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Revue de livres nouveaux.

DU CLERGÉ FRANÇAIS

ET

DU CLERGÉ ANGLICAN:

Etat politique de l'Angleterre. — Du clergé français; sa pauvreté, sa charité. Du clergé anglican; ses richesses, sa vie commode. Avantage du célibat ecclésiastique. Réponse à quelques jugemens inexacts sur le clergé français.

M. le baron d'Haussez, ancien ministre du roi Charles X, vient de publier un ouvrage fort remarquable dans lequel il s'attache à rendre compte de l'état actuel de la Grande-Bretagne'. Nous n'avons pas à nous occuper des questions politiques qui remplissent la plus grande partie de ces deux volumes. Nous les résumerons seulement en disant que les observations de M. d'Haussez confirment ceci, ce qui, au reste, est pressenti depuis longtems par tous ceux qui ont un peu étudié l'histoire de ce pays, c'est que l'Angleterre touche à un moment de crise et en politique et en religion. Quant à la crise politique, on ne sait comment elle se développera, surtout à quoi elle aboutira; mais le résultat de la crise religieuse est à peu près connu. L'Église établie, sanctionnée et adoptée dans un moment d'effervescence religieuse et de trou-, bles politiques, ne peut plus se soutenir en présence des abus pó

La Grande-Bretagne en 1833, par M. le baron d'Haussez; chez Urbain Canel, rue du Bac; 2 vol. in-8°. Prix : 12 fr.

sitifs qu'elle a entraînés, et au milieu d'une population indifférente et calculatrice. Elle tontbera; bien plus, elle est déjà tombée dans les esprits, même du peuple. Les lois qui seules la soutiennent seront bien obligées de se mettre en harmonie avec les pensées de la majorité des esprits. Alors deux parts seront faites : l'une à l'indépendance, qui bâtira, réformera, établira de nouvelles Églises qui ne se soutiendront pas plus que celles qui ont déjà existé; l'autre à la foi catholique, qui s'enrichira des plus abondantes dépouilles, je veux dire des plus nombreuses convictions; car les dépouilles matérielles de l'Église établie passeront aux peuples qui meurent de faim sur le seuil des palais inhabités de leurs fastueux pasteurs. Telle est en résumé la position politique de la Grand-Bretagne. Nous allons maintenant citer de cet ouvrage le parallèle que fait l'auteur entre le clergé français et le clergé anglican, parallèle qui nous donnera occasion de rectifier quelques jugemens qu'il a portés un peu légèrement sur nos prêtres catholiques. D'ailleurs ce morceau peut paraître de circonstance à cause de la question du célibat, qui y est traitée Que ceux qui parlent ou écrivent contre le célibat des prêtres lisent cette citation, et qu'ils disent si, venant à tomber dans un état de maladie ou de misère, ils aimeraient mieux que ceux qui doivent être leurs consolateurs fussent retenus chez eux par des soins de famille, ou fussent libres comme nos prêtres, qui n'ont d'autre famille que les pauvres et les infortunés.

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Parallèle entre le clergé français et le clergé anglican.

«La manie des comparaisons ne saurait tenir contre la dissemblance absolue entre les objets que l'on voudrait comparer. Ce serait donc folie de prétendre établir des rapports entre le clergé de France et celui d'Angleterre.

« Qu'est-ce qu'un prêtre chez nous? disait à la tribune un » député fort dévot, et qui pouvait être cru sur cette matière. C'est › un homme simple, sans famille, sans crédit, de peu d'influence, » pauvrement habillé de noir, qui remplace, par une véritable › piété, un grand désintéressement et beaucoup de charité les de

› hors qui lui manquent ; que l'on recherche peu dans les salons, › parce que ses qualités n'y sont pas nécessaires, et qui ne s'y › présente guère, parce qu'il s'y trouve déplacé; qui, trop sou› vent sorti des dernières classes de la société, oppose quelquefois › un orgueil maladroit à la bassesse de son origine, et à qui la › médiocrité de son traitement ne laisse, pour faire le bien, d'au> tre ressource que de se rendre importun auprès de ceux qui › possèdent, pour en obtenir les moyens de soulager ceux qui ne ⚫ possèdent rien. ›

Si l'on voulait adopter la forme employée par ce député pour se rendre compte de l'existence du clergé anglais, on dirait : «Qu'est-ce qu'un ecclésiastique en Angleterre? C'est un homme › d'une grande naissance, entouré d'une nombreuse famille, › pourvu d'un riche bénéfice, vivant dans le luxe, participant à › tous les plaisirs, à toutes les jouissances du monde ; jouant, chas› sant, dansant, se montrant aux théâtres, ne se piquant pas de › gravité lorsque son caractère personnel ne l'y porte pas. Écono› misant sur ses revenus pour établir ses enfans; dépensant sa › fortune en paris, en chevaux, en chiens, quelquefois avec une › maîtresse, lorsque cette prévoyance lui manque; dans l'un et › l'autre cas, donnant peu aux pauvres, et laissant le soin de s'en › occuper, comme celui de remplir des fonctions qu'il dédaigne, › à quelque malheureux d'une classe inférieure, lequel, pour › une modique rétribution, est obligé d'avoir des vertus et d'ac› complir des devoirs dont le titulaire se dispense. >

› Ce double tableau est vrai.

La déconsidération et l'indigence dont, en France, les principes et les lois révolutionnaires ont frappé le clergé, ont détourné de cette carrière les membres des familles honorables, qui autrefois étaient en possession de lui fournir des sujets. Maintenant le zèle des évêques recrute dans les classes les moins relevées de la société des jeunes gens que la comparaison d'un état abject et pénible, avec la perspective d'une vie moins laborieuse, que précède une apparence d'éducation, et qu'accompagne une position moins abaissée, engage à préférer la soutane à la blouse de charretier. Après quelques années consacrées à l'acquisition des connaissances indispensables, ils vont, à la sortie des séminaires, sans noviciat,

sans étude du monde et de l'esprit de leur état, opposer avec une sorte de maladresse brutale l'absolutisme de leurs principes religieux à l'indépendance raisonneuse de leurs paroissiens, Sans expérience, dépourvus de ce tact qu'aurait pu leur donner l'habitude de vivre au milieu d'une famille bien élevée, que leurs antécédens leur refusent, ils se constituent en état de lutte avec ceux qu'ils sont appelés à diriger ; et une malveillance réciproque leur rend le bien impossible. Ce n'est plus que par des sermons tournés en ridicule, ou par des aumônes surprises à sa propre indigence, et qui n'atteignent que la classe ingrate des pauvres, que le curé de village révèle sa présence; et sa vie s'écoule orageuse, fatiguée, accablée de privations, et pourtant enviée comme si elle était heureuse et honorée.

Telle n'est pas l'existence de l'ecclésiastique anglais. Sa carrière est marquée d'avance; il en connaît le terme comme le début; il sait si ses espérances doivent se renfermer dans la possession d'un bénéfice de mille ou douze cents livres sterling de revenu, ou si son ambition peut s'élever jusqu'à l'épiscopat; mais il sait aussi que dans l'hypothèse la moins favorable, des études sur le résultat desquelles on se montre peu exigeant, suffiront pour lui assurer une position honorable. Sa famille ou ses amis tiennent en réserve pour lui une cure richement dotée, sur laquelle il résidera s'il a le désir et l'espoir de s'élever davantage ; qu'il fera gérer par un suppléant gages, s'il se décide à sacrifier son avenir aux douceurs de sa situation présente. Une vie grave, une vaste instruction sacrée, par-dessus tout l'éloquence de la chaire, sont des conditions indispensables pour parvenir à l'épiscopat; mais la rigueur dont elles s'accompagnent, est diminuée par de nombreux avantages. Sur chacune des marches qui font monter à cette haute dignité, se trouve un accroissement de richesses, de grades, de considération, et le courage est soutenu par la perspective des honneurs, de l'influence, de l'immense fortune, réservés à celui qui atteint ce terme désiré.

à

La classe des évêques présente des sujets aussi distingués par leurs talens que par leurs moeurs. Mais, trop distraits par leur participation aux affaires politiques, comme pairs du royaume, trop entraînés par leur goût de prédication, ils ne se livrent pas assez à la direction de leurs subordonnés, qui vivent dans une sorte d'in

dépendance de toute supériorité spirituelle, et qui ne sont guère rappelés à la discipline que lorsque quelque scandale éclatant a rendu indispensable un acte de sévérité.

› Ces préoccupations des évêques n'excluent pas cependant des habitudes de dépense et même de luxe. Outre un palais dans le siége de leur dignité, et un château dans une des plus riantes parties de leur diocèse, ils ont un hôtel à Londres, où les sessions du parlement leur fournissent un prétexte de résidence.

› Un costume noir, mais qui, par sa forme, ne distingue en aucune manière celui qui le porte du reste de la société, est affecté aux clergymen de bon ton, à ces cadets de grandes familles qui n'appartiennent à l'Église que par les émolumens qu'elle leur procure, et que l'on voit aux courses d'Epsom, de Duncaster et de Newmarket, aux chasses du Norfolk et de l’Yorkshire, beaucoup plus que dans leurs chaires. Ce costume n'entraîne la privation d'aucune des jouissances que présente le monde; et ceux qui le portent n'hésitent pas à figurer dans les bals, dans les routs, et à se faire voir dans une stalle à l'Opéra, ou à se placer dans l'angle d'une loge de Delphi ou du théâtre Olympique.

Les pasteurs des paroisses, ceux à qui est réellement dévolu le soin de diriger les âmes, trouvent dans leur participation aux plaisirs d'une société moins tumultueuse, des compensations aux fatigues du sacerdoce, et ils en profitent. Il en est peu qui ne se mêlent avec leurs familles, ordinairement très-nombreuses, dans les lignes d'une colonne ou dans les figures d'un quadrille, et qui ne paraissent s'y complaire.

> J'ai vaiuement cherché à concilier la sévérité de principes qui engage les ministres du culte protestant à proscrire les distractions les plus innocentes, pendant les vingt-quatre heures dont se compose le dimanche, avec le goût de plusieurs d'entre eux pour la danse. Ce goût les expose à la familiarité, souvent aux railleries de ceux à qui, par état, ils doivent des exemples graves et des leçons austères; de cette classe surtout à laquelle ils interdisent ce même genre de récréation qu'eux-mêmes prennent avec une sorte de passion.

› Le clergé des campagnes a généralement des mœurs sévères et irréprochables; mais ses fonctions, limitées à l'intérieur des église,

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