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percent la foule, et parviennent jusqu'à l'oreille du prince, à qui le courtisan les voit parler, pendant qu'il se trouve heureux d'en être vu. Ils ont cela de commode pour les grands, qu'ils en sont soufferts sans conséquence, et congédiés de même: alors ils disparoissent tout à la fois riches et décrédités; et le monde qu'ils viennent de tromper, est encore prêt à être trompé par d'autres.

Vous voyez des gens qui entrent sans saluer que légèrement, qui marchent des épaules, et qui se rengorgent comme une femme : ils vous interrogent sans vous regarder; ils parlent d'un ton élevé, et qui marque qu'ils se sentent au-dessus de ceux qui se trouvent présents. Ils s'arrêtent, et on les entoure: ils ont la parole, président au cercle, et persistent dans cette hauteur ridicule et contrefaite, jusqu'à ce qu'il survienne un grand, qui, la faisant tomber tout d'un coup par sa présence, les réduise à leur naturel, qui est moins mauvais.

Les cours ne sauroient se passer d'une certaine espèce de courtisans, hommes flatteurs, complaisants, insinuants, dévoués aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs, étudient les foibles, et flattent toutes les passions: ils leur soufflent à l'oreille des grossièretés, leur parlent de leurs maris et de leurs amants dans les termes convenables, devinent leurs chagrins, leurs maladies, et fixent leurs couches: ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la dépense, et apprennent à ce sexe de prompts moyens de consumer de grandes sommes en habits,

nom,

Un homme de la cour1 qui n'a pas un assez beau doit l'ensevelir sous un meilleur; mais s'il l'a tel qu'il ose le porter, il doit alors insinuer qu'il est de tous les noms le plus illustre, comme sa maison de toutes les maisons la plus ancienne : il doit tenir❜ aux princes Lorrains, aux Rohan, aux Foix, aux Châtillon, aux Montmorenci, et s'il se peut, aux princes du sang; ne parler que de ducs, de cardinaux et de ministres ; faire entrer dans toutes les conversations ses aïeux paternels et maternels, et y trouver place pour l'oriflamme et pour les croisades; avoir des salles parées d'arbres généalogiques, d'écussons chargés de seize quartiers, et de tableaux de ses ancêtres et des alliés de ses ancêtres; se piquer d'avoir un ancien château à tourelles, à créneaux et à machecoulis; dire en toute rencontre ma race, ma branche, mon nom et mes armes : dire de celui-ci, qu'il n'est pas homme de qualité; de celle-là, qu'elle n'est pas demoiselle; ou si on lui dit qu'Hyacinthe a eu le gros lot, demander s'il est gentilhomme. Quelques uns riront de ces contretemps, mais il les laissera rire : d'autres en feront des contes, et il leur permettra de conter : il dira toujours qu'il marche après la maison régnante, et à force de le dire, il sera cru.

C'est une grande simplicité que d'apporter à la cour la moindre roture, et de n'y être pas gentil

homme.

L'on se couche à la cour et l'on se lève sur l'intérêt c'est ce que l'on digère le matin et le soir,

:

le jour et la nuit; c'est ce qui fait

que l'on pense, que l'on agit; c'est

que l'on parle, que l'on se tait, dans cet esprit qu'on aborde les uns et qu'on néglige les autres, que l'on monte et que l'on descend; c'est sur cette règle que l'on mesure ses soins, ses complaisances, son estime, son indifférence, son mépris. Quelques pas que quelques uns fassent par vertu vers la modération et la sagessè, un premier mobile d'ambition les emmène avec les plus avares, les plus violents dans leurs desirs, 'et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer immobile où tout marche, où tout se remue, et de ne pas courir où les autres courent? On croit même être responsable à soi-même de son élévation et de sa fortune : celui qui ne l'a point faite à la cour, est censé ne l'avoir pas dû faire; on n'en appelle pas. Cependant s'en éloignera-t-on avant d'en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y demeurer sans graces et sans récompenses? question si épineuse, si embarrassée, et d'une si pénible décision, qu'un nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le non, et meurent dans le doute.

Il n'y a rien à la cour de si méprisable et de si indigne qu'un homme qui ne peut contribuer en rien à notre fortune: je m'étonne qu'il ose se

montrer.

Celui qui voit loin derrière soi un homme de son temps et de sa condition, avec qui il est venu à la cour la première fois, s'il croit avoir une raison solide d'être prévenu de son propre mérite, et de

en meubles et en équipages : ils ont eux-mêmes des habits où brillent l'invention et la richesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'après les avoir renouvelés et embellis. Ils mangent délicatement et avec réflexion; il n'y a sorte de volupté qu'ils n'essaient, et dont ils ne puissent rendre compte. Ils doivent à eux-mêmes leur fortune, et ils la sou-. tiennent avec la même adresse qu'ils l'ont élevée: dédaigneux et fiers ils n'abordent plus leurs pareils, ils ne les saluent plus : ils parlent où tous les autres se taisent; entrent, pénètrent en des endroits et à des heures où les grands n'osent se faire voir: ceux-ci, avec de longs services, bien des plaies sur le corps, de beaux emplois ou de grandes dignités, ne montrent pas un visage si assuré, ni une contenance si libre. Ces gens ont l'oreille des plus grands princes, sont de tous leurs plaisirs et de toutes leurs fêtes, ne sortent pas du Louvre ou du château, où ils marchent et agissent comme chez eux et dans leur domestique, semblent se multiplier en mille endroits, et sont toujours les premiers visages qui frappent les nouveaux venus à une cour: ils embrassent, ils sont embrassés : ils rient, ils éclatent, ils sont plaisants, ils font des contes : personnes commodes, agréables, riches, qui prêtent, et qui sont sans conséquence.

Ne croiroit-on pas de Cimon et de Clitandre qu'ils sont seuls chargés des détails de tout l'état, et que seuls aussi ils en doivent répondre? l'un a du moins les affaires de terre,et l'autre les maritimes.

Qui pourroit les représenter exprimeroit l'empressement, l'inquiétude, la curiosité, l'activité, sauroit peindre le mouvement. On ne les a jamais vus assis, jamais fixes et arrêtés : qui même les a vu marcher? On les voit courir, parler en courant, et vous interroger sans attendre de réponse. Ils ne viennent d'aucun endroit, ils ne vont nulle part: ils passent et ils repassent. Ne les retardez pas dans leur course précipitée, vous démonteriez leur machine : ne leur faites pas de questions, ou donnez-leur dụ moins le temps de respirer et de se ressouvenir qu'ils n'ont nulle affaire, qu'ils peuvent demeurer avec vous et long-temps, vous suivre même où il vous plaira de les emmener. Ils ne sont pas les satellites de Jupiter, je veux dire ceux qui pressent et qui entourent le prince; mais ils l'annoncent et le précèdent; ils se lancent impétueusement dans la foule des courtisans, tout ce qui se trouve sur leur passage est en péril: leur profession est d'être vus et revus; et ils ne se couchent jamais sans s'être ac quittés d'un emploi si sérieux et si utile à la république. Ils sont au reste instruits à fond de toutes les nouvelles indifférentes, et ils savent à la cour tout ce que l'on peut y ignorer : il ne leur manque aucun des talents nécessaires pour s'avancer me diocrement. Gens néanmoins éveillés et alertes sur tout ce qu'ils croient leur convenir, un peu entreprenants, légers et précipités, le dirai-je ? ils portent au vent, attelés tous deux au char de la fortune, et tous deux fort éloignés de s'y voir assis.

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