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celle de la papauté; on désenchantait les croyances populaires en effaçant les antiques légendes, en disputant aux saints leurs miracles, aux lieux de pélerinage leurs vénérables traditions. On eût dit que le catholicisme était un vaisseau en péril dont il fallait jeter à la mer les grands mâts et les glorieux pavillons pour sauver la carcasse et l'équipage. Peut-être était-ce un plus louable motif, la crainte d'exposer les choses saintes aux profanes, comme les Juifs refusaient de chanter les cantiques du Seigneur aux jours de leur servitude. Maintenant commence une ère meilleure ; et le chrétien peut proclamer sa croyance sans entendre à ses oreilles le rire insultant de l'impie. Et la religion, soulevant le voile dont elle avait été obligée de se couvrir, peut se montrer aux peuples dans tout l'éclat de son immortelle beauté.

Tel est notre dernier mot. Nous sommes remplis de confiance. ..!!

OZANAM.

Histoire.

THEORIE NOUVELLE SUR L'HISTOIRE.

Nécessité des connaissances historiques. La philosophie a fait de la religion, de la morale et de la politique à priori. - Prétentions de M. Cousin à faire de l'histoire à priori. Examen et réfutation de ses principes.

Premier article.

Le passé est un vieillard vénérable : il nous raconte à nos › foyers ce qu'il a vu; il nous instruit en nous amusant par ses › récits, ses idées, son langage, ses manières, ses vêtemens d'au>trefois...'.>

L'histoire en effet est pour nous une source de jouissances agréables.

Sous ce rapport toutefois l'histoire pourrait le céder au roman; mais combien ne lui est-elle pas supérieure quand il s'agit de peser les avantages qu'on tire des connaissances historiques, et de les comparer à ceux qu'on imagine quelquefois résulter de la lec

ture du roman!

Le roman n'est qu'un œuvre d'imagination dont le principal objet est d'intéresser et de plaire; partant, il ne faut pas y chercher la vérité, c'est déjà beaucoup si la vraisemblance est gardée : le monde n'y est pas représenté comme il est. Aussi, lorsqu'on

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Châteaubriand, Lettre insérée dans le N° 4, t. 11 de la Revue européenne.

sort de ce monde idéal pour entrer dans le commerce de la vie, on est entièrement dépaysé.

L'histoire au contraire ne vit que de réalités. Le premier mérite de l'historien, c'est de conserver aux personnages leur caractère et de raconter les faits avec exactitude. Tout livre qui se présente sous le titre d'annales historiques, s'il manque de vérité, fût-il d'ailleurs un chef-d'œuvre, est décrédité bientôt.

L'histoire nous introduit donc bien réellement dans le cœur de la société humaine; et il a été de tout tems reconnu que la science historique donne à l'esprit de l'étendue en même tems qu'elle mùrit le jugement elle équivaut presqu'à l'expérience, puisqu'elle rachète, par la multiplicité des événemens qui peuvent servir de leçons, ce que l'expérience a par-dessus elle sous le rapport de la vivacité de l'impression.

Ainsi l'histoire n'est pas seulement agréable; elle est de plus instructive; et son utilité n'est pas renfermée dans un cercle rétréci; car il n'y a pas de position sociale, tout infime qu'elle puisse être, où il ne soit avantageux de connaître les hommes. Toutefois il est vrai de dire que cette étude, bien qu'elle soit utile à tous, peut, sans qu'il y ait inconvénient grave, être négligée par plusieurs; mais elle est indispensable à ceux qui se trouvent appelés à gouverner les autres. Comment en effet pourraient-ils se flatter de diriger habilement les affaires, s'ils n'ont pas cette expérience anticipée des hommes et des choses que l'histoire donne à ceux qui sont capables d'en comprendre l'enseignement?

Cet enseignement, du reste, n'est pas d'une autre nature que celui qu'on tire de l'expérience: il se fonde également sur l'analogie, et conduit à des résultats qui peuvent acquérir en certains cas un très-haut degré de probabilité. De même done que l'expérience nous aide à régler notre marche dans le cours ordinaire de la vie, de même aussi l'étude de l'histoire est d'un grand secours à l'homme qui gouverne pour se diriger dans la carrière politique.

Celui qui a médité longtems et avec fruit sur l'histoire et les institutions du pays qui l'a vu naître, se trouve en possession déjà d'un riche fonds d'expérience, quand ensuite il arrive à manier les affaires. Non-seulement il a la connaissance des faits, mais il a dû

s'élever de la considération de ces faits à des vues générales sur la nature du gouvernement et le génie de la nation. Il est donc à portée de discerner, beaucoup mieux qu'il n'eût pu le faire s'il eût négligé la science historique, ce qui pourrait être utile en certaines eirconstances, ce qui serait nuisible en d'autres cas.

Mais, s'il est renfermé strictement dans le cercle que nous venons de tracer, ce même homme éprouvera de l'incertitude, transporté dans le champ de la diplomatie. Il faut à celui qui se trouve obligé de suivre, au milieu des oscillations d'une politique variable, les rapports naturels que les différens peuples ont entre eux, des connaissances plus étendues et plus variées, des qualités d'un ordre plus élevé que celles qui conviennent et suffisent à un administrateur, si haut qu'il soit placé; et en effet les principes de l'homme d'État doivent trouver une juste application bien au delà des limites du pays dans lequel il a vécu; ainsi le terrain a changé de nature, le cerele d'observation s'est agrandi: or, à mesure que l'horizon s'étend, le point de vue s'élève davantage, et, par suite, le nombre de ceux qui pourraient être capables d'y atteindre, diminue progressivement.

Que sera-ce donc s'il s'agit d'arriver à ces sublimes hauteurs qui dominent l'ordre social tout entier, de remonter par la voie de l'induction jusqu'aux faits primitifs qui doivent être indépendans des tems, des lieux et des mœurs; jusqu'aux lois générales qui président à la naissance, à l'accroissement, à la mort de ces êtres collectifs qu'on désigne sous le nom de peuples, et concou→ rent avec les causes accidentelles à former la destinée des nations? Oh! il faut le dire nettement, afin de comprimer, s'il se peut, une foule de vanités prétentieuses, lors bien même qu'on admettrait que l'intelligence humaine pût s'élever à cette hauteur de conception, il y aurait nécessité de reconnaître que le nombre des êtres privilégiés, doués par la nature d'une faculté intellective, assez puissante pour saisir l'ensemble des lois primitives de la société humaine, serait infiniment petit; ils apparaîtront, si l'on veut, de loin en loin, de siècle en siècle ; et encore faudra-t-il, pour qu'ils entrent en exercice, qu'un vaste trésor de documens historiques ait été accumulé par les àges précédens, et qu'ils s'en soient mis en possession.

L'histoire, comme on le voit, après avoir charmé nos loisirs, donné des leçons à l'homme privé, fourni des règles pratiques à ceux qui gouvernent, suggéré des principes politiques à l'homme d'État, soutient encore l'homme de génie quand il essaie de s'élever au-dessus de la région où se forment les tempêtes qui bouleversent le monde et renversent les empires.

Il y a donc à tirer de l'histoire autre chose que des faits isolés ; puisque, en observant ce que ces faits ont de commun, en les dépouillant de ce qui est accidentel et particulier, un esprit philosophique est à même d'en faire sortir, suivant sa portée, des règles et des principes d'une application plus ou moins étendue. Mais la philosophie de l'histoire, à quelque degré qu'elle s'élève, ne peut être appuyée solidement qu'autant qu'elle repose sur des faits. Car il n'appartient qu'à celui qui en est abondamment pourvu d'entrevoir, à travers les formes si diverses sous lesquelles il se manifeste, le fait général qui sert ensuite de principe, le fait primitif auquel on peut imprimer le caractère d'une loi. Il est certain, par exemple, que Montesquieu n'a pris la plume, que Vico n'a tracé le plan de la science nouvelle, que Bossuet n'a esquissé ses grands tableaux historiques qu'après avoir beaucoup lu, comparé les faits, médité longtems, et s'être assuré de toute manière que l'ouvrage qui devait résumer leurs études consciencieuses sur l'histoire porterait sur un fondement réel et solide.

Or, il a paru de nos jours des hommes impatiens et présomptueux qui ont imaginé qu'ils pourraient arriver jusqu'au point culminant de la science en prenant un chemin beaucoup moins pénible et plus court; ils ont trouvé commode, en effet, de jeter une hypothèse au milieu de l'histoire, sauf à contraindre ensuite les faits à s'accommoder avec cette hypothèse. Que n'a-t-on pas tenté dans ce genre! Cependant il est vrai de dire que la plupart de ceux qui s'étaient permis de faire ainsi violence à l'histoire, ne se dissimulaient point à eux-mêmes l'irrégularité de ce procédé : mais il s'est trouvé tout aussitôt des philosophes qui ont entrepris de convertir en droit ce fait irrégulier; car ils ont soutenu qu'il était rationnel d'établir le système d'abord, sauf à le vérifier postérieurement par les faits. Ce serait donc par voie de déduction l'histoire serait désormais tracée,

que

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