visibles excite en nous l'idée d'un troisième. Ainsi pour l'idée de larme, qui ne peut-être étrangère à l'homme même le plus sauvage, on ne verra point une image simple, mais bien une image composée dont les parties constituantes sont : eau et œil. De cette manière, il y a, à la vérité, deux images simples pour exprimer eau et feu, parce qu'au besoin on peut dessiner quelques ondes et une petite flamme, mais il n'y en a pas pour exprimer lumière, qui ne trouve dans l'écriture sa représentation que par la réunion de deux images simples, soleil et lune; aussi les signes qui sont en même tems représentatifs et phonétiques se rapportent pour la plupart à des objets visibles; mais, comme ils supposent déjà beaucoup d'abstraction, ils appartiennent à une époque plus rapprochée de nous. Pour représenter par l'écriture ceux des objets du monde physique que l'on ne peut pas saisir par la vue, et tout le cercle des idées abstraites, il ne restait au Chinois qui s'avançait en civilisa

tion que le principe de la combinaison. Il pouvait se dispenser d'inventer un signe particulier pour une idée abstraite, lorsque le mot de la langue parlée, qui exprimait littéralement une image, pouvait s'employer métaphoriquement pour exprimer l'idée abstraite. Mais ce cas est rare en chinois, et il n'était point convenable d'accorder, sous ce rapport, à la langue écrite plus de liberté qu'à la langue parlée, à moins que la première ne dût rester dans la possession exclusive des savans; et un essai tenté pour exprimer des idées abstraites par des signes arbitrairement choisis et significatifs seulement par convention, n'a pas été admis généralement. On en trouve des traces positives dans la désignation de certains rapports de l'espace, tels que le haut, le bas, le milieu. L'objet du rapport est un trait horizontal lorsqu'il est fixé à l'extrémité supérieure d'un autre trait vertical, il fournit l'idée de en haut; lorsque le trait horizontal est surmonté du trait vertical il exprime l'idée de en bas ; enfin lorsque le trait vertical est coupé par le trait horizontal, il exprime l'idée de milieu. Les nombres 1, 2, 3, sont marqués par autant de traits horizontaux.

Le trésor des signes résultans de la combinaison est très-riche ; en voici quelques-uns qui sont, comme dans la classe précédente, ou simplement représentatifs (une espèce de définition de l'idée), ou en même tems représentatifs et phonétiques. Ainsi oiseau et bouche signifie chant ; oreille et porte, écouter; œil et main, regarder (saisir par les yeux); œil et pied, examiner quelque chose de près deux mains jointes, saluer, carré et homine (au milieu), prisonnier.

:

Les parties constituantes de ces sortes de signes sont elles-mêmes ou composées, ou simples, ou employées métaphoriquement. Ainsi l'idée de pauvreté est composée de : perle, couteau et séparer. Perle est ici employée pour richesse; couteau et séparer fournissent un signe particulier qui veut dire enlever, emporter. Ainsi générosité, libéralité sont représentées par un crochet et un homme fuyant; mais crochet désigne aussi la perversité morale, et surtout peint l'égoïste concentré, pour ainsi dire, en lui-même, et par conséquent, comme idée abstraite, il signifie égoïsme : l'image veut donc dire primitivement un homme qui tourne le dos à l'égoïsme. Cœur et blanc désigne la peur; cœur et esclave est le sym

,

bole de la colère; mais l'idée d'esclave est à son tour composée de main et femme; force et champ produisent l'idée d'homme ( qui montre sa force au champ).

Les signes qui sont en même tems représentatifs et phonétiques renferment déjà une définition plus imparfaite, parce qu'il n'y a qu'une seule partie de la combinaison qui s'y rapporte ; tandis que l'autre, la partie phonétique, n'est ajoutée que pour désigner la prononciation.

Nous voyons par ce qui précède qu'on a assez uniformément étendu le principe de la combinaison à des objets visibles et invisibles; mais qu'il ne faut pas envisager chaque partie d'une image composée comme contribuant à la formation de l'idée. La nécessité d'établir aussi quelque chose pour fixer la bonne prononciation, se faisait sentir de plus en plus à mesure que la masse des caractères augmentait,

Mais comment cela était-il possible en chinois?

Dans la formation des nouveaux signes, on adjoignit au signe de l'idée générique un groupe de la signification duquel on fit abstraction, et dont la prononciation, prise isolément, répondait en articulation et accentuation à celle de l'image complète, Mais un tel groupe dut avoir, comme signe indépendant, une prononciation très-connue; sans cela, en le choisissant, on aurait manqué le but. Un exemple rendra la chose plus claire; un cyprès se dit en chinois pe; mais avec cette même articulation, on exprime encore d'autres idées; comme nord, blanc, centre, etc.; objets qui se présentent fréquemment dans le cours de la vie. Quand on inventa le caractère qui signifie cyprès, on ne prit pour base que la simple image d'un arbre, auquel on ajouta comme groupe le signe connu de blanc. L'image composée ne dut donc pas signifier l'arbre blanc, mais l'arbre de pe, qui ne peut être autre chose que le cyprès. Cette méthode phonétique se recommandait déjà à cause de sa commodité, parce qu'en s'en servant on indique plutôt l'objet qu'on n'en donne une véritable définition. Ainsi le mot cœur est la racine générale déterminative de réfléchir ( siang), et pour fixer la prononciation on a adjoint à l'image simple de cœur le signe ordinaire qui exprime contempler et regarder; ce signe se prononce ainsi siang. L'aspect de cette combinaison conduit à la définition:

regarder par le cœur, et rappelle en même tems la bonne nonciation.

pro

Le penchant pour les abréviations, les substitutions de mots et les traits tracés avec plus de liberté, ont produit un grand nombre de variantes synonymes et homonymes qui composent bien les deux tiers du trésor de la langue, et que l'usage a pour la plupart si fréquemment employées, qu'elles ont presque entièrement banni le style correct; aujourd'hui elles figurent, presque toutes, plutôt pour faire l'ornement que la richesse des dictionnaires. Cette fureur pour les variantes a fait grand tort à la combinaison phonétique. Là nous trouvons souvent confondues les unes avec les autres, des racines d'une signification très-différente, pourvu que la forme offrit quelque ressemblance accidentelle ; mais l'on doit se garder de prononcer sur la composition de maint signe, avant d'avoir découvert s'il n'est point une variante. Ainsi on trouve, par exemple, les racines nourriture et métal, habit et génie, cadavre et porte, confondues l'une avec l'autre à cause de leur ressemblance accidentelle.

En retranchant toutes les variantes, le nombre de signes différens par l'idée qu'ils représentent s'élèverait à peine à 8,000, nombre qui ne pourrait être comparé à celui d'aucune autre langue cultivée, si la plupart de ces signes, outre leur signification primitive, n'en renfermaient encore d'autres qui sont tirées de la première.

Aussi ne faut-il pas oublier qu'en chinois, il n'y a pas de dérivés formels; et, sous ce rapport, la langue écrite des Chinois s'oppose autant au principe de la formation des mots, que la langue parlée.

Dans d'autres langues, la racine change par des modifications intérieures et par des particules formatrices, selon qu'elle doit devenir nom, verbe ou particule; et c'est là ce qui constitue une partie essentielle de leur richesse. La langue chinoise qui, comme langue écrite et parlée, renonce à ce genre de richesse, nous déploie en revanche, dans les racines nues, un trésor d'idées fondamentales que certainement la langue la plus cultivée ne peut offrir. L'écriture par images des Chinois a été attaquée souvent comme un obstacle capital au libre développement de l'esprit, et l'on a

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