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paisiblement que les hommes détrompés lui pré fèrent les poëtes modernes : il se met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il adjuge la seconde place. C'est en un mot un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinion qu'il a 'de lui-même.

C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien, croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre lui-même : celui qui sait beaucoup,pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment.

Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites simplement, elles se gâtent par l'emphase; il faut dire noblement les plus petites, elles ne se soutiennent que par l'expression, le ton et la manière. II me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.'

Il n'y a guère qu'une naissance honnête, ou qu'une bonne éducation, qui rende les hommes capables de secret.

Toute confiance est dangereuse si elle n'est entière: il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l'on croit devoir en dérober une circonstance.

Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent eux-mêmes, et à leur insu: ils ne remuent pas les lèvres et on les entend: on lit sur leur front

et dans leurs yeux, on voit au travers de leur poi; trine, ils sont transparents : d'autres ne disent pas précisément une chose qui leur a été confiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même enfin quelques uns méprisent votre secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : « c'est un mystère, un tel m'en a fait part, et m'a » défendu de le dire; » et ils le disent.

Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a confié.

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Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jusques à sa mort: il a déjà dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et il le répète : il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne : il calcule le revenu qu'elle lui rapporte, il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des apparte ments, ainsi que la richesse et la propreté des meubles. Il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages: il se plaint que sa femme n'aimoit point' assez le jeu et la société. Vous êtes si riche, lui disoit l'un de ses amis, que n'achetez-vous cette charge? pourquoi ne pas faire cette acquisition qui étendroit votre domaine? On me croit, ajoute-t-il, plus de bien que je n'en possède. Il n'oublie pas son extraction et ses alliances: M. le surintendant qui est mon cousin, madame la chancelière qui est ma parente voilà son style. Il raconte un fait qui

124 DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. prouve le mécontentement qu'il doit avoir de ses plus proches, et de ceux mêmes qui sont ses héri tiers: ai-je tort, dit-il à Élise? ai-je grand sujet de leur vouloir du bien? et il l'en fait juge. Il insinue ensuite qu'il a une santé foible et languissante; il parle de la cave où il doit être enterré. Il est insi nuant, flatteur, officieux à l'égard de tous ceux qu'il trouve auprès de la personne à qui il aspire. Mais Elise n'a pas le courage d'être riche en l'épou sant. On annonce, au moment qu'il parle, un cava lier, qui de sa seule présence démonte la batterie de l'homme de ville: il se lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se remarier.

Le sage quelquefois évite le monde, de peur d'être ennuyé.

CHAPITRE VI.

DES BIENS DE FORTUNE.

Ux homme fort riche

peut manger des entremets, faire peindre ses lambris et ses alcoves, jouir d'un palais à la campagne, et d'un autre à la ville, avoir un grand équipage, mettre un duc dans sa famille, et faire de son fils un grand seigneur : cela est juste et de son ressort. Mais il appartient peut-être à d'autres de vivre contents.

Une grande naissance ou une grande fortune annonce le mérite et le fait plutôt remarquer.

Ce qui disculpe le fat ambitieux de son ambition, est le soin que l'on prend, s'il a fait une grande fortune, de lui trouver un mérite qu'il n'a jamais eu, et aussi grand qu'il croit l'avoir.

A mesure que la faveur et les grands biens se retirent d'un homme, ils laissent voir en lui le ridicule qu'ils couvroient, et qui y étoit sans que . personne s'en aperçût.

Si l'on ne le voyoit de ses yeux, pourroit - on jamais s'imaginer l'étrange disproportion que le plus ou le moins de pièces de monnoie met entre les hommes?

Ce plus ou ce moins détermine à l'épée, à la robe, ou à l'église : il n'y a presque point d'autre

vocation.

Deux marchands1 étoient voisins et faisoient le même commerce, qui ont eu dans la suite une fortune toute différente. Ils avoient chacun une fille unique: elles ont été nourries ensemble, et ont vécu dans cette familiarité que donnent un même âge et une même condition : l'une des deux pour se tirer d'une extrême misère cherche à se placer, elle entre au service d'une fort grande clame et l'une des premières de la cour, chez sa compagne.

Si le financier manque son coup, les courtisans disent de lui : c'est un bourgeois, un homme de rien; un malotru: s'il réussit, ils lui demandent sa fille,

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Quelques uns ont fait dans leur jeunesse l'ap prentissage d'un certain métier, pour en exercer un autre, et fort différent, le reste de leur vie.

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Un homme est laid 2, de petite taille, et a peu d'esprit. L'on me dit à l'oreille, la cinquante mille livres de rente cela le concerne tout seul, et il ne m'en sera jamais ni pis ni mieux: si je commence à le regarder avec d'autres yeux, et si je ne suis pas maître de faire autrement, quelle sottise!

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Un projet assez vain seroit de vouloir tourner un homme fort sot et fort riche en ridicule : les rieurs sont de son côté.

Navec un portier rustre 3, farouche, tirant sur le Suisse, avec un vestibule et une antichambre, pour peu qu'il y fasse languir quelqu'un et se morfondre, qu'il paroisse enfin avec une mine et grave une démarche mesurée, qu'il écoute un peu et ne

Les partisans.

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