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Littérature contemporaine.

DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE

DANS

SES RAPPORTS AVEC LE CATHOLICISME.

Au moment où nous reprenons la Revue que nous avions promis de faire de nos auteurs contemporains, il ne sera pas inutile de rappeler à nos lecteurs les principes qui nous serviront de guides dans nos jugemens sur la littérature contemporaine, et le point de vue sous lequel nous considérons cette portion de la littérature connue aujourd'hui sous le nom de romantisme.

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Ces principes, nous les avons exposés dans notre article sur le romantisme dans ses rapports avec le catholicisme1. Nous y avons clairement établi que le romantisme, tel que les chefs en avaient exposé l'esprit et les règles, reposait sur cette idée fondamentale : « Substituer aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne les couleurs neuves et vraies de la théogonie chrétienne'. Nous avons approuvé cette idée et déploré cette invasion ridicule que toutes les divinités de l'olympe grec avaient faite dans le paradis des poésies chrétiennes; nous avons vu comment le chef de cette école, Victor Hugo, avait exploité plus ou moins heureusement cette idée; puis nous conclûmes en résumant par les paroles suivantes toutes nos idées sur la littérature actuelle :

La nouvelle littérature, celle qu'on appelle romantique, n'a › rien d'hostile pour le catholicisme; que les catholiques ne la rebutent pas. Sans se mêler dans aucune de ces disputes sur la forme,

Voir cet article dans notre No 11, t. II, p. 350 (2o édit., p. 364).
Victor Hugo, Odes et Ballades, préface de 1824.

> qu'ils s'attachent au fond, et qu'ils attendent; la littérature › sera aussi à eux; car, comme nous l'avons dit: Nous sommes > seuls les hommes du siècle'. >

Nous promettions en outre de faire connaitre comment la plupart des écrivains contemporains ont exploité les idées chrétiennes; c'est ce que nous commençons à exécuter aujourd'hui, et nous espérons que cette espèce de revue prouvera que les lettres, aussi bien que les sciences, reviennent à la foi catholique.

Et ici il est une remarque importante qu'il ne faut pas oublier, c'est que nous ne donnons pas tous les ouvrages dont nous aurons à parler comme ne contenant que des écrits et des pensées d'une catholicité parfaite. Non; mais nous voulons prouver que ce qu'ils renferment de plus parfait est éclos, pour ainsi dire, sous les aîles de la religion et aux rayons de la foi.

Et cependant la plupart de ces jeunes hommes ne sont point catholiques comme nous; ils ne sont pas chrétiens pour obéir à cette grande voix de Dieu, que le témoignage de tous les hommes et de tous les siècles nous fait connaître, que l'Église nous donne pure de tout alliage; oh, non! ils ne connaissent pas encore ces grandes preuves; demandez-le leur : ils vous répondront que le catholicisme est la religion du cœur, de l'imagination, peut-être de la faison; que s'ils le chantent ils obéissent à des souvenirs d'enfance, doux et regrettables, passés auprès du sanctuaire de Dieu; à un besoin du cœur que rien autre chose ne satisfait et ne contente, au ravissement d'une imagination dégoutée des misères du monde et de la sécheresse du doute. Car tels sont les témoignages de ces àmes naturellement chrétiennes, comme le disait Tertullien de quelques néophytes de son tems.

Nous avons pensé que la connaissance de ce mouvement général, qui se fait dans le plus intime du cœur et de l'imagination de l'homme de notre tems, serait agréable à nos lecteurs, et ne serait pas inutile à la grande cause que nous défendons. Quoique le nom

Même article, id., p. 374 (2e édit., 387).

> Une autre raison principale qui nous guide dans notre travail, c'est de contribuer autant qu'il est en nous à faire perdre l'usage répandu encore dans certaines maisons d'éducation d'introduire dans la poésie le nom et l'intervention

que nous citous aujourd'hui soit plus obscur que celui de M. Hugo, nous espérons qu'après avoir lu l'article suivant, nos lecteurs nous sauront gré de le leur avoir fait connaître.

Charles Brugnot.

Qui, la mort peut venir : dormir, rêver, n'importe?

Un vent m'a jeté là, qu'un autre vent m'emporte...
Oubli sur cette terre, et de l'autre côté,

Mon ami, c'est ma vie et mon éternité!

Oubli! car j'ai passé sans laisser une trace!
Oubli! car pour ma fosse il faut si peu de place!
Comme l'oiseau qui cherche une graine au désert,
Et, pour tromper sa faim, chante sur l'arbre vert,.
Moi, j'ai souffert aussi : mais nul n'a lu mes plaintes,
Et mes chants au désert ce sont des voix éteintes !
Pauvre, obscur, sans destin, dans la foule perdu,
Avec le flot vulgaire atome répandu,

Ainsi que tout mortel qui parmi nous chemine,
J'ai cueilli, j'ai porté ma couronne d'épine;

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des divinités païennes. Nous citerons à cette occasion un mot d'un discours prononcé le jour de l'Assomption dans une des églises de Paris. L'orateur, ayant à parler des hommages que la poésie avait offerts en tous tems à la Vierge Marie, se servit de cette expression; Les divinités du Parnasse n'ont pas été les dernières à rendre hommage, etc. On dira sans doute que c'est là une expression poétique, échappée à la langue de l'orateur. Oui; mais nous voudrions faire savoir que ces expressions ne sont plus même regardées comme poétiques par l'école nouvelle : elle reconnait qu'il y a cent fois plus de poésie dans cette invocation du Prophète, qui demande aux Séraphins de lui purifier les lèvres avec des charbons qui brûlent devant la face de Dieu, que dans toutes les invocations à tous les dieux et à toutes les déesses.

J'avais une compagne (oh! moitié de mon àme! ›
Ange assis au foyer sous le nom de ma femme!
Elle croyait aussi qu'être uni c'était voir
Ensemble le matin, ensemble encor le soir.

Seigneur c'est dans leur sein que votre bras me frappe!
Si j'ai soif je ne veux pour moi ni d'une grappe,
Ni d'une goutte d'eau pour me désaltérer......
Mais, & famille en deuil, condamnée à pleurer !...

Ces vers inachevés sont les derniers vers de Charles Brugnot. A travers quelques expressions arrachées à la nature, n'y voit-on pas la plainte résignée, chrétienne, d'une de ces âmes de poëtes qui traversent la vie priant et chantant, et redisant tout bas que la poésie, méme obscure, sans ambition et sans renommée, est encore un des plus nobles plaisirs de l'homme? Qui ne se sentirait ému, en entendant cette âme, toute prête qu'elle était, comme les anges de la Bible, à s'asseoir, oublieuse de sa patrie, parmi les fils d'Adam, se retourner vers Dieu qui l'appelle, et s'envoler vers lui, en disant à un ami :

Adieu, longtems!... Si quelques jours
Nous nous aimâmes sur la terre,

Chrétien, ami, combats, espère....

Dans les cieux on aime toujours!

L'ami auquel est adressé cet adien est connu de nos lecteurs : c'est M. Th. Foisset, qui a recueilli les paroles de son ami et les a publiées. Cez fleurs ramassées sur une tombe, ces adieux d'un monrant, respirent une mélodie qui fait penser au ciel. Nous venons de passer quelques heures à les lire, à les méditer, comme une confidence, comme une prière,comme une lettre d'en haut, avec le recueillement d'un ami, avec la joie d'un frère, et la douce piété d'un chrétien. Et telle est en effet l'impression que doivent produire les chants du vrai poète.

Il est un ange, ami du globe où nous pleurons:

C'est lui qui verse la rosée,

Qui jette tant de fleurs sur la terre embrasée,

Qui rend si parfumé l'air que nous respirons.

Il donne à la brise sonore

Une voix plus douce qu'un chant,
Prête sa fraîcheur à l'aurore,
Et de ses charmes pare encore
Les rayons pâles du couchant.

Que l'homme maudisse ou blasphème
L'œuvre imparfait du Créateur,
Lui, sans répondre à l'anathème,
Souriant aux mortels qu'il aime,
Reste à jamais leur bienfaiteur.

Le poëte est ce doux génie ;
Il a son souris gracieux,
Et pour nous sa lyre bénie

Est une source d'harmonie

Qui descend à flots purs des cieux.

Charles Brugnot a vécu et est mort en province; c'est une de ces timides violettes de poésie qui germent et fleurissent aux francs rayons d'un pur soleil, loin de la capitale, cette serre chaude de la littérature. En vain Paris réclame tout monopole; nous espérons toucher à l'époque où les arts et les sciences se répandront par toute la France, et y trouveront un sol neuf et fécond en talens. C'est aux hommes généreux de toutes les opinions de hâter cette époque, en développant ou en faisant connaître les germes de ceux qui y existent; qu'ils imitent l'exemple de M. Foisset, et qu'ils aient des soins pour chaque berceau, des plumes pour chaque tombe de savant et de poëte. Voici comment M. Foisset remplit sa tâche dans une excellente notice sur la vie et les travaux de son jeune ami.

J'ai à raconter une vie de province, de peu de mouvement et de bruit, si ce n'est vers la fin; de peu d'éclat, sans nulle pensée d'ambition,sans nul goût d'aventures ni de voyages ; une simple vie de jeune homme et de poëte, mais de jeune homme souffrant et de poëte sans nom. J'ai à raconter surtout une vie d'ami. Ce récit je l'adresse à ceux qui l'ont connu et qui l'ont aimé; car aux autres qu'aurai-je à dire ?>

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