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Quand ces oiseaux chasseurs ne revenaient pas vers leur maître à l'appel, on leur présentait cet oiseau de cuir, le leurre, lequel les trompait et les attirait. De là, au figuré, le leurre est une chose fausse qui est présentée pour attirer. L'objet qui nous trompe dans le leurre est essentiellement vain et chimérique. Les faiseurs de projets sont facilement pris par des leurres. "Les projets éloignés ne me paraissent que des leurres de dupes," dit J. J. Rousseau.-L'appât et l'amorce diffèrent du leurre. Ils ne sont pas chimériques, ce ne sont pas des apparences; ils sont réels, ils existent. Ce sont des pâtures qui nous allèchent; et elles attirent, non pas les faiseurs de projets, puisque ce sont des pâtures, mais les gens chez lesquels domine la partie basse de notre nature, celle où règne l'appétît.-Appât vient de appáter, donner la pâtée. Amorce se rattache au vieux français AMORDRE, latin ADMORDERE, qui est composé de AD et MORDERE, mordre à une chose; aller vers une chose pour y mordre. Au propre, l'appât est donc cette pâtée vers laquelle nous sommes attirés par notre appétît; nous voulons la manger. L'amorce est cette chose à laquelle nous voudrions mordre, et qui ainsi nous attire. Vous voyez que l'appát paraît plus matériel, plus solide du moins : bonne pâtée à avaler. On ne veut que mordre à l'amorce. Ce n'est guère qu'un plaisir à satisfaire. Mais celui qui court après l'appát semble avoir faim. "Ces oiseaux affamés, dit Buffon, se laissent prendre à tous les appâts.” Il y a l'appât de l'or, l'appât d'un gros bûtin. On dit de puissants appâts, de magnifiques appâts. Dans la guerre, l'espérance du pillage est pour certains soldats un puissant appât qui soutient leur courage. Mais l'amorce est plus légère et attire des natures moins viles, quoiqu'elle s'adresse aussi à nos appétits, à la différence du leurre. On dit l'amorce de la volupté; l'amorce de l'amour, l'amorce des plaisirs. Boileau dit: "Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces." Il s'agit ici du plaisir de faire des

vers.

23 à 26. Voici le raisonnement que renferment ces vers: II faut connaître ses forces; l'exemple des grands voleurs trompe les petits voleurs qui échouent en voulant in te les premiers. O

Il y en a de ces petits voleurs, ce que le poëte dit dans ce vers Tous les mangeurs, etc.

XVI.

LE PAON SE PLAIGNANT À JUNON (II, 17).

La nuit a ralenti les heures;

Le sommeil s'étend sur Paris.
Charmez l'écho de nos demeures ;
Éveillez-vous, oiseaux chéris.
Dans ces instants où le cœur pense,
Heureux qui peut rentrer en soi !
De la nuit j'aime le silence :

Doux rossignols, chantez pour moi.

Béranger.

On se demande si en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avan tages, on n'y remarquerait pas un mélange ou une espèce de compensation de bien et de mal, qui établirait entre elles l'égalité.

La Bruyère.

Remplis d'une funeste jalousie et d'une envie démesurée, nous nous réjouissons moins de nos propres biens que nous ne sommes chagrinés de ceux des autres.

Plutarque.

Ce n'était pas assez pour Denys l'ancien d'être le plus puissant des souverains de son époque. Mais parce qu'il ne faisait pas mieux les vers que le poëte Philoxène, et qu'il ne surpassait pas Platon dans l'art de discourir, il était irrité et plein de fureur.

Idem.

Dès qu'on est quelque chose, on se croit propre à tout.
La gloire qu'on possède, on la prend en dégoût,
Pour courir follement à celle qu'on souhaite.
On veut tout effacer de son immense éclat,
Richelieu veut être poëte,

Et Lamartine homme d'État.

M. Viennet.

Admirons Achille, le héros du grand poëte, qui, après avoir dit: "Tel que je suis, aucun grec ne saurait m'égaler, ajoute aussitôt : dans les combats, car au conseil, s'il s'agit de parler, d'autres l'entendent mieux que moi."

Plutarque.

Le paon se plaignait à Junon.

Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison

Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature ;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit en colère :

Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,

Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,

Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;

Qui te panades, qui déploies

5

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Une si riche queue et qui semble à nos yeux 15 La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.

Nous vous avons donné diverses qualités:

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Les uns ont la grandeur et la force en partage; Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,

Le corbeau sert pour le présage;

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La corneille avertit des malheurs à venir ;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage.

6. Chétive (voir iii, 9).

13. Nué. Participe de nuer qui signifie assortir des nuances. L'étymologie de ce mot est nue. En effet, les nues présentent des reflets très-variés, marqués de mille nuances.-Nuancer est le synonyme de nuer. M. Littré dit: "La seule différence qu'on puisse trouver entre ces deux mots, c'est que nuer ne se dit jamais au figuré." Dans Athalie, le chef-d'œuvre de Racine, les caractères des personnages sont admirablement nuancés. Il n'est pas permis de dire nués dans cette phrase.

14. Se panader. C'est propre au paon. Quand un homme marche avec l'ostentation du paon, il fait le paon, c'est un vrai paon, dit-on, il se panade. On a écrit autrefois se paonnader, ce qui permettrait de tirer se panader de paon. Mais nous possédons aussi le verbe se pavaner qui a la même signification que se panader et se rattache à PAVO paon et à un verbe PAVANARE, lequel exprime la marche du paon. Or PAVANARE peut se contracter en PANARE, ce qui réunit admirablement les deux verbes. —Je n'aime pas l'idée de M. Littré, qui voudrait tirer se panader de PENNA aile.

15. Et qui. Ce qui se rapporte à queue, et non pas à paon. La conjonction et amène une équivoque. Le vers serait détruit,

mais la phrase deviendrait correcte si l'on disait : une queue s riche et qui semble, etc.

20. Nous. C'est-à-dire, nous les dieux.

XVII.

LE CHAT ET LE VIEUX RAT (III, 18).

Proverbe La poil du renard change et non ses

mœurs.

Elle

Le chat est l'hypocrite de religion, comme le renard est l'hypocrite de cour. "Il est velouté, marqueté, longue queue, une humble contenance, un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant." Tout le monde reconnaît le maintien dévot de la prudente bête. marche pieusement, posant avec précaution le pied sans faire bruit, les yeux demi-fermés, observant tout, sans avoir l'air de rien regarder. Si vous vous asseyez, elle vient tourner autour de vous, d'un mouvement souple et mesuré, avec un petit grondement flatteur, sans rien demander ouvertement comme le chien, mais d'un air à la fois patelin et réservé. Sitôt qu'elle tient le morceau, elle s'en va, elle n'a plus besoin de vous. Mais jamais ce doucet n'a l'air meilleure personne que lorsqu'il a gagné de l'âge et de l'embonpoint. Il se tient alors pendant tout le jour au soleil ou près du feu, enveloppé dans "sa majesté fourrée," sans s'émouvoir de rien, grave, et de temps en temps passant la patte sur sa moustache avec la mine sérieuse d'un penVous le prendriez pour un docteur allemand, le pl inoffensif et le plus bienveillant des hommes, si

seur

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