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Il y a quelque tems que la mère de Thomas Moore fut dangereusement malade; le poëte désolé accourut auprès de sa mère, et pendant longtems, avec angoisse et douleur, entre la crainte et l'espérance, il lui prodigua tous les soins qu'un fils, qu'un chrétien doit à une mère malade. Aussi la gravité des symptômes disparut peu à peu, et la malade ne tarda pas à entrer en convalescence. La joie de Moore fut à son comble; mais quel ne fut pas son étonnement en voyant que sa mère, bien loin de partager sa joie, semblait au contraire se nourrir de plus de tristesse, et se montrer accablée d'une peine secrète. Comme il lui en demanda la raison, l'Irlandaise catholique répondit au poëte:

Mon fils, c'est vous qui causez ma tristesse, et vos soins, votre › amour pour moi augmentent tous les jours ma peine. Il est vrai › que vous avez satisfait mon orgueil de mère et de femme; votre › gloire s'élève au-dessus de celle de tous vos compatriotes, et égale › celle des plus renommés de vos contemporains. Votre esprit, vos > talens sont admirés de tout le monde. Vous avez chanté la na› ture, la patrie, les hommes, les femmes, les anges, et on dirait › que la patrie, les hommes, les femmes et les anges vous approuvent › et vous remercient; mais cela ne me satisfait pas encore; car › en chantant la créature vous avez oublié le Créateur. Qu'avezvous fait pour Dieu, pour la religion? Voyez le moindre de vos › frères irlandais a plus fait pour la cause de Dieu, que vous avec › tous les dons, tous les talens que Dieu vous a prodigués. Voilà ce › qui afflige mon cœur d'Irlandaise et de chrétienne.... ›

On dit que le poëte, les larmes aux yeux, embrassa sa mère, et, Ja pressant contre son cœur, lui dit : Ma mère, votre tristesse › cessera, et notre joie sera complète.... ›

Le Voyage d'un gentilhomme irlandais' parut quelque tems après.... Nous espérons que ce ne sera pas le dernier ouvrage que Thomas Moore consacrera à la même cause.

J. J.

11 vol. in-8°, traduit de l'anglais par l'abbé Didon; chez Gaume. Prix : 5 fr.

TOME VII. N° 41. 2e édition. 1842.

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Histoire.

THEORIE NOUVELLE SUR L'HISTOIRE.

Deuxième article'.

Science à priori de l'astronome comparée à la théorie à priori de M. Cousin sur l'histoire. Différence de ces deux ordres de vérités. Ce qu'il faut penser de ce principe de l'école historique moderne, que la psychologie est identique à l'histoire.

M. Cousin.

J'aime les vieux proverbes : il y a de la concision dans le tour, de la naïveté dans l'expression; et le plus souvent il se trouve dans le fond de l'axiome populaire une pensée judicieuse, quelque règle sage de conduite, qui sont le fruit d'une longue expérience. Cependant je n'acquiesce pas sans réserves à tous les dictons qui ont cours. Ainsi, par exemple, je ne souscrit pas d'une manière absolue, à cette sentence vulgaire, par laquelle on signale impitoyablement aux générations présentes et futures l'almanach comme un amas de faussetés. Il est menteur comme un almanach! c'est là ce qu'on dit, et toutefois au renouvellement de chaque année on se presse autour du colporteur pour faire emplette de l'almanach ; il faut donc que ce petit recueil, qui ne se recommande pas du reste par les formes du style ou par le luxe typographique, contienne autre chose que des mensonges.

Voir notre No 39 ci-dessus, p. 197.

Quant à moi, tonjours fidèle à mon culte, je me suis pourvu, dans les premiers jours de la présente année, d'un Dieu soit béni1; et l'on ne saurait croire combien d'idées nettes se sont classées dans ma tête, du moment que ce trésor précieux est entré dans ma pos

session.

Il y aura, nous disait le docte Maribas, deux éclipses de soleil et trois de lune dans le cours de l'année 1833. Or, il ne se contente pas de faire cette annonce, il fixe le jour auquel chacune de ces éclipses aura lieu; il indique l'heure et même la minute. Voilà certes une précision bien remarquable. J'en dirai autant des équinoxes; je ferai la même observation par rapport aux solstices: enfin le lever et le coucher du soleil sont marqués à l'avenir de la manière la plus précise, pour tous les jours de l'année; de telle sorte qu'on est forcé d'avouer que l'avenir est mieux connu de Maribas, que le passé ne l'est de nous autres profanes: car il sait au plus juste à quelle heure le soleil se lèvera demain; tandis que je serais fort embarrassé, j'en conviens, d'indiquer autrement que d'une manière vague, l'heure à laquelle le soleil a dû se coucher hier. Aussi, tant que Maribas se maintient sur ce terrain, il ne risque pas de broncher.

Mais où le pied glisse au docte personnage, c'est lorsqu'il veut faire des excursions par delà: ainsi dans ses pronostics perpétuels, ce n'est plus l'astronome qui parle; c'est le physicien qui donne ses conjectures. Tel pronostic est un signe d'orage; tel autre annonce la pluie; celui-ci présage le beau tems; celui-là dénote qu'il fera mauvais on le voit, ce n'est plus ici la même assurance.

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Et s'il veut reprendre cette assurance; s'il essaie, en parlant des variations de l'atmosphère, de s'élancer du champ des pronostics pour entrer dans la carrière prophétique; alors autant de pas, autant de chutes; car le grand astrologue se trouve entièrement livré dans ce cas à ses inspirations instinctives; il fait de la pluie et du heau tems au hasard; et n'était certaine vue qui le guide encore au plus fort de ses observations météorologiques, il placerait les jours de chaleur en janvier, et ferait tomber la neige au mois de juin.

Titre d'un Almanach populaire publié sous le nom de Maribas.

Comment se fait-il que le même savant, en ce qui touche un certain ordre de phénomènes, soit pourvu d'un sens si parfait; et que lorsqu'il descend des hauteurs célestes pour entrer dans la sphère sublunaire, sa vue se trouble à tel point qu'il n'y voit plus goutte? il doit y avoir une raison qui explique ce qu'il y a d'extraordinaire dans ce contraste : cette raison, il faut la chercher.

Nous allons donc essayer de faire de la philosophie sur l'almanach; elle en vaut une autre du reste. On aurait tort de croire que de la philosophie de l'almanach à la philosophie de l'histoire il y ait une distance immense; on pourra s'assurer tout à l'heure que de l'une à l'autre le passage au contraire est facile.

La confection du calendrier n'est pas chose indifférente en soi ; les devoirs de la religion et ceux de la vie civile s'y rattachent; l'agriculture et le commerce sont très-intéressés d'autre part à ce que ce travail soit fait avec exactitude. Il ne faut donc pas s'étonner que la science astronomique ait été encouragée de tout tems. Néanmoins, et malgré cet encouragement, cette science a été bien lente à se former. L'Asie a été son berceau, et pendant un grand nombre de siècles elle y est restée dans l'enfance. Quelques observations relatives aux changemens des saisons et à l'apparition des éclipses composaient tout le fond de l'astronomie pratique; quelques périodes fondées sur une longue expérience et des conjectures heureuses par rapport à la constitution de l'univers formaient la partie théorique de la science. C'est l'école d'Alexandrie qui a fait sortir enfin l'astronomie du cercle de l'empirisme dans lequel elle avait été jusque-là renfermée; c'est à elle en effet que l'on doit le premier système astronomique qui ait embrassé l'ensemble des mouvemens célestes. Le système de Ptolémée, qui est le dernier mot de l'école d'Alexandrie, a régné pendant quatorze siècles. Mais, comme ce système n'était pas fondé sur la nature, il s'embarrassait à mesure que les observations devenaient plus exactes. Copernic, pour sortir de cet embarras, se décide à placer le soleil au centre du système planétaire; et de cette sorte il rentre dans le vrai. Galilée, aidé du télescope, confirme, étend et généralise cette idée puis vient Képler, qui s'assure : que les courbes décrites par les planètes sout des ellipses, et qui découvre des lois importantes sur la nature de leurs mouvemens : l'esprit humain avançait,

et il ne lui restait plus qu'un pas à faire pour arriver au fait primitif; or il était réservé à Newton de franchir ce dernier intervalle, et de poser, comme étant le principe d'où les diverses lois particulières qu'on avait précédemment découvertes dépendaient, la loi de la pesanteur universelle; c'est à l'aide de cette loi, c'est en combinant la force attractive universelle avec la force de projection primitive qu'on est parvenu de nos jours à expliquer tous les phénomènes connus du système planétaire, et à donner aux tables astronomiques une précision inespérée; car cette loi de la pesanteur a fourni le moyen d'assujettir les mouvemens célestes à la rigueur du calcul, et d'y appliquer, beaucoup mieux que nous ne pourrions le faire par rapport aux mouvemens terrestres, les règles de la mécanique. « C'est dans l'espace céleste, nous dit à ce › sujet un célèbre géomètre', que les lois de la mécanique s'obser› vent avec le plus de précision; tant de circonstances en com›pliquent les résultats sur la terre, qu'il est difficile de les démê› ler, et plus difficile encore de les assujettir au calcul; mais les > corps du système solaire, séparés par d'immenses distances et › soumis à l'action d'une force principale dont il est aisé de calcu

ler les effets, ne sont troublés dans leurs mouvemens respectifs › que par des forces assez petites pour que l'on ait pu embrasser › dans des formules générales tous les changemens que la suite des › tems a produits et doit amener dans ce système.

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Le même géomètre semble aller plus loin, quand il ajoute : ‹ On verra que cette grande loi de la nature représente tous › les phénomènes célestes, jusque dans leurs plus petits détails; > qu'il n'y a pas une seule de leurs inégalités qui n'en découle › avec une précision admirable 2. ›

Ainsi l'astronome est bien véritablement arrivé au point culminant de la science, car il peut déterminer à priori, en partant de la loi de la pesanteur, et il peut signaler avec une précision admirable, jusque dans leurs plus petits détails, tous les phénomènes qui ont dû se manifester précédemment, tous ceux qui se développeront à l'avenir.

Laplace, Exposition du système du monde.

Id., ibid.

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