Page images
PDF
EPUB

Coupe les nœuds du lacs: on peut penser la joie.
Le chasseur vient, et dit: Qui m'a ravi ma proie?
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou,
Le corbeau sur un arbre, en un bois la gazelle.
Et le chasseur, à demi fou

De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie ?

Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie.
Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le corbeau n'en eût averti la chevrette.

Celle-ci, quittant sa retraite,

Contrefait la boiteuse, et vient se présenter.
L'homme de suivre, et de jeter

Tout ce qui lui pesait : si bien que Rongemaille
Autour des nœuds du sac tant opère et travaille,
Qu'il délivre encor l'autre sœur,

Sur qui s'était fondé le souper du chasseur.

Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée.
Pour peu que je voulusse invoquer Apollon,
J'en ferais, pour vous plaire, un ouvrage aussi long
Que l'Iliade ou l'Odyssée.

Rongemaille ferait le principal héros,
Quoiqu'à vrai dire ici chacun soit nécessaire.
Porte-maison l'infante y tient de tels propos,
Que monsieur du corbeau va faire
Office d'espion, et puis de messager.

La gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager
Le chasseur à donner du temps à Rongemaille.
Ainsi chacun dans son endroit

S'entremet, agit, et travaille.

À qui donner le prix ? au cœur, si l'on m'en croit.

Que n'ose et que ne peut l'amitié violente !
Cet autre sentiment que l'on appelle amour
Mérite moins d'honneurs ; cependant chaque jour

Je le célèbre et je le chante.

Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente.
Vous protégez sa sœur, il suffit ; et mes vers
Vont s'engager pour elle à des tons tout divers.

Mon maître était l'Amour : j'en vais servir un autre,
Et porter par tout l'univers

Sa gloire aussi bien que la vôtre.

LXVIII.

LE RENARD, LE LOUP, ET LE CHEVAL (XII, 17).

Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
a dit à certain loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand ; j'en ai la vue encor toute ravie.—
Est-il plus fort que nous ? dit le loup en riant
Fais-moi son portrait, je te prie.—

Si j'étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j'avancerais la joie

Que vous aurez en le voyant.

Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont ; et le cheval, qu'à l'herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,

Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'était dépourvu de cervelle,

Leur dit: Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs:
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle.

Le renard s'excusa sur son peu de savoir.

Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire;

Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir;

Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.

Le loup, par ce discours flatté,
S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre
Un coup; et haut le pied.

Voilà mon loup par terre,

Mal en point, sanglant, et gâté. Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie.

LXIX.

LE RENARD ET LES POULETS D'INDE (XII, 18).

Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,

S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi !
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les dieux ! non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.
Lui, qui n'était novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Arlequin n'eût exécuté

Tant de différents personnages:

Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages,

Pendant que nul dindon n'eût osé sommeiller.
L'ennemi les lassait en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tombait quelqu'un : autant de pris,

Autant de mis à part: près de moitié succombe.
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

LXX.

LA LIGUE DES RATS (XII, 25).

Une souris craignait un chat

Qui dès longtemps la guettait au passage. Que faire en cet état? Elle, prudente et sage, Consulte son voisin : c'était un maître rat, Dont la rateuse seigneurie

S'était logée en bonne hôtellerie,

Et qui cent fois s'était vanté, dit-on,
De ne craindre ni chat, ni chatte,
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame souris, lui dit ce fanfaron,

Ma foi ! quoi que je fasse,

Seul, je ne puis chasser le chat qui vous menace :
Mais assemblons tous les rats d'alentour,

Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour.
La souris fait une humble révérence;
Et le rat court en diligence

À l'office, qu'on nomme autrement la dépense,
Où maints rats assemblés

Faisaient, aux frais de l'hôte, une entière bombance.
Il arrive, les sens troublés,

Et tous les poumons essoufflés.

Qu'avez-vous donc ? lui dit un de ces rats; parlez. En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage, C'est qu'il faut promptement secourir la souris ; Car Raminagrobis

Fait en tous lieux un étrange carnage.

Ce chat, le plus diable des chats,

S'il manque de souris, voudra manger des rats.

Chacun dit: il est vrai. Sus! sus! courons aux armes

Quelques rates, dit-on, répandirent des larmes.

N'importe, rien n'arrête un si noble projet :

Chacun se met en équipage;

Chacun met dans son sac un morceau de fromage;
Chacun promet enfin de risquer le paquet.

Ils allaient tous comme à la fête,
L'esprit content, le cœur joyeux.
Cependant le chat, plus fin qu'eux,
Tenait déjà la souris par la tête.
Ils s'avancèrent à grands pas
Pour secourir leur bonne amie :
Mais le chat, qui n'en démord pas,

Gronde, et marche au-devant de la troupe ennemie.
À ce bruit nos très-prudents rats,

Craignant mauvaise destinée,

Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.

Chaque rat rentre dans son trou;

Et si quelqu'un en sort, gare encor le matou.

« PreviousContinue »