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lâche, et non pas le poltron. Ainsi on dit soi-même souvent: je suis poltron; jamais personne n'a dit: je suis lâche.-Et le couard? C'est bien le frère du poltron. Dans le Roman de Renart, le lièvre s'appelle Couard. Le nom lui convient. On tire ce mot de CAUDA queue, parce que les chiens et autres animaux serrent la queue entre leurs jambes quand ils ont peur. Le couard a donc peur comme le poltron. La synonymie des deux mots est grande. Cependant le terme couard est plus mauvais que l'autre, car on ne dit jamais je suis couard. Nous appelons petit poltron un enfant qui a peur de l'obscurité ou des revenants. Mais je nommerais couard l'homme fort qui recule devant le moindre péril. Je méprise presque cet homme. Pouvez-vous l'estimer beaucoup ?

XIV.

LE COQ ET LE RENARD (II, 15).

Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur.

La Fontaine.

La sagesse humaine est toujours courte par quelque endroit.

Bossuet.

Un lapin, dans cet âge heureux
Qui ne connaît soucis ni peine,
Folâtrait près de sa garenne.

Tout à coup s'offrit à sa vue

Un animal d'une espèce inconnue.

C'était maître renard, qui lui dit : "Mon cousin, Puisqu'un heureux hasard aujourd'hui nous rassemble, Embrassons-nous, jouons ensemble.

J'ai toujours aimé le lapin,

Le lapin, oh! oui, je le prise

Seul plus que tous les animaux,
J'en fais serment. J'ai des défauts;
Mais ma vertu, c'est la franchise."
Ces mots ont du lapin décidé le refus ;
Il s'enfuit au terrier, et là, par la fenêtre :
"Toi, franc! je le croyais peut-être ;

Tu l'as dit: je ne le crois plus. '

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Lavalette.

Renart commençait à se consoler des méchans tours de Chantecler et de Tiecelin quand, sur la branche d'un vieux chêne, il aperçut la Mésange, laquelle avait déposé sa couvée dans le tronc de l'arbre. Il lui donna le premier salut: J'arrive bien à propos, commère; descendez, je vous prie; j'attends de vous le baiser de paix, et j'ai promis que vous ne le refuseriez pas.—À vous, Renart? dit la Mésange. Bon, si vous n'étiez pas ce que vous êtes, si l'on ne connaissait vos tours et vos malices. Mais d'abord, je ne suis pas votre commère; seulement, vous le dites pour ne pas changer d'habitude en prononçant un mot de vérité.-Que vous êtes peu charitable ! répond Renart: votre fils est bien mon filleul, par la grâce du saint baptême, et je n'ai jamais mérité de vous déplaire. Mais, si je l'avais fait, je ne choisirais pas un jour comme celui-ci pour recommencer. Écoutez-bien: sire noble, notre roi, vient de proclamer la paix générale; plaise à Dieu qu'elle soit de longue durée ! Tous les barons l'ont jurée, tous ont promis d'oublier les anciens sujets de querelle. Aussi les petites gens sont dans la joie; le temps est passé des disputes, des procès et des meurtres: chacun aimera son voisin, et chacun pourra dormir tranquille -Savez

vous, damp Renart, dit la Mésange, que vous dites là de belles choses? Je veux bien les croire à demi; mais cherchez ailleurs qui vous baise, ce n'est pas moi qui Jonnerai l'exemple.-En vérité, commère, répondit Renart, vous poussez la défiance un peu loin; je n'en consolerais, si je n'avais juré d'obtenir le baiser de paix de vous comme de tous les autres. Tenez, je fermerai les yeux pendant que vous descendrez m'emprasser.-S'il en est ainsi, je le veux bien, dit la MéBange. Voyons vos yeux sont-ils bien fermés ?-Oui. -J'arrive. Cependant l'oiseau avait garni sa patte d'un petit flocon de mousse qu'il vint déposer sur les barbes de Renart. À peine celui-ci a-t-il senti l'attouchement qu'il fait un bond pour saisir la Mésange, mais ce n'était pas elle, il en fut pour sa honte. Ah! voilà donc votre paix, votre baiser! Il ne tient pas à vous que le traité ne soit déjà rompu-Eh! dit Renart, ne voyez-vous pas que je plaisante ? je voulais voir si vous étiez peureuse. Allons! recommençons; tenez, me voici les yeux fermés. La Mésange, que le jeu commençait à amuser, vole et sautille, mais avec précaution. Renart montrant une seconde fois les dents : Voyezvous, lui dit-elle, vous n'y réussirez pas; je me jetterais plutôt dans le feu que dans vos bras.-Mon Dieu ! dit Renart, pouvez-vous ainsi trembler au moindre mouvement! Vous supposez toujours un piége caché : c'était bon avant la paix jurée. Allons! une troisième fois, c'est le vrai compte. Je vous le répète : j'ai promis de vous donner le baiser de paix, je dois le faire, ne serait-ce que pour mon petit filleul que j'entends chanter sur l'arbre voisin.

Renart prèche bien sans doute, mais la Mésange fait la sourde oreille et ne quitte plus la branche de chêne. Cependant voici des veneurs et des braconniers, les chiens et les coureurs de damp Abbé. On entend le son des cors, puis tout à coup : Le Goupil! le Goupil ! Renart, à ce cri terrible, oublie la Mésange, serre la queue entre les jambes, pour donner moins de prise à la dent des lévriers. Et la Mésange alors de lui dire: Renart! pourquoi donc vous éloigner? La paix n'estelle pas jurée ?—Jurée, oui; répond Renart, mais non publiée. Peut-être ces jeunes chiens ne savent-ils pas encore que leurs pères l'ont arrêtée.-Demeurez, de grâce! je descends pour vous embrasser.-Non; le temps presse, et je cours à mes affaires.

Extrait du Roman de Renart.

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle :

Paix générale cette fois.

5

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse; Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans man

Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires ;

quer.

10

Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,

Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.

Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais

15

Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle

De cette paix;

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers, 20 Qui, je m'assure, sont courriers

Que pour ce sujet on envoie :

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends; nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire. 25
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

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Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

1, 2. Upon a tree there mounted guard

A veteran cock, adroit and cunning.

2. Adroit. Celui-là a l'adresse de l'esprit ou celle du corps, c'est-à-dire, il sait comment s'y prendre dans les choses de l'esprit ou dans celles du corps. Il s'y prend à droite (c'est la composition de ce mot); celui qui est gauche n'est pas adroit, il est maladroit.-Habile est un synonyme de adroit. Mais il signifie davantage. Ce mot vient de HABERE que le dictionnaire latin anglais de E. A. Andrews traduit ainsi : to GRASP, LAY HOLD OF. L'homme habile, en effet, sait manier les choses, sait comment s'y prendre, aussi bien que l'homme adroit. Cependant l'adresse fait penser aux mains, à la droite, et à la gauche. C'est une

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