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l'homme use si largement, à savoir de faire servir à l'accomplissement de ses desseins les forces de la nature, et d'employer à propos les insinuations? pourquoi refuserait-on à celui qui gouverne le monde, la faculté de mettre en œuvre, sans gêner toutefois la liberté des créatures raisonnables, les causes secondes de diverse nature qu'il tient toujours dans ses mains? Pourquoi le priverait-on du droit de s'écarter, quand il le juge utile, de la loi générale dont il est l'auteur, et d'en suspendre momentanément l'exercice? Voudriez-vous donc réduire celui qui s'est donné lui-même le titre de père, à n'être qu'un premier moteur, et abandonner au hasard des rencontres la plus grande partie des événemens? Qu'Aristote ait eu cette idée, on peut encore le concevoir; mais vous, qui avez sucé le lait de la doctrine chrétienne, vous devriez être loin de là.

Souffrez donc que nous vous la rappelions, cette haute doctrine devant laquelle tous vos aperçus philosophiques sont bien petits, bien mesquins.

Nous disons que Dieu gouverne ce monde, en vertu du décret souverain qui contient l'expression de sa suprême volonté, laquelle se produit tantôt sous l'apparence d'une loi générale, et tantôt sous la forme d'une ordonnance particulière. Tout y est entré dans ce décret; l'ordre de la nature et celui de la grâce, le système des lois qui se rapportent à la matière et celui des lois qui s'appliquent aux esprits, le général et le particulier, ce qui doit être permanent et ce qui n'est que temporaire, ce que Dieu ordonne et ce qu'il permet seulement. Ainsi la vie et la mort, la maladie et la santé, la vertu et le vice, le bien et le mal, la fatalité et la liberté viennent s'y combiner, et concourent à la fois à l'accomplissement des desseins de la Providence. Dans ce plan admirable qui embrasse tout, où les plus petites choses ont leur place marquée aussi bien que les plus grandes, rien n'est laissé à la chance du hasard; les accidens eux-mêmes sont réglés. C'est dans ce livre, et non pas dans l'ordre de la nature, et encore moins dans le système extraordinairement rétréci des lois psychologiques, que se trouve écrite en caractères indélébiles la véritable histoire de l'humanité.

Cette histoire n'est donc pas, comme vous le prétendez, la

représentation en grand de la nature humaine; mais c'est la représentation de la volonté divine, en tant qu'elle s'applique au mouvement des choses humaines; c'est, pour me servir des expressions que vous avez employées autre part, après les avoir dépouillées toutefois d'un certain vernis de fatalité dont vous les avez recouvertes, et en les prenant dans une acception bien plus étendue que celle que vous leur prêtez, le gouvernement de Dieu rendu visible. Ce livre des destinées humaines est scellé : il faudrait que vous pussiez vous rendre compte de ce qu'il contient, que vous connussiez les fins que Dieu se propose, fin générale à l'égard de l'humanité, fin particulière à l'égard de chaque individu; or la philosophie ne vous les dira jamais : il faudrait également que vous eussiez connaissance des moyens que Dieu se réserve d'employer pour arriver à ces mêmes fins; or il n'est pas au pouvoir de la religion elle-même de satisfaire votre curiosité sur ce point. Ces moyens quelquefois ne paraissent avoir aucun rapport avec ce but ; en certains cas, ils sembleraient opposés ; car les voies de la Providence, en ce qui concerne la direction des affaires humaines, sont non-seulement compliquées; mais, eu égard à ce qu'elles doivent toujours laisser à la volonté humaine la faculté de se déterminer librement, elles sont la plupart du tems indirectes. Du reste quand l'action immédiate de la Providence se fait sentir, les hommes sont tout à fait déroutés; mais si Dieu abandonne au cours ordinaire des choses les pensées de l'homme et les forces de la nature, on peut hasarder certaines prévisions.

Venez donc, après cela, nous faire de l'histoire à priori! Vous l'avez tenté; mais qu'est-il résulté de ce grand déploiement des forces de votre intelligence? une œuvre qu'il est difficile de qualifier. Après avoir interdit à la Divinité toute intervention immédiate dans les affaires humaines, vous avez mis de côté la nature physique, comme si elle n'avait pas une très-grande part dans les vicissitudes qui compliquent l'histoire des individus et des peuples; puis; construisant à la hâte un échafaudage psychologique qui ne représente point fidèlement les facultés que l'homme a reçues de la nature, et dans lequel on cherche en vain la pièce essentielle, c'est-à-dire le libre arbitre, vous revêtez ce frêle édifice de quelques couleurs brilTOME Vи. No 41. — 2e édition. 1842.

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lantes; et c'est là ce que vous offrez à notre admiration comme un monument indestructible!

Il était à peine achevé, que d'autres sont survenus qui en ont blâmé l'ordonnance, et se sont empressés de construire eux-mêmes, d'après un tout autre plan, une théorie à priori.

Ainsi les théories historiques à priori se succèdent rapidement. Or il serait tems d'élever la voix, dans l'intérêt de la vérité comme dans celui de la science, contre ces entreprises hardies du rationalisme, qui veut assujettir à sa loi les faits historiques; ce qui ne s'était jamais vu. L'histoire, en effet, n'a rien à gagner, et elle a beaucoup à perdre, si elle s'engage inconsidérément dans la route nouvelle qu'on lui trace. Pour être lue avec intérêt, l'histoire doit marcher avec aisance et raconter avec naïveté; si elle prend un air guindé, si elle vise au pédantisme, ses charmes alors disparaissent. Quant à la science historique, si elle abandonne la méthode qui convient aux sciences d'observation pour entrer dans la voie à priori, elle tombe dans l'hypothèse; elle devient le jouet des esprits systématiques. L'histoire est donc menacée de perdre à la fois tous les avantages qui la font valoir aux yeux des lecteurs sensés.

Ceci nous conduit à regretter que M. Cousin ait donné cet élan, en exportant d'Allemagne, pour la naturaliser en France, l'idée de la méthode à priori. Il aurait dû laisser à M. Gans et aux autres disciples de Hegel le soin de commenter la doctrine de leur maître. En se l'appropriant, le philosophe français n'a pas eu le mérite de l'invention; en la jetant ensuite au milieu de nous, il ne nous a pas rendu un grand service.

RIAMBOURG.

Histoire contemporaine.

CROYANCES ET TRAVAUX

D'UN

BRAHMANE INDIEN.

w

Ram-Mohun-Rog.

État moral déplorable des Hindous.—Idée de leur religion. Cette religion ne peut exister plus longtems. Temples indiens. Horrible culte qui y est mis en pratique.-Efforts de Ram-Mohun-Roy pour réformer cette religion. — Son déisme. Son christianisme. Considérations sur ses croyances.

En racontant, dans notre Numéro d'octobre, la mort, et en citant quelques traits de la vie du brahmane Ram-Mohun-Roy, nous avons annoncé que de nouveaux documens nous étaient parvenus sur les croyances et les travaux de ce savant Indien. Nous les publions en ce moment, et nous sommes assurés que nos lecteurs les liront avec intérêt : ils y trouveront les preuves de ce que nous avons dit si souvent, que ce pays sort enfin de son long sommeil, et commence à porter sur ses croyances un examen devant lequel elles doivent tomber. Ces documens sont dus à M. Sandfort Arnott, secrétaire d'ambassade du rajahı, son ami et le confident de la plupart de ses pensées et ayant lui-même habité longtems les bords du Gange. Nous les donnons tels qu'ils ont été insérés dans l'Uni

No 40, ci-dessus p. 323.

versity Gazette de Dublin. On reconnaîtra facilement que l'auteur n'est pas catholique, et qu'à peine s'il est même encore protestant. Aussi, plusieurs de ses assertions nous fourniront l'occasion d'exposer les doctrines catholiques, et de montrer, que si Ram-Mohun est resté déiste, comme le dit M. Arnott, c'est qu'il n'est guère possible d'être autre chose, en étudiant la religion selon la méthode protestante.

Ram-Mohun avait compris la science comme Pythagore, comme une puissance sur le monde, comme une force divine. Semblable au philosophe grec à plus d'un égard, il avait voyagé, comme lui, pour accomplir sa noble tâche; il avait tenté, comme lui, une régénération difficile. Peut-être y a-t-il plus d'héroïsme et de talent à tenter la résurrection morale d'un peuple endormi dans l'abrutissement d'une superstition vieillie, qu'à civiliser des peuplades barbares et sauvages. L'Inde actuelle est plongée dans une apathie profonde et une grande ignorance pour tout ce qui n'est pas coutume; ses habitans vivent accroupis, pour ainsi dire, dans la position où leurs ancêtres ont vécu : esclaves de cette habitude, inféodés à cette posture, n'ayant de respect que pour elle, et ne faisant dépendre leur bonheur que de l'immobilité séculaire de leurs maximes. Grâce à leur vénération pour les pratiques matérielles, ils ont oublié ce qui devait être la base de toute religion et de tout code de loi morale.

› Il s'agit seulement pour eux de faire tel ou tel geste, d'accomplir tel ou tel rite, de se lever en tournant la tête vers l'Orient et en prononçant une prière rigoureusement formulée. Avec ces observances, le dévot Hindou peut tout se permettre; il n'a rien à craindre de la colère céleste ; il interprêtera les préceptes des Védas selon la métaphysique de Kapila ou celle de Védantha. Il pourra nier Dieu, si tel est son bon plaisir, adorerSiva le destructeur, ou la déesse Pouroucha, célébrer leurs fêtes dans ces abominables orgies mêlées de sang et de débauche, que certains brahmanes conservent : tout sera innocent, pourvu que le formulaire soit respecté.

D

› Les savans de l'Europe les plus versés dans la langue sanskrite ne semblent avoir compris qu'à moitié la théorie du paganisme in

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