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» ment ni ailleurs. Ce n'est que par la méthode à priori que la > raison peut se rendre compte des faits, les comprendre dans > leurs causes, et les rappeler à leurs lois dernières, c'est-à-dire à quelque chose de nécessaire'. »

M. Cousin a fait de la psychologie l'objet de ses méditations; il connaît, ou pour mieux dire, il croit pouvoir se flatter de connaître tous les élémens de la nature humaine, leurs rapports, les lois de leur développement; il peut donc, au lieu d'étudier l'histoire, la faire à priori; en fixer les époques, dire leur nombre, indiquer leur ordre, suivre leur développement relatif, pénétrer dans les moindres détails; et cela avec autant d'exactitude et de rigueur, avec la même facilité que le géomètre, quand il a posé ses théorèmes, en en déduit des corollaires et descend jusqu'à la dernière conséquence or, il est certain que la méthode à posteriori ne pourra jamais procurer le même avantage; elle présente les faits, elle raconte avec plus ou moins d'exactitude ce qui fut, elle met sur la voie des considérations générales, mais elle est dans l'impossibilité d'opérer la métamorphose du fait en droit, du contingent en nécessaire. Ainsi la prédilection de M. Cousin pour la méthode à priori, laquelle si l'on veut l'en croire, saisit à la source même l'absolu et le nécessaire, s'explique aisément.

Mais n'est-ce pas aller trop Join que d'attribuer sérieusement à M. Cousin cette idée qu'on peut, en effet, élever la science historique au rang des sciences exactes, et lui imprimer ce caractère d'inflexibilité que la géométrie porte naturellement? Ceux qui émettraient ce doute, témoigneraient qu'ils n'ont pas bien saisi l'esprit de la théorie que nous discutons: au reste, M. Cousin est là pour relever sur ce point leur méprise.

L'histoire est une géométrie inflexible; toutes ses époques, > leur nombre, leur ordre, leur développement relatif, tout cela › est marqué en haut, en caractères immuables'. ›

Or il est une conséquence que cette théorie tient enveloppée et qu'il importe de mettre en saillie. M. Cousin, soit qu'il ne l'ait point entrevue, soit qu'il ait jugé convenable de la négliger,

Ibid., leçon ive, p. 19, 16.

Cours d'hist. de la phil., leçon vite, p. 36.

n'en a rien dit; mais depuis, il en est d'autres qui l'ont tirée', Il est certain qu'aux yeux de celui qui s'est persuadé que l'histoire et la géométrie peuvent être rangées dans la même catégorie scientifique, la société humaine ne doit apparaître que comme une grande machine dont tous les mouvements sont réglés suivant une loi qui est immuable. Cette loi de fer et d'airain, qui est nécessaire et universelle, qui s'applique aux peuples comme aux individus, domine le passé; elle domine également l'avenir. Qui la connaîtrait cette loi, pourrait d'abord, en remontant la chaîne des événemens, arriver jusqu'aux tems primitifs, et décrire certains faits que les annales historiques ont laissés dans l'obscurité la plus profonde. Il pourrait ensuite, revenant au point de départ et se dirigeant vers l'avenir, signaler à l'avance les grandes catastrophes et même les événemens d'un intérêt secondaire qui se dérouleront successivement aux yeux de la postérité. De même donc que l'astronome peut, avec la même facilité, marquer l'an, le jour et l'heure d'une éclipse antérieure, préciser l'heure, le jour et l'année d'une éclipse future, parce qu'il connaît la loi qui préside au mouvement des corps célestes, celui qui aurait découvert cette autre loi beaucoup plus importante, par laquelle les événemens humains sont réglés, pourrait tout aussi bien raconter, sans avoir besoin de recourir aux historiens, ce qui s'est passé il y a mille ans, que prédire, sans le secours d'une révélation surnaturelle, ce qui aura lieu dans un siècle. Or, il est dans les principes de la théorie à priori dont nous faisons l'examen, que cette dernière loi peut être connue, et qu'elle peut servir admirablement à régler tous les tems antérieurs; pourquoi donc s'arrêter en si beau chemin, et ne pas dire aussi qu'elle régleral'avenir?

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Parlerons-nous maintenant du fatalisme qui, bien qu'en dise l'illustre professeur, sort inévitablement et comme conséquence dernière du sein de son système? Oui, il nous serait facile de démontrer que ce système engendre et doit faire produire le fatum stoïcum: mais cette discussion nous mènerait trop loin; car il fau drait entrer dans l'examen de la théorie de M. Cousin sur la Pro

2 M. Buchez, par exemple, qui vient de nous donner aussi une théorie à priori, sous le titre d'Introduction à la science de l'histoire.

vidence divine; et nous ne pourrions le suivre sur ce terrain sans perdre entièrement de vue notre point de départ. Qu'il nous suffise donc pour le moment, d'avoir insisté quelque peu sur certaines conséquences auxquelles on arrive sans travail et sans peine, en partant du principe sur lequel s'appuie la méthode à priori. Or, à la vue des résultats que nous venons de constater, il nous semble que la théorie nouvelle sur l'histoire doit être jugée. Il est une règle de logique que personne n'est tenté de contester, c'est que l'inadmissibilité des conséquences démontre la fausseté du principe: qu'on fasse l'application de cette règle au cas particulier, et la controverse est terminée. Nous pourrions donc nous dispenser de sonder la base sur laquelle la théorie est fondée. Cependant nous avons à cœur d'aller encore plus avant : il nous paraît essentiel d'attaquer le principe même, et de ruiner ainsi d'un seul coup les systèmes nés et à naître qui seraient fondés sur cette idée singu- ` lière qu'on peut ramener les faits historiques à quelque chose de nécessaire, les renfermer tous dans une seule formule, et les tirer successivement de cette formule par un simple raisonnement. Oui, il importe de ne pas laisser au rationalisme le tems de consommer cette nouvelle usurpation, de dégager la science historique de cette nécessité dont on essaie de l'envelopper, et de la replacer bien vite au rang qu'elle doit occupers dans l'ordre des connaissance humaines, c'est-à-dire dans la classe des sciences d'observation.

C'est ce que nous essaierons de faire dans un second article1. RAMBOURG.

Voir le 2e article, au no 41, ci-après, p. 346.

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Education.

NOUVELLES VUES

SUR

LA DIRECTION A DONNER A L'ENSEIGNEMENT.

De la philosophie. — La foi est le point de départ de la philosophie. — Elle est la règle nécessaire des conceptions philosophiques. — Le cours de philosophie doit être principalement historique. — Comment l'ordre et la liberté peuvent se concilier. La foi seule donne aux peuples la notion et la règle du pouvoir.

Deuxième article.

Dans la première partie de son discours, M. l'abbé de Salinis, en exposant quel est l'esprit qui préside à l'enseignement de la religion, dans la maison d'éducation de Juilly, a cherché à fixer le sens catholique du mot progrès, et à montrer comment l'éducation de la jeunesse doit être progressive, et unir le présent au passé.

Nous allons voir comment il va, dans la seconde partie, essayer de déterminer ce qui est du domaine de la science ou de la philosophie, en déterminant quel est le lien qui unit, et les caractères qui distinguent la foi et la science, la religion et la philosophie.

Si la religion est le principe nécessaire de l'existence de l'homme et de l'humanité, la science de la religion n'est pas tout

Voir le Numéro précédent, ci-dessus, p. 121.

l'homme, toute l'humanité. De la foi, qui pose en Dieu la base commune de toutes les intellgences créées, naît la science, là philosophie qui constitue le développement, la vie propre de chaque intelligence.

› Pour comprendre le lien nécessaire qui unit, et les caractères qui distinguent la foi et la science, ces deux ordres qui renferment tout le monde de la pensée, essayons de remonter encore une fois au principe de notre mystérieuse existence; de pénétrer, à la lumière de la révélation, les ténèbres qui enveloppent l'origine de l'homme et de l'humanité.

› La source de la vie de l'homme est en Dieu; la raison humaine est née de la raison divine, par la parole. Or, la parole révélée, qu'est-ce? L'intelligence infinie, se manifestant sous une forme adaptée à la créature, c'est-à-dire sous une forme finie.

› Ici dans l'inexplicable génération de l'intelligence humaine par le Verbe, se présentent à nous le mystère caché au fond de tous les mystères du monde moral, l'union du fini et de l'infini; car cette parole, merveilleux canal par où la vie du Créateur s'échappe dans la créature, lien ineffable des communications de Dieu à l'homme, est tout ensemble infinie du côté de Dieu, puisqu'il y voit ses infinies pensées, et finie du côté de l'homme, puisqu'elle ne lui représente les pensées de Dieu que sous la forme finie de son entendement.

་་་་

› Ici, se manifeste en même tems la raison de cette loi de progrès, qui est une des conditions essentielles de l'existence de l'homme. La vérité, que l'homme possède dans la parole, étant

de

sa nature infinie, et les bornes où elle est enfermée n'étant que les bornes de son entendement, on conçoit que cette limite puisse reculer et que la vie de l'intelligence se développe ainsi dans l'homme par un développement croissant de la vérité, qui le rapprochera incessamment de Dieu.

› Mais ce développement en quoi consistera-t-il, et comment concevons-nous qu'il puisse s'opérer?

› Le type où tend tout progrès de l'homme est en Dieu. Or Dieu, principe de tout ce qui existe, voit la raison de toutes choses en lui-même et dans la lumière de ses pensées; en Dieu il n'y a point de foi, mais une science infinie; l'homme, au contraire, qui ne

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