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Histoire.

COURS D'HISTOIRE

DES ETATS EUROPEENS MODERNES, DEPUIS LE IV SIÈCLE JUSQU'EN 1790,

PAR SCHOELL'.

Premier article.

DE LA PRIMAUTÉ DU PONTIFE ROMAIN.

Les historiens protestans les plus distingués de nos jours reconnaissent et établissent eux-mêmes les preuves de la primauté de la chaire de Pierre. — Revue des principaux textes des Pères des premiers siècles qui en ont fait mention.

C'est un des progrès de notre littérature apparemment que larapidité de composition; de là cette abondance affluente, inondante, d'ouvrages badins et sérieux, poétiques et érudits, de drames, de romans, d'histoires, d'encyclopédies périodiques, de mémoires, de cours en tous genres pour tout le monde, et tous également réjouissans. Nous devenons tous si savans, que bientôt nous serons une nation d'auteurs, et si diserts que nous n'aurons plus le loisir de nous écouter les uns les autres, ni de nous lire nous-mêmes; heureusement il nous restera les siècles à venir, pour qui nous en faisons tant, qu'ils n'auront plus rien de mieux à faire que de nous

Chez Gide, rue St-Marc, no 20, et chez l'auteur, rue Cassette, no 16. Le 34 volume de cette importante collection vient de paraître. Prix : 7 fr. le volume.

TOME VII. No 37. - 2e édition. 1842.

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lire et de nous admirer, si cela les amuse. Martial vantait les tachygraphes de son tems, qui devançaient la parole :

Nondum lingua suum, dextra peregit opus'.

Nous autres modernes, nous sommes de bien plus habiles écrivains; nous pensons à course de plume, souvent même nous n'avons pas encore pensé que nous avons déjà écrit ; aussi à peine l'idée d'un ouvrage vient-elle à l'esprit, on en fait le prospectus, le plan ensuite, ou même on ne fait pas de plan, le libraire ouvre sa souscription, l'imprimeur se presse, puis l'auteur se met à son pupitre, et voilà un volume, en voilà deux, trois, quatre, tant que vous en voudrez, plus que vous n'en voudrez; c'est à vous maintenant de vous récréer et de vous instruire, ce qui ne nous regarde pas; il y a toujours, en attendant, une œuvre et un homme de génie de plus.

Les choses étant ainsi maintenant, dois-je avouer que l'ouvrage de M. Scholl, quoiqu'il se publie assez vite, n'a pourtant pas cette vivacité d'invention ni d'exécution? que ce cours d'histoire, dont le 34° volume vient de paraître, n'a commencé d'être publié qu'après avoir été achevé? Oui, je l'avouerai, il vaut mieux être vrai et ne pas tromper mes lecteurs. Au fond, ils n'y perdront rien; l'auteur ne prétendant pas au prix de la course, que leur importe la lenteur du travail, si l'ouvrage n'en est pas pire, et s'il arrive assez tôt? M. Schoell y a mis de la réflexion; voilà pourquoi sans doute on n'en a pas fait un grand bruit, mais enfin, si réellement l'ouvrage n'en a pas souffert, ni pour la rédaction, ni pour son succès, ne vaut-il pas la peine qu'on s'en occupe?

Ce cours d'histoire se divise en quatre parties: la 1re contient ce qu'on appelle vulgairement le moyen áge; la 2o s'arrête au commencement du 17e siècle, à la guerre de 30 ans; la 3o au commencement du 18° siècle; et la 4o en 1790. Chaque partie fournit 12 volumes, dont le dernier est une table alphabétique des matières. L'auteur a fondu dans les deux dernières parties son Histoire si estimée des traités de paix, ce qui rend l'ouvrage doublement in

Liv. XIV. Epig. 208.

téressant. C'est une véritable bibliothèque politique, que j'appellerais volontiers les Pandectes de l'histoire moderne, à l'usage des gens du monde et des savans eux-mêmes, où l'on trouve non-seulement tous les faits importans avec un développement convenable, mais encore les documens les plus curieux sur les gouvernemens et la civilisation : il y a d'ailleurs une foule de détails sur des questions secondaires, qui montrent la complète étendue des travaux de l'auteur; j'indiquerai seulement au hasard, comme exemples, les deux notes sur les rois d'Yvetot et sur le masque de fer, qui donnent une solution fort nette de ces deux petits problèmes. Il faut prévenir ici un reproche qu'au premier abord on est tenté d'adresser à M. Schoell, c'est d'avoir épargné les citations. Il a cru devoir y renoncer pour ne pas augmenter le nombre des volumes; mais l'ouvrage en lui-même porte le caractère d'une érudition consciencieuse et certaine pour qui a quelque lecture; l'auteur a compté là dessus, et il ne s'est point trompé; on doit ajouter que son nom est une autorité, et que d'ailleurs ses indications sont encore assez considérables.

On ne peut s'empêcher, en lisant M. Scholl, de sourire de pitié sur ces énormes fatras qu'on nommait en France des histoires il n'y a pas plus de vingt ans, comme l'indigeste narration de Vély, et sur ces philosophiques abrégés à la Mably ou à la Millot, dont le honteux engouement ne sert plus qu'à prouver l'ignare jactance du 18e siècle. Il suffisait alors en effet, pour avoir aussitôt une réputation, de donner le titre d'observations ou d'élémens à des déclamations dédaigneuses sur le passé, brodées de quelques textes pris à de vieux auteurs, qu'on citait sans les avoir lus, de déraisonner à la page sur des faits qu'on ne savait pas, et de dénoncer à chaque chapitre, en ritournelle sentencieuse, la barbarie, la superstition et le fanatisme. Si surtout ce pédantesque verbiage était de quelque prestolet équivoque, le livre devenait infailliblement un chef-d'œuvre et l'auteur un historien modèle; on a vu même de philantropiques abbés prêter à l'œuvre d'autrui la piquante recommandation d'un nom tonsuré '.

Voici, sur l'auteur nominal et sentimental de l'Histoire philosophique des

Il a fallu, pour nous faire honte de notre sottise, que cette même Réforme qui avait enfanté cette nuée de philosophes dénigrans semblables aux rongeuses sauterelles de l'Apocalypse, produisît à la fin, par un étonnant retour, des défenseurs à l'Église et au Saint-Siége même. C'est un des phénomènes de notre tems. Si en général les écrivains protestans ont conservé leurs préventions contre Rome, au moins lui rendent-ils souvent justice; quelques-uns s'en sont déclarés tout haut les apologistes, et tous d'ordinaire dédaignent les stupides impostures dont on s'est plu à noircir depuis le 16o siècle l'Église catholique. M. Scholl n'est point un apologiste, mais il a l'intention d'être impartial; il l'est en effet autant qu'un protestant peut l'être; et, sous ce point de vue en particulier, son cours d'histoire est d'un grand intérêt pour nous autres catholiques. C'est aussi uniquement cette partie de son ouvrage que je me propose d'examiner, en notant les concessions et redressant ce qui ne me semblera pas exact. J'espère que cet examen sera de quelque utilité pour les lecteurs des Annales qui ne pourraient se procurer cette importante collection de 34 volumes in 8o.

Je m'arrêterai peu sur l'introduction, qui présente l'état du christianisme au 4° siècle, et dont les idées se retrouvent en résumé au chap. 12. Je ne puis pourtant accorder cet isolement des premières églises et cette formation incertaine de la hiérarchie par où les protestans voudraient retarder jusqu'au 3° siècle l'unité et l'universalité du christianisme, et lui donner ainsi une apparence d'institution humaine, on ne sait trop pourquoi, puisqu'ils reconnaissent, avec nous et avec le bon sens, son origine divine. L'Église catholique a commencé évidemment par Pierre et les apôtres, c'est

deux Indes un trait peu connu, mais trop joli pour le laisser dans l'oubli. Raynal aimait une Élisa; les philosophes de toute condition enjolivaient les ouvrages les plus graves de leurs confidences amoureuses. Cette Élisa mourut. Les amis du tendre abbé, jugeant sur sa tranquillité qu'il ignorait son malheur, évitaient de troubler cette ignorance. Ils se trompaient : c'est que le pauvre homme, ne pouvant improviser la douleur morale, l'avait tout bonnement ajournée, jusqu'à ce qu'il eût trouvé le tems de l'arranger en prose pensante. Il leur apporta, au bout de quelques jours, cette élégie sensitive qu'on lit dans l'Histoire des deux Indes.

à-dire, par un pape et des métropolitains, et ne s'est point avisée après coup de se donner des chefs. De même elle est sortie tout d'abord du cénacle pour se fixer à Rome, comme sur son axe, rayonnant dans tous les sens, et distribuant, sans la détacher, la lumière à tous les épiscopats, qui la reflétaient mutuellement avec une commune ardeur. Cette unité et cette universalité originelles se déduiraient rigoureusement de la propagation du christianisme, quand même elles ne seraint point attestées par les Actes et les Epitres des Apôtres, et de leurs premiers successeurs, par la fameuse lettre de l'église de Lyon dans le 2° siècle, et enfin par l'usage des lettres formées; toutes choses qu'il faut bien appeler des faits, parce que sans cela elles ne fussent point restées des monu

mens.

Lorsque M. Scholl reconnaît ensuite l'authenticité de la juridiction souveraine du St-Siége au 4° siècle, dans les canons du concile de Sardique, et dans les Appels à l'évêque de Rome, est-il nécessaire d'insister sur ce point? Je me contenterai de remarquer que la position de Rome n'a contribué en rien au pouvoir des papes, dont elle fut l'ennemie tant qu'elle fut quelque chose, et dont elle reçut l'existence depuis sa décadence politique; que cette suprématie romaine, constatée par des Appels plus fréquens qu'on ne paraît le croire, par des décisions pontificales fort antérieures à l'Arianisme, et par la conviction de ces premiers papes, si admirés par leur vertu, se voit établie en coutume sans qu'on puisse lui assigner d'autre commencement que celui de l'Evangile. Je comprends encore moins comment l'auteur excuse l'erreur des empereurs persécuteurs, par cette considération que des princes sages et humains, comme Trajan, Adrien, M. Aurèle et Dioclétien, devaient regarder le christianisme comme une calamité publique, qui menaçait la religion de l'État, intimement liée à la constitution poli

■ On appelait lettres formées ou canoniques les attestations que l'on donnait aux évêques, aux prêtres et aux clercs, lorsqu'ils étaient obligés de voyager. Les prêtres et les clercs les recevaient de leur évêque, les évêques de leur métropolitain ou du pape. Le concile de Laodicée, dès 366, celui de Carthage, en 397, imposent cette obligation; ce qui suppose que la hiérarchie était déjà tout établie.

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