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Auteurs contemporains.

DIX ANS DE PRISON,

SOUFFERTS ET RACONTÉS PAR UN CARBONARO ITALIEN,

Sylvio Pellico.

Sylvio Pellico naquit en Piémont vers 1789. Son enfance s'écoula heureuse et paisible sous le toit paternel, et les premières années de sa jeunesse se passèrent en France au sein de la poésie, de la paix et de l'amitié. De retour dans sa patrie, il se lia, il écrivit avec des hommes dont l'âme exaltée et la plume éloquente conspiraient, sous l'œil inquisiteur de l'Autriche, l'affranchissement de l'Italie. Accusé d'avoir pris part à un complot, Sylvio fut jeté dans les prisons de Venise, et condamné à mort, mais sa peine fut commuée en quinze ans de prison dure, qu'il alla subir dans les affreux cachots de Spielberg.

Voilà toute la vie de Sylvio assez stérile, comme on voit en événemens, si on excepte son procès et les malheurs qui en ont été la suite. Eh bien! de ce procès, qui aujourd'hui surtout aurait pu jeter quelques reflets sur sa destinée, à peine s'il dit quelques mots dans son livre. Il se tait sur ses opinions, sur ses projets, sur les actes qui ont amené son arrestation; il ne parle ni de la procédure ni du jugement, ni des juges; il ne se plaint ni de ses amis ni de ennemis; il n'accuse de ses disgraces ni les hommes ni les événemens; il ne daigne pas même se justifier, quoique l'innocence res

pire dans toutes ses paroles; il est muet sur tout ce qui aurait enflammé l'imagination et le style de tout autre écrivain. Il ne consacre que quelques pages à la description des tortures qu'il a supportées pendant dix ans avec une admirable résignation. Eh! de quoi parle-t-il donc ? de ce qui l'intéresse et de ce qui nous inté resse bien davantage, de son âme, de cette âme si douce envers les hommes, si confiante envers Dieu. Dans quelle vue parle-t-il de lui? Celle, dit-il, de contribuer à soutenir quelques malheureux par le récit des maux que j'ai soufferts, et des consolations que j'ai éprouvé n'être pas incompatibles avec les plus grandes infortunes. Celle de témoigner qu'au milieu de mes longs tourmens, je n'ai pas trouvé l'humanité aussi méchante, aussi indigue d'indulgence, aussi vide de belles àmes qu'on a coutume de nous la représenter. Celle d'inviter les cœurs nobles à aimer les hommes. sans jamais haïr aucun d'eux, à ne vouer une haine irréconciliable qu'à la fourberie, la lâcheté, la perfidie, toute dégradation morale. Celle de redire une vérité bien connue et pourtant trop souvent oubliée, que la religion et la philosophie commandent l'une et l'autre, l'énergie de la volonté, la tranquillité de l'àme, et que, sans la réunion de ces conditions, il n'y a ni justice, ni diguité, ni principes sûrs. ›

On peut déjà se faire une idée des Mémoires de Sylvio Pellico. Ils sont d'une simplicité presque naïve; et cependant il s'en échappe je ne sais quel suave parfum de poésie et de vertu qui rafraîchit et qui console; ils sont pauvres de faits que peut-il se passer entre quatre murs d'un cachot? mais ils sont riches de hautes inspirations et de grâces divines. Si l'horison de la vie de Sylvio est étroit, l'horison de son âme est immense. C'est là qu'il nous introduit avec une humilité charmante; et à mesure que l'œil y plonge, il découvre de merveilleuses beautés qui le captivent et qui l'enchantent.

En effet ce ne sont pas les récits d'aventures et de faits extérieurs, dont on ne tire presque aucun enseignement', qui méritent le plus notre attention. La vie la mieux remplie, la plus agitée, la plus semée d'événemens extraordinaires, bizarres, imprévus, ressemble trop souvent à une pièce de théatre,

source de fugitives émotions, et dont acteurs et spectateurs se souviennent à peine aussitôt que la toile est baissée. C'est ce qui rend si vide et si stérile la lecture de certains Mémoires. Mais, ce qui est digne d'attirer les regards des hommes et des anges, spectaculum hominibus et angelis, c'est une ame forte et passionnée aux prises avec Dieu, avec l'humanité, avec elle-même, une âme pleine de révolutions préparées ou subites, de péripéties dramatiques, de chutes et de retours imprévus, où chaque pensée est un événement, chaque sentiment la révélation d'un état ou d'un développement nouveau; une àme qui pleure et se réjouit, doute et croit, blasphème et espère, sans cesse travaillée par le feu des passions et par le fouet énergique de la conscience. Avec quelle curieuse anxiété on la suit dans ses mystérieuses profondeurs, à travers ses mille transformations pour épier l'action invisible, mais continue de la Providence, qui l'attire doucement et la conduit au but qu'elle a marqué par des routes souvent si longues, si difficiles, si détournées. Il y a là toute une histoire, tout un roman, tout un monde; là rien n'est indifférent, parce qu'il s'agit du salut d'une âme et qu'une seule pensée peut la perdre; là, sous un désordre apparent, tout se tient et s'enchaîne comme une trame bien liée, et la vie présente n'étant qu'un enfantement à une vie meilleure, on peut embrasser d'un seul coup d'oeil cette double destinée du tems et de l'éternité. Et si cette âme, comme celle de Sylvio, se débat sous le poids d'une infortune qui paraît au-dessus des forces humaines, comme on la plaint, la pauvre âme! comme on souffre, comme on prie, comme on espère avec elle! comme on tremble de la voir faire naufrage au milieu des tempêtes qui l'assiégent! Mais aussi avec quel tressaillement d'allégresse, lorsqu'elle est sortie victorieuse de la lutte, on chante avec elle l'hymne du triomphe! avec quel accent de reconnaissance on s'écrie: Elle est sauvée; mon Dieu, soyez béni!

Voilà les émotions que j'ai éprouvées à la lecture des Mémoires de Sylvio, et que je désespère de faire partager à mes lecteurs par une froide analyse, qui ne peut ni ne doit les dispenser d'aller puiser à la source.

Sylvio avoue qu'avant ses malheurs, sans être hostile à la religion, il la suivait peu ou mal; mais les souffrances ramènent à TOME VII. No 41.- 2e édition. 1842.

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Dieu, et ajoutent du prix à l'homme. Dès qu'il se vit seul dans une prison, son cœur se tourna d'abord vers son père et sa mère; il s'écria: « Qui leur donnera la force de soutenir ce coup? - Une voix intérieure lui répondit: Celui que tous les affligés invoquent, aiment et sentent en eux-mêmes; celui qui donnà à une mère la force de suivre son fils au Golgotha, et de se tenir debout sous la croix, l'ami des malheureux, l'ami des mortels!... Ce fut la première fois que la religion triompha de son cœur, et c'est à l'amour filial qu'il dut ce bienfait.

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La lecture de la Bible fit le reste; et quel est l'innocent et le coupable, que, dans la même situation, elle n'ait consolé ou rendu meilleur?

« Cette lecture, dit-il, ne me donna jamais la moindre disposition à la bigoterie, à cette dévotion mal entendue qui rend pusillaninie ou fanatique; au contraire, elle m'enseignait à aimer Dieu et les hommes, à désirer toujours de plus en plus le règne de la justice, à abhorrer l'iniquité, en pardonnant à ceux qui la commettent. Le christianisme, au lieu de détruire en moi ce que la philosophie pouvait avoir fait de bon, l'affermissait, le corroborait par des raisons plus élevées, plus puissantes.

› Un jour, ayant lu qu'il fallait prier sans cesse, et que la vraie prière ne consiste pas à marmotter beaucoup de paroles à la manière des païens, mais à adorer Dieu avec simplicité, en paroles comme en actions, et à faire que les unes et les autres soient l'accomplissement de sa sainte volonté, je me proposai de conserver vraiment cette prière non interrompue, c'est-à-dire de ne plus me permettre une pensée qui ne fût pas animée par le désir de me conformer aux décrets de Dieu.

> Les formules de prière que je récitais en adoration, furent très-peu nombreuses: non par mépris, (au contraire je les crois très-salutaires, aux uns plus, aux autres moins, pour fixer leur attention dans le culte), mais parce que je me sens ainsi fait, que je ne suis pas capable d'en réciter beaucoup sans me perdre en distraction et sans mettre en oubli les pensées du culte.

» Le soin de me tenir continuellement en la présence de Dieu, loin d'être un fatigant effort d'esprit et un sujet de terreur,

était pour moi chose très-douce. N'oubliant pas que Dieu est toujours près de nous, qu'il est en nous, ou plutôt que nous sommes en lui, la solitude perdait chaque jour de son horreur pour moi ne suis-je pas dans la meilleure compagnie? me disais-je, et je redevenais serein, et je fredonnais avec plaisir et avec tendresse.

› Eh bien, pensais-je, ne pouvait-il pas me venir une fièvre qui m'aurait emporté au tombeau? tous mes parens qui se sèraient abandonnés aux pleurs en me perdant n'auraient-ils pas gagné peu à peu la force de se résigner à ma perte? au lieu de la tombe, la prison me dévore: dois-je croire que Dieu ne les pourvoiera pas de la même force?

› Mon cœur élevait des voeux plus fervens pour eux, quelquefois avec des larmes; mais ces larmes étaient mêlées de douceur. J'avais pleine confiance que Dieu soutiendrait eux et moi je ne me suis pas trompé.

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Une amé aussi merveilleusement disposée ne pouvait que faire de rapides progrès dans les voies de la perfection humaine, mais l'abandon, mais cette espèce de malédiction prononcée contre l'homme seul, vint peser de tout son poids sur cette âme qui débordait de poésie et d'amour, et qui, comme un vase plein de parfum, comme une fleur inondée de rosée, avait besoin de s'épancher an dehors; aussi, malgré les grilles et les verroux, elle sut franchir les murs de sa prison pour aller chercher des êtres sur qui elle pùt se reposer; ce sont des insectes que le pauvre prisonnier attire à lui, et qu'il nourrit comme des amis de sa solitude avec un soin touchant; c'est son vieux geôlier, le bon Schiller, dont il perce la rude écorce pour aller jusqu'à son cœur, qu'il trouve accessible à la pitié la plus délicate; c'est un petit sourd-muet délaissé de la nature entière qui vient gambader sous sa fenêtre pour le réjouir, et avec qui il correspond par ce langage mystérieux, qui n'a pas les sens pour interprètes, et que les malheureux entendent si bien. Un jour une voix de femme

fraîche, animée par le repentir, s'élève d'un cachot voisin, et voilà Sylvio qui s'éprend pour cette femme inconnue d'un sentiment tendre et compatissant, coniine celui qu'inspire Madeleine

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