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rage.

(Haut.) Je demande si malicieusement, tu

n'irais point faire courir le bruit que j'en ai.

LA FLÈCHE.

Hé! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose.

HARPAGON.

Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et bien heureux qui a tout son fait placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense! On n'est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle; car, pour moi, les coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les tiens justement une franche amorce à voleurs; et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer.

Molière.

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveilles de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or, 5
Chantait peu, dormait moins encor:

C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait;

Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,

10

i

Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: Or çà, sire Grégoire, 15 Que gagnez-vous par an? Paran! ma foi, monsieur Dit avec un ton de rieur

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère

Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin 20
J'attrappe le bout de l'année

Chaque jour amène son pain.
Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes), 25
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes :
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé
;
De quelque nouveau saint charge toujours son

prône.

30

Le financier, riant de sa naïveté,
Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le

trône.

Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin.

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre

L'argent, et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

35

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. 40
Le sommeil quitta son logis:

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet: et la nuit,

Si quelque chat faisait du bruit,

45

Le chat prenait l'argent. À la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus : Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, Et reprenez vos cent écus,

2. Merveilles doit s'écrire merveille dans cette locution.

3. Ouïr. (De AUDIRE) un synonyme d'entendre. Il n'est plus guère usité qu'à l'infinitif ouïr, au participe passé ouï, au préérit défini j'ouïs, et à l'imparfait du subjonctif que j'ouïsse.

Passages. Ce sont des ornements qu'on ajoute au chant en passant d'une note à l'autre.

4. Content. Une sorte d'apposition de il. Étant ou se sentant plus content que les sept sages, il faisait des passages.

5. Tout cousu d'or. Ayant beaucoup d'or cousu sur ses habits. 8. Sommeiller. C'est dormir, surtout dormir légèrement. 14. En et dans (voir ii, 2).

15. Or çà. Une locution qui ressemble à voyons! Or çà, dites. moi; voyons! dites-moi.

18. Gaillard. C'est un homme plein de vivacité et de bonne humeur. Assûrément il digère bien et dort bien. Le financier ne saurait être gaillard après ses nuits d'insomnie et avec ses cassements de tête le jour.-L'homme jovial ressemble au gaillard, il aime à rire, c'est un bon vivant, gros et gras d'ordinaire, avec un visage tout fleuri; il est heureux d'être au monde. C'est Vive la joie! Cette description ne s'appliquerait pas entièrement au gaillard qui n'est pas souvent gros et gras, et qui ne mène pas la bonne vie du jovial. Ce qui appartient en propre au gaillard, c'est la vivacité, la force et le courage.

Cela est dans l'étymologie du mot, que les uns tirent du celtique GALL, force, et les autres de gai, lequel vient du vieux allemand GAHI qui signifie vif.-Jovial est tiré de JUPITER Jovis. Est-ce parce que c'est Jupiter qui donne la joie et cette douce vie qui s'épanouit sur la face du jovial?

19 Entasser. Mettre en tas. Il ne met pas en tas, l'un sur l'autre, les jours, ou plutôt les gains de ses journées.

21. Attraper le bout de l'année. C'est arriver à la fin de l'année, mais y arriver d'une certaine façon, comme à un bout qu'il est difficile d'atteindre et qu'on est heureux d'attraper enfin 25. Honnêtes. Raisonnables.

27. Chomer. Ne pas travailler, parce qu'on solennise une fête. On chôme les dimanches. Diez rattache ce mot à calme qui vient du bas latin CAUMA, ardeur du soleil. En été, quand le soleil est au milieu du ciel avec ses feux ardents, tout est tranquille et calme dans les champs, on ne travaille pas, on se repose, on chome. Ainsi chômait plus souvent qu'il ne voulait notre gaillard savetier. Dans la stagnation des affaires de la présente année 1877, des milliers d'ouvriers sont obligés de chômer.

28. L'une fait tort à l'autre. Tort signifie ici un dommage; faire tort à quelqu'un, c'est lui causer un dommage. Une fête fait tort à l'autre, quand il y en a beaucoup, parce qu'on ne les fête pas chacune aussi bien qu'on le ferait s'il y en avait peu. Elles sont dans le chemin l'une de l'autre. M. Wright rend bien cette idée: They tread upon each other's heels.

29. Prône. C'est le sermon fait le dimanche à la messe, et les informations qui sont données en même temps aux paroissiens par le curé ou son vicaire, annonces de mariages, de décès, d'une fête à célébrer pendant la semaine, etc. M. le curé charge son prône, il l'allonge de cette annonce qu'on célébrera la fête d'un nouveau saint.

31 Pour: Je veux vous mettre (voir ix, 2).

44. L'œil au guet (voir xxvi, 11).

Morale. Richesse n'est pas bonheur.

Voir une étude sur cette fable dans les Causeries avec mes élèvea

XLIV.

LE LION, LE LOUP ET LE RENARD (VIII, 3.)

L'embarras est de trouver précisément le ton convenable à la cour. L'enthousiasme outré paraît hypocrisie et offense. Il ne faut pas, comme le singe, approuver trop les exécutions, louer la griffe du prince, les boucheries et leur odeur, dire qu'il n'y a ambre ni fleur qui ne soit ail au prix. L'abbé de Polignac, raconte Saint-Simon, se promenant à Marly avec le roi, par un mauvais temps, disait que la pluie de Marly ne mouillait pas. Cela parut si fade qu'il déplut au roi lui-même. La sotte flatterie n'a pas meilleur succès que la franchise trop rude. Une complaisance servile dégoûte. C'est un grand art que de faire sa cour. On dépense autant de génie à ramper qu'à régner. Aux qualités qu'on exige d'un domestique, combien peu de maîtres seraient dignes d'être valets. Aussi c'est le renard qui rassemble en soi tous les traits du courtisan, comme le lion tous ceux du monarque. Dans nos vieux fabliaux, il n'est que malin et méchant. Mais depuis ce temps il s'est poli et formé. Il a vécu dans les antichambres. l'a présenté ; il assiste au coucher. Il est devenu légiste, avocat, savant, philosophe, le tout au profit de sa fortune. Avant tout, il est menteur et maître de soi. "Un homme qui sait la cour, dit La Bruyère, est maître de son geste, de ses yeux, de son visage; il est profond, impénétrable; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses

On

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