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mes ouvrages dans leurs classes ont souvent appelé mon attention sur les difficultés que présente le texte des fables. Il faudrait, disent-ils, un commentaire et des notes, qui fissent comprendre le fabuliste, qui le missent à notre portée et à celle de nos élèves.

C'est pour répondre à ce besoin que je publie le présent volume.

Il ne renferme que soixante-dix fables, prises parmi les plus grandes du maître. Quatre ou cinq gros volumes seraient nécessaires pour les embrasser toutes. Mais ce petit nombre suffit. Ceux qui les auront étudiées pourront dire : nous connaissons La Fontaine.

L'ouvrage contient, pour chaque étude, trois parties : une introduction à la fable, la fable elle-même, un commentaire et des notes.

L'attention la plus scrupuleuse a été donnée au texte de la fable. C'est, sauf les vieilles formes, la reproduction du manuscrit de La Fontaine. J'ai suivi en cela Doré et le baron Walckenaër.

Quant aux notes, elles m'ont coûté beaucoup de travail et de nombreuses recherches. J'ai confiance qu'elles auront levé toutes les difficultés que présente la langue du poëte.

Les vers anglais qui sont reproduits dans les notes. appartiennent à la traduction de M. E. Wright.

Le caractère original du livre réside surtout dans les introductions qui précèdent chaque fable. Ce sont des extraits des grands écrivains.

Dans l'œuvre de celui que M. Taine appelle notre Homère, dans cette grande épopée française, on ne voit trop souvent que des animaux et des plantes, un loup,

un âne, un renard, ou un chêne et un roseau. C'est ne pas comprendre la pensée et le dessein du génie qui créa cette "comédie à cent actes divers." Il ne veut pas qu'on traite ses fables comme des badineries. "Elles ne sont telles qu'en apparence, dit-il; car, dans le fond, elles portent un sens très-solide. Et, comme par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes très-familiers, nous parvenons à des connaisances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de même aussi, par les raisonnements et les conséquences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses."

Ne voir que des animaux et des badineries dans La Fontaine, c'est faire tort au poëte, comme font tort à Rabelais ceux-là qui ne cherchent dans son œuvre puissante qu'un amusement honteux. L'auteur de Gargantua et de Pantagruel nous enseigne comment lire les maîtres quand il dit dans son prologue :

"Il faut soigneusement peser ce qui est déduit dans le livre. Alors vous connaîtrez que la drogue qui y est contenue est bien d'autre valeur que ne promettait la boîte. C'est-à-dire, que les matières y traitées ne sont pas aussi folâtres que le titre le prétendait.... N'avezvous jamais vu un chien rencontrant un os à moelle ? c'est, comme dit Platon, la bête la plus philosophe du monde. Si vous l'avez vu, vous avez pu noter avec quelle dévotion il guette l'os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelle affection il le brise, avec quelle diligence il le suce. . . . quel bien prétend-il obtenir ? Rien de plus qu'un peu de

moelle. Il est vrai qu'un peu de cet aliment est plus délicieux qu'une grande quantité de tous les autres."

Pour conduire les élèves à ouvrir la boîte de La Fontaine, comme Rabelais voulait qu'on ouvrît la sienne, pour leur inspirer le désir de briser l'os et de sucer la moelle, j'ai appelé devant eux des immortels et de grands contemporains, comme Horace, Euripide, Plutarque, Shakspeare, Molière, Montaigne, La Bruyère, Emerson et Béranger. Placés au vestibule du temple, ils élèveront la pensée du lecteur des fables, et le prépareront à entrer dignement dans le sanctuaire du fabuliste.

Aux professeurs qui font usage de mes autres ouvrages, je conseille d'introduire La Fontaine dans les classes après les Causeries avec mes élèves, ou après les Petites causeries. Peut-être trouveront-ils utile aussi de le mettre sur leur programme à côté des Entretiens sur la grammaire. Quant aux écoles qui n'ont pas encore adopté les Causeries, elles pourront employer les Fables dans leur enseignement le jour où leurs élèves seront en état de les comprendre. La Fontaine est de tous les auteurs français celui qui initie le mieux les étrangers au génie de la langue française. Aucun établissement d'instruction n'est trop élevé pour le recevoir sur son programme. Les étudiants des Colléges y trouveront un riche aliment pour leur esprit et les plus hautes leçons de l'art et du goût.

Puisse mon travail contribuer à faire connaître et aimer de la jeunesse américaine le plus charmant poête de France!

NEW YORK, le 1 juin 1877.

L. S.

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