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Education.

NOUVELLES VUES

SUR

LA DIRECTION A DONNER A L'ENSEIGNEMENT.

Discours de M. Laurence, supérieur du petit séminaire de St-Pé : - Insuffisance des méthodes suivies jusqu'à ce jour ; — la routine, abus capital; -- heureux succès des améliorations introduites dans cette maison. Discours de M. l'abbé de Salinis : — Sens catholique du mot progrès ; — comment l'éđucation doit être progressive; — et comment le présent doît être lié au passé.

Nous avons promis de tenir nos lecteurs au courant de tous les projets, de toutes les tentatives qui auraient pour objet d'améliorer les études qui se font dans les maisons d'éducation, soit ecclésiastiques, soit laïques. Nous nous empressons de tenir notre promesse en leur faisant connaître deux discours très-remarquables prononcés à l'occasion de la clôture des classes de cette année : l'un est de M. Laurence, supérieur du petit séminaire de St-Pé (Hautes-Pyrénées), et l'autre de M. l'abbé de Salinis, un des directeurs du collège de Juilly. Nous ne pouvons qu'approuver la méthode suivie par ces directeurs d'exposer ainsi ouvertement, toutes les années, les améliorations qu'ils essaient et les fruits qu'ils en retirent. Ces améliorations étant ainsi connues, servent d'encouragement et de guide aux nombreux professeurs qui s'occupent de l'enseignement de la jeunesse, et qui ne demandent. pas mieux que d'avoir d'utiles exemples à imiter. C'est aussi une excellente méthode que celle d'exposer aux yeux des parens et du public l'esprit qui préside aux études d'un collége, et la direction que l'on y donne au cœur et à la volonté des jeunes gens. Les раrens, obligés de confier leurs enfans en des mains étrangères, ne

sauraient montrer trop de sollicitude pour s'enquérir des principes qui vont être gravés dans leur intelligence. Nous désirerions que tous les directeurs de maisons d'éducation, au lieu de se borner à nous faire connaître dans leurs prospectus les études qui se font dans leur maison, nous apprissent aussi quel sera l'esprit qui présidera à ces études et à la direction de l'établissement.

Nous allons voir d'abord comment M. Laurence répond aux serupules de ceux qui redoutent toute innovation dans l'enseignement, en énumérant les avantages dus à celles qui ont été introduites dans la maison qu'il dirige.

des

Nous n'ignorons pas que l'art d'enseigner est dans un moment de crise, et que, si les méthodes nouvelles qu'on rencontre à chaque pas ne sont pas toutes à essayer, elles ne commandent pas moins l'observation du professeur éclairé. Sans battre des mains à l'apparition de chacune de ces méthodes, nous ne pouvons nous dissimuler que celles suivies communément ne soient défectueuses, et qu'il n'y ait beaucoup à faire pour arriver à la perfection. Les sentimens divers des bons esprits sur cette grave question en sont une preuve frappante. Et nous aussi nous croyons qu'il est possible de faire mieux; que sept ou huit années ne sont pas nécessaires pour apprendre le latin à un jeune homme, et que maitres habiles, guidés eux-mêmes par une méthode sûre, peuvent obtenir des résultats beaucoup plus satisfaisans. Il y a plus: si nous De nous abusons, ces résultats sont déjà obtenus dans nos classes. Un abus capital dans l'enseignement, abus qui en entraîne d'autres à sa suite, c'est la routine. Sans une attention constante de la part du professeur, la mémoire seule des élèves s'exerce, le Jugement n'est presque rien dans leurs travaux journaliers, et lest progrès sont peu sensibles. C'est à cette routine que nous déclarons un guerre soutenue; nous forçons les élèves à réfléchir, à se repher sur eux-mêmes; nous développons de bonne heure cette faculté, généralement négligée, qui néanmoins constitue, pour ainsi dire, à elle seule l'homme tout entier, le jugement; et nous poasen principe que l'esprit ne suffit pas, et qu'on n'est vraiment homme qu'autant qu'on a appris à penser, à réfléchir, à juger sinement. C'est dans cette vue que chez nous les grammaires apprennent principalement en expliquant les auteurs, et, par soie de conséquence, que l'étude de l'histoire s'adresse plus au

jugement qu'à la mémoire, et qu'à l'aide de la géographie et de la chronologie, qui l'accompagnent toujours, elle classe les faits avec ordre et précision.

Cette solidité de jugement, qui est la base d'une bonne éducation, comment peut-on l'acquérir? par la fuite de la dissipation, des frivolités, des plaisirs; par la réflexion, la solitude et un travail soutenu qui alimente l'esprit et développe ses forces. Considérée sous ce point de vue, notre maison ne présente pas à la jeunesse les inconvéniens des villes populeuses, où les plaisirs sourient, où les illusions se succèdent, où tant d'objets variés partagent l'attention d'un jeune homme, séduisent quelquefois son cœur, et détruisent les plus belles espérances de sa famille. Elle est plus profonde qu'on ne croirait d'abord cette idée des anciens qui nous montre les Muses habitant, non les grandes cités, mais les solitudes du Pinde, de l'Hélicon et du Parnasse.

Les sciences exactes sont une nécessité de l'époque; aussi ne sont-elles pas oubliées. Pendant les trois dernières années, nos élèves suivent un cours spécial et gradué de mathématiques. Ils peuvent aussi fréquenter, plusieurs fois par semaine, un autre cours libre, sans s'absenter des classes de latin. Dans les basses classes on enseigne la numération et les quatre opérations fondamentales de l'arithmétique.

Dans un tems où la demi-science court les rues, la science réelle et variée est un besoin pour les jeunes lévites. La salutaire influence qu'ils seront appelés à exercer est à ce prix. A la science sacrée de la théologie, à une piété franche et vraie, à une obéissance entière à ses supérieurs, à un attachement inviolable à la maîtresse de toutes les Églises, le prêtre de notre tems doit réunir une éducation soignée, l'aménité des mœurs et le ton de politesse qui règnent dans la bonne compagnie ; il doit posséder des connaissances en littérature, en histoire, en géographie et en mathématiques; ne pas rester étranger aux sciences naturelles et physiques; se former de bonne à la science du cœur humain, science si rare aujourd'hui, si négligée dans les études, science néanmoins indispensable à quiconque est appelé à agir sur les

hommes.

Pour initier de bonne heure les aspirans dans les connaissances naturelles, les élèves de seconde et de rhétorique sui

vent un cours élémentaire de physique. Les nombreuses applications à la géométrie et à l'algèbre que cette étude présente, plaisent, instruisent, encouragent.

Les élèves des deux dernières classes sont initiés aussi dans la philosophie de l'histoire.

Dans ce mouvement des esprits, nous continuerons à observer soigneusement tout ce qui pourrait hâter et améliorer les études, et rien de ce qui présentera un bien réel pour les élèves ne passera inaperçu.

Nous ne sommes point du nombre de ceux qui croient que l'enseignement est toute l'éducation. Nous pensons au contraire, avec tous les bons esprits, qu'il n'en est qu'une partie ; que si les connaissances développent l'intelligence, les vertus forment le cœur ; qu'il est de la dernière importance pour le bien-être de la société que la vertu soit toujours la compagne de la science. Nous établissons en conséquence que toute bonne éducation doit reposer sur la morale comme sur son fondement, et que sans religion il n'y a point de morale. >

M. l'abbé de Salinis avait exposé, dans son discours de l'année dernière, des vues pleines d'intérêt sur les moyens à mettre en usage pour étendre le cercle étroit dans lequel a été renfermée jusqu'à ce jour l'instruction classique. Après avoir, pour ainsi dire, fait connaître quel était le corps des études de la maison dont il était un des directeurs, il expose cette année :

Quel est l'esprit qui anime ce corps?

Quelles sont les pensées dans lesquelles se résume leur enseignement religieux, philosophique, historique, littéraire ?

Quelle direction enfin aura reçue d'eux cette portion de la jeunesse confiée à leurs soins?

Voici comment il répond à ces différentes questions:

Lorsque nous recherchons ce que doit être de nos jours l'éducation, ce que doivent faire les instituteurs qui ont reçu des mains de la famille vos jeunes àmes pour les introduire dans le monde, nos regards se portent naturellement sur ce monde où vous êtes des

Voir un long extrait de ce Discours dans notre No 29, t. V. p. 363.
TOME VII. N° 38.- 2o édition. 1842.

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tinés à vivre. Pour connaître notre mission, nous devons étudier la vôtre or, la mission, les devoirs de l'homme, sont déterminés en partie par des règles générales, inflexibles, les mêmes dans tous les tems, et en partie par les conditions particulières, variables, des tems où il vit; et cela parce que l'homme est à la fois un être d'un jour et un être immortel, parce que sa mystérieuse existence tient par une double chaîne aux mobiles révolutions de la terre et à l'ordre immobile de l'éternité.

Cette époque, où a été jetée votre existence, qu'est-elle donc, considérée soit dans ses caractères propres, soit dans ses rapports avec la marche générale de l'humanité, autant qu'elle se révèle à notre faible raison?

L'abîme creusé par cette révolution qui a fait chanceler toutes les antiques institutions, qui a ébranlé la terre jusque dans ses fondemens, est-ce la tombe où doit s'ensevelir et sur les bords de laquelle nous voyons se débattre en vain contre la mort, avec d'effrayantes angoisses et des gémissemens lugubres, l'humanité expirante?

S'il en était ainsi, notre mission serait triste, mais clairement marquée. Nous vous dirions : « Jeunes chrétiens, le christianisme a accompli toutes ses terrestres destinées; jeunes hommes, l'humanité a fait son tems. Que la société, que la religion, de leur lit de mort, puissent arrêter sur vous, avec quelque consolation, leurs derniers regards. Du reste, apprêtez-vous à descendre avec elles dans le tombeau; il n'y a plus rien à attendre ici-bas: tournez vers le ciel toutes vos pensées.

D

Mais ce n'est pas de notre bouche que vous recueillerez de semblables paroles; ce n'est pas nous qui jetterons dans vos jeunes ames ces funèbres idées, et, vous le savez, lorsque nous avons essayé ensemble d'interroger la religion et l'humanité, nous n'avons pas cru entendre des réponses de mort.

Mais si l'époque où nous vivons n'est pas la mort de l'humanité, qu'est-elle donc? Est-ce une vie nouvelle, un progrès, un renouvellement de toutes choses?

Ici deux voix s'élèvent : la voix de la religion et la voix de la philosophie. Or, de peur de rencontrer de légitimes défiances, écartons d'abord les vains systèmes des philosophes; nous écouterons ensuite les sublimes enseignemens du christianisme.

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