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Évangile aux convictions de la raison individuelle '. Si je n'étais venue, moi la Philosophie, c'était fait de l'humanité; elle radoterait encore, comme elle a radoté pendant six mille ans... ›

A ces mots je m'éveillai...

de

Depuis lors, je me dis chaque matin : Ne suis-je pas bien sage De consulter que mon propre esprit pour discerner infailliblement en toutes choses le vrai du faux, le bien du mal? Suis-je heureux de marcher seul dans ma force et ma liberté, tandis que le stupide troupeau du genre humain s'obstine à demander le secours de Dieu ét à réclamer l'appui d'une autorité qui le représente?

Je le répète encore, ne suis-je pas bien sage et bien heureux de suivre la Philosophie en abandonnant le genre humain?

Lecteurs, que vous en semble de ma sagesse, de la Philosophie et de M. Lerminier?...

M.

· Voyez le Semeur, journal protestant, et spécialement son No 4, du 26 septembre 1832, où, réfutant l'article de M. Lerminier sur l'Église et la philosophie catholiques, il s'exprime ainsi :

◄ M. Lerminier aurait pu ajouter un quatrième mode d'exploration aux trois qui précèdent (la philosophie, la réforme, le catholicisme), nous voulons dire celui des chrétiens qui ne reconnaissent, en matière de dogmes religieux, ní l'autorité de la raison ni celle des traditions ecclésiastiques, n'attachant jamais qu'une importance tout à fait secondaire aux témoignages de l'une et de l'autre, et qui n'admettent d'autre autorité que celle des livres canoniques de l'ancien et du nouveau Testament. Ces chrétiens ne sont pas en tout point les protestans que définit M. Lerminier, et qui malheureusement ne sont que trop nombreux parmi les descendans des vieux réformés. Ils ne considèrent point la révélation comme un supplément de la philosophie, et ils n'ont garde d'interpréter Écriture d'après les convictions de leur raison individuelle, ce qui les ramenerait effectivement à ne reconnaître en réalité que l'autorité de cette raison. >

m

Philosophie religieuse.

QUELQUES RÉFLEXIONS

sur le plan total de la création et SUR LA PALINGÉNÉSIE 1 HUMAINE DE M. NODIER.

Sedenti in throno et agno!... Benedictio et honor et gloria.

Apoc., c. 5.

La Revue de Paris a donné à ses lecteurs un article empreint du sceau du plus beau talent, où l'auteur, M. Nodier', pénétrant jusque dans la pensée éternelle de Dieu, trace d'une manière sublime le plan tout entier de l'œuvre immense de la création, depuis le jour où fut créée la lumière sensible qui brille a nos yeux, jusqu'au jour où l'intelligence de l'homme, bornée ici-bas à la connaissance étroite de quelques faits, pourra contempler enfin dans sa source cette vérité éternelle, cette lumière encore inaccessible, mais pour laquelle cependant elle fut formée, et vers laquelle elle s'élance incessamment.

le

Au milieu de ces belles pages où domine constamment une grande pensée religieuse, l'auteur, entraîné quelquefois par feu de son génie, semblerait jeter quelques germes d'opinions nouvelles où l'on peut hésiter à le suivre; mais on ne peut s'empêcher d'aimer la candeur et la bonne foi avec lesquelles il révèle son âme tout entière au lecteur, qui devient bientôt son ami. Seulement il occupait peu de place, il avait peu de temps. »

Le mot de palingénésie ou renaissance se trouve consacré par le divin auteur de notre croyance, qui s'en est servi: ¿» tỷ maàtyysvssig, etc. Matth., c. 19, v. 28.

a Revue de Paris. Août, 1832. OEuvres, t. v, p. 337.

3 Ibid.

Et sans doute il n'a pu nous découvrir toute la suite de ses pensées. D'ailleurs de meilleures méditations lui feront peut-être trouver encore, dans des idées qui semblent vulgaires d'abord, des vérités aussi sublimes que celles qui se sont déjà révélées à lui..... Attendons.

Pour moi, je ne suis pas théologien ; je suis chrétien bien plus que savant ou philosophe, par cette simple raison que la science a souvent détruit dans un siècle ce qu'elle avait élevé laborieusement dans un autre, tandis que l'humble religion du Christ, qui ne changera jamais un seul des articles de sa foi, après avoir été traitee bien souvent avec un souverain mépris par les hommes de la science, a pourtant fini toujours par avoir raison lorsque cette même science a fait quelques pas de plus et est arrivée à ses dernières conclusions. Ainsi, après avoir lu M. Nodier, j'ai senti le besoin d'ouvrir le volume sacré, et de fixer, par quelques notes rapides, mes idées sur ia latitude plus ou moins grande que la foi me semblait accorder dans les questions traitées par cet

auteur.

Ces notes, je les soumets à mes maîtres dans cette religion sainte que l'estimable auteur regarde comme la plus vraie des croyances de l'homme pensant, › je les soumets à tous les chrétiens qui observent avec quelque intérêt les progrès des connaissances humaines; je les soumets à M. Nodier lui-même, que je ne veux point du tout combattre, mais que seulement je veux m'expliquer à moi-même d'une manière bien chrétienne. Mon travail sera, près du sien, le tâtonnement d'un apprenti qui porte le compas sur l'œuvre d'un grand maître pour s'assurer de la justesse des proportions; ce sera la cabane de l'Arabe au pied d'une belle pyramide.

J'ouvre la Genèse, et je lis: Au commencement Dieu créa le ciel et la terre1.› Le ciel d'abord, et par ce ciel plusieurs auciens docteurs entendent le ciel du ciel, dont il est dit : Cœlum celi Domino..., la maison de Dieu, sainte, intelligente, les saints Anges.-Saint Augustin cite le texte : Prior quippè omnium creata est sapientia'. Or cette sagesse créée au commencement n'est point

· Gen., c. 1, v. 4.

› Conf., lib. x11, c. xv, n. 3.

TOME VII. no 37.

2e édition. 1842.

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la sagesse divine, coéternelle au Père, le Verbe par qui tout a été fait, mais ces enfans de Dieu, ces astres du matin qui le louaient lorsqu'il posait les fondemens de la terre'. Ce serait donc là ce Ciel du ciel, près duquel le ciel même de notre terre peut être appelé la terre, et peut avoir été ébauché, ainsi que tous les corps qu'il renferme, en même tems que notre globe2. Ce verset partagerait dès le commencement la création en deux grandes branches : l'esprit et la matière.

Ce sentiment me sourit assez. Il est vrai que je paraîtrai déjà rompre comme un barbare le fil ingénieux que tient constamment M. Nodier, mais je croirais, pour mon compte, m'écarter de l'enseignement de l'Eglise, si je regardais l'ange comme n'étant que la créature humaine, élevée dans l'avenir à l'état compréhensif Le bon maître m'a appris que j'avais un ange pour me conduire et me consoler dans mon voyage sur la terre. Il est vrai que si l'intervalle qui nous sépare de l'étre compréhensible n'est que la mort3, » comme il y a longtems que les hommes meurent, M. Nodier, absolument, pourra me donner un ange, si j'y tiens, dans l'âme de quelqu'un de mes aïeux.

Mais Dieu lui-même, dans le verset cité tout à l'heure, apprenait à son serviteur que, lorsqu'il posait les premiers foudemens de la création sensible, il était loué déjà par des créatures intelligentes. Et il semble que cela devait être ; il semble que Je premier besoin de la Divinité, si l'on pouvait s'exprimer ainsi, lorsqu'elle voulut manifester sa gloire au dehors, dut être de former des créatures qui fussent comme elle intelligence et amour, et qui pussent la connaître, la bénir et l'aimer; car Dieu a tout fait pour sa gloire.

A la vérité, cette première effusion de la fécondité divine ne paraît point entrer dans le plan de la création matérielle et sensible qui nous est révélé ensuite et qui s'élèvera de degré en degré jus

■ Ubi eras quandò ponebam fundamenta terræ? cùm me laudarent simul astra matutina, et jubilarent omnes filii Dei? Job., c. 38, v. 4, 7.

2 Ad illum cœlum cœli, eliam terræ nostræ cœlum terra est. Aug., Conf., lib. xu, c. 2.

3 M. Nodier, Article cité.

4 Voyez Duguet, Explicat, de la Genèse.

qu'à l'homme; mais dans cette création antérieure que j'appellerais avant l'aurore, puisque notre lumière n'était point faite, Dotre jour point créé, Dieu a suivi sans doute un plan digne de sa sagesse, un ordre que nous admirerons un jour, mais qui n'est point encore abandonné à nos investigations. S'il nous est donné de connaître, de voir même de nos yeux les planètes qui gravitent autour du soleil qui nous éclaire, d'autres inaperçues exécutent leur révolution autour d'autres soleils que notre œil prendrait pour des grains de sable sur les limites de l'immensité.

Ainsi j'adopterais le compas d'or de Milton, et je verrais dans la création un cercle immense où le dernier point de la circonference atteindra immédiatement le premier, où l'homme, lorsqu'il sera élevé à l'état parfait qu'appellent tous les mouvemens de son cœur, se trouvera placé immédiatement à côté de l'ange, son frère aîné, et se confondra même avec lui en une seule famille, puisque l'homme juste, selon la pensée de la plupart de nos saints docteurs, doit prendre la place des esprits qui ont péché dès le commencement. La seule différence, c'est que l'homme rassenblera encore en lui les deux grands ordres de la création, l'esprit et le corps', et que par Jésus-Christ, le roi des anges et des hommes, l'Emmanuel, il rendra au Seigneur, au nom de tout ce qui est créé, un hommage véritablement digne de lui.

Or la terre était informe et nue; les ténèbres couvraient la face de l'abîme1...»

Cette époque paraît bien être indéterminée, aucun moyen ne Dous est donné de la calculer3. Cela était ainsi dès le commencement, in principio; sous les eaux qui couvraient alors tout le globe

• Le corps glorieux, car la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu. Aux Corinth., c. 15.

■ Gen., c. 1, v. 2.

3 Ideòque Spiritus..., cùm te commemorat fecisse in principio cœlum et terram, tacet de temporibus, silet de diebus. Nimirùm enim cœlum cœli, quod in principio fecisti, creatura est aliqua intellectualis, quæ, quanquàm nequaquàm ali Trinitati coæterna, particeps tamen æternitatis tuæ...; excedit omnem voluLilem vicissitudinem temporum. Ista verò informitas terræ invisibilis et incompositæ (inanis et vacua ), nec ipsa in diebus numerata est. Conf. divi August,, Lx, c. 9. Terram fecisti ante omnem diem. Jam enim feceras et cœlum ante omnem diem. Ibid., c. 8.

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