Page images
PDF
EPUB

par la bonne opinion qu'on a de ses lecteurs. L'on a cette incommodité à essuyer dans la lecture des livres faits par des gens de parti et de cabale, que l'on n'y voit pas toujours la vérité. Les faits y sont déguisés, les raisons réciproques n'y sont point rapportées dans toute leur force, ni avec une entière exactitude; et, ce qui use la plus lon gue patience, il faut lire un grand nombre de termes durs et injurieux que se disent des hommes graves, qui, d'un point de doctrine ou d'un fait contesté, se font une querelle personnelle. Ces ouvrages ont cela de particulier, qu'ils ne méritent ni le cours prodigieux qu'ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent, lorsque le feu et la division venant à s'éteindre, ils deviennent des almanachs de l'autre année.

La gloire ou le mérite de certains hommes est de bien écrire; et de quelques autres c'est de n'écrire point.

L'on écrit régulièrement depuis vingt années: l'on est esclave de la construction : l'on a enrichi

la langue de nouveaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à la phrase purement françoise l'on a presque retrouvé le nombre que Malherbe et Balzac avoient les premiers rencontré, et que tant d'auteurs depuis eux ont laissé perdre. L'on a mis enfin dans le discours tout l'ordre et toute la netteté dont il est capable : cela conduit insensiblement à y mettre de l'esprit.

Il y a des artisans ou des habiles dont l'esprit

:

::

s'é

est aussi vaste que l'art et la science qu'ils professent: ils lui rendent avec avantage,par le génie et par l'invention, ce qu'ils tiennent d'elle et de ses principes ils sortent de l'art pour l'ennoblir, cartent des règles, si elles ne les conduisent pas au grand et au sublime : ils marchent seuls et sans compagnie, mais ils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrs et confirmés par le succès des avantages que l'on tire quelquefois de l'irrégularité. Les esprits justes, doux, modérés, non-seulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprenuent point, et voudroient encore moins les imiter. Ils demeurent tranquilles dans l'étendue de leur sphère, vont jusques à un certain point qui fait les bornes de leur capacité et de leurs lumières; ils ne vont pas plus loin, parce qu'ils ne voient rien au-delà. Ils ne peuvent au plus qu'être les premiers d'une seconde classe, et exceller dans le médiocre.

[ocr errors]

y a des esprits, si j'ose le dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies. Ils sont plagiaires; traducteurs, compilateurs : ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé; et comme le choix des pensées est invention, ils l'ont mau

vais,

peu juste, et qui les determine plutôt à rapporter beaucoup de choses, que d'excellentes choses: ils n'ont rien d'original et qui soit à eux : ils ne avent que ce qu'ils ont appris; et ils n'apprennent

que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science vaine, aride, dénuée d'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors de commerce, semblable à une monnoie qui n'a point de cours. On est tout à la fois étonné 'de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grands et le vulgaire confondent avec les savants, et que sages renvoient au pédantisme.

les

La critique souvent n'est pas une science : c'est an métier où il faut plus de santé que d'esprit, plus de travail que de capacité, plus d'habitude que de génie. Si elle vient d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l'écrivain.

Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l'extrême modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne se choisir pour exemplaires que ces sortes d'ouvrages où il entre de l'esprit, de l'imagination, ou même de l'érudition : s'il n'atteint pas ses originaux, du moins il en approche et il se fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu'ils expriment sur le papier: dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas, et dans le ridicule ceux qui s'ingèrent de les suivre. En effet, je rirois d'un

le

homme qui voudroit sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage.

Un homme né chrétien et françois se trouve contraint dans la satire : les grands sujets lui sont défendus; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses qu'il relève par la beauté de son génie et de son style.

Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorillas et Handburg2. L'on peut au contraire en une sorte d'écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui pei gnent vivement, et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre.

de

Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre. Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point c'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugement et celui des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y voir, l'en tirer avec grace, et d'une manière qui plaise et qui instruise.

:

Horace ou Despréaux l'a dit avant vous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi?

CHAPITRE II.

DU MÉRITE PERSONNEL.

Qui peut avec les plus rares talents et le plus

excellent mérite, n'être pas convaincu de son inu tilité, quand il considère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer?

De bien des gens il n'y a que le nom qui vale quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien de loin ils imposent.

:

Tout persuadé que je suis que ceux que l'on choisit pour de différents emplois, chacun selon son génie et sa profession font bien, je me hasarde de dire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes connues ou inconnues, que l'on n'emploie pas, qui feroient très-bien; et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès de

certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui jusques alors on n'avoit pas attendu de fort grandes choses.""

Combien d'hommes admirables, et qui avoient de très-beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé ! Combien vivent encore dont on ne parle point et dont on ne parlera jamais!

Quelle horrible peine a un homme qui est sans prôneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans

« PreviousContinue »